Amorçage et/ou croissance: en a-t-on les moyens?

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Par · 10/12/2015

Le marché belge (intervenants privés ou publics) a-t-il les moyens de financer la croissance de pépites, de start-ups qui ont passé la phase initiale?

Pour Guillaume Desclée (MyMicroInvest), cela ne fait aucun doute. “Oui parce que l’épargne, les ressources disponibles en Belgique sont énormes. C’est tout l’enjeu et les défis pour les 20 prochaines semaines. Il faut investir aujourd’hui dans les sociétés qui feront le Bel 20 de demain. Les sociétés du Top 10 boursier américain ont moins de 25 ou 30 ans.

On a le savoir, la connaissance, des universités qui apportent énormément de choses, de résultats qui peuvent être commercialisés. On a énormément de moyens. Le Belge est l’épargnant le plus riche d’Europe. On a juste un manque de volonté d’entreprendre. Heureusement les mentalités changent…”

La réponse est plus nuancée du côté de Benoît Lips (Lean Fund).

“La Belgique ne peut pas jouer un rôle dans cette course aux licornes, en mobilisant des capitaux, mais ce n’est pas grave.

Pour ce qui est du financement de la phase de croissance des start-ups, la réponse n’est pas facile. Beaucoup de start-ups et d’investisseurs belges considèrent la Belgique comme leur marché naturel [sans aller plus loin]. Les investisseurs locaux ont du mal à accompagner la pénétration à l’international parce qu’ils ont du mal à approcher un [autre] marché qu’ils ne connaissent pas, là où les investisseurs étrangers, américains en particulier, considèrent que leur marché, c’est le monde.”

Benoît Lips (Lean Fund): Tant les entrepreneurs que les investisseurs belges ont du mal à se projeter en dehors de nos frontières.

Une autre lacune handicapante aux yeux de Benoît Lips: “le manque de capitaines d’industrie, qui ont fait l’économie de la Belgique au 19ème siècle, des Ernest Solvay ou Raoul Warocqué… Eux considéraient que leur marché était le monde. Nous n’avons plus, aujourd’hui, cette typologie. C’est difficile, aujourd’hui, de mobiliser des capitaux belges pour se déployer au-delà des frontières. Pas impossible mais compliqué. C’est sans doute un problème culturel, par manque d’exemples…”

Cédrick Donck, lui, pointe une autre explication.

“Première chose: ce n’est pas parce qu’on est une société belge qu’on est condamné à rester une petite société. Cela ne pose pas de problème de créer des filiales, de s’implanter à l’étranger.

Deuxième chose: il est beaucoup plus important de se financer dans le marché de destination que dans le pays d’origine. Parce qu’au-delà de l’argent, on profitera du réseau de l’investisseur. Et c’est là que se situe la réelle différence: il y a peu de sociétés, aux Etats-Unis, en Angleterre… qui sont intéressées à venir en Belgique parce que le marché est trop petit. Il y a donc une valeur, sur le réseau, qui est moins importante pour les fonds d’investissement belges. Nous avons de grands fonds, à plusieurs dizaines de millions d’euros, mais nous ne sommes pas une destination très sexy, en tout cas du côté du Web…

Un fonds comme Volta Ventures a un mal fou à trouver des start-ups dans lesquelles mettre leur argent… Du moins dans des sociétés qui ont déjà une valorisation de 10 à 25 millions et dans lesquelles investir 2 ou 5 millions, voire plus. Ce n’est donc pas un problème de manque d’argent en Belgique.

Une des raisons pour lesquelles il n’y a pas beaucoup de sociétés à ce stade de valorisation, c’est aussi le fait que nous ayons commencé plus tard. Dans quelques années, il y en aura…”

Choisir entre amorçage et croissance?

Sur quel élément l’accent devrait-il être mis en Belgique: la multiplication de projets  le stade de la croissance? la création d’incubateurs, d’accélérateurs (et de quel type)? la recherche d’exits (et à quelle stade et à quelles conditions)?

“Aujourd’hui, beaucoup de choses sont faites pour les start-ups, moins pour les “scale-up”, constate Guillaume Desclée (MyMicroInvest). “Le problème de la croissance est un vrai problème.

Guillaume Desclée (MyMicroInvest): “Aujourd’hui, le problème des sociétés en croissance, c’est le recrutement, la faculté de trouver des effectifs talentueux, qui permettront à la société de poursuivre son développement.

Il y a eu l’époque start-up. Je crois qu’on rentre dans l’époque scale-up. Les incubateurs y attachent davantage d’intérêt. Je pense notamment au programme de CoStation pour les scale-up… Nest’Up travaille sur un modèle. Mais il y a encore énormément de choses à faire.

Les grandes entreprises y ont également intérêt. C’est leur vivier d’innovation. Je pense à Gdf-Suez, BNP Paribas Fortis, KBC… Toutes essaient de rassembler l’initiative entrepreneuriale et de pousser les scale-ups à se développer en leur donnant des outils.

Ces sociétés qui ont connu la phase de la start-up, qui se retrouvent confrontées à leurs premiers problèmes plus fondamentaux, ont besoin de redynamiser leur croissance…

Ce moment de la transition de la start-up à la PME est un grand défi. Il y a un gros soutien à apporter à ces sociétés-là. On en parle moins mais cela commence à être un sujet chaud.”

Guillaume Desclée: “Ce qui nous manque, ce n’est pas tellement l’argent, les idées, le savoir-faire mais l’envie d’entreprendre. Le défi principal à ce niveau est de savoir comment pousser le cadre supérieur à entreprendre parce qu’on a là un formidable réservoir.”

Pour Benoît Lips (Lean Fund), le défi est de faire les deux: soutenir les start-ups en phase initiale de lancement et leur croissance. “Il faut certainement continuer à faire germer les jeunes pousses et accompagner celles qui grandissent. Et éviter qu’une start-up ne soit (re)connue en Belgique qu’après été acclamée en dehors des frontières… Il faut donc apporter un important soutien aux start-ups tout en structurant l’accompagnement des entreprises – TPE ou autres.

Mais le domaine de l’accélération, telle que la pratique par exemple le Y Combinator américain, pour expliquer aux start-ups comment grandir, est encore largement en friche chez nous. Il faut encore créer et structurer, en Belgique, un soutien qui permette aux entreprises de grandir vite et intelligemment.

Benoît Lips: “Il faut encore créer et structurer, en Belgique, un soutien qui permette aux entreprises de grandir vite et intelligemment.”

La typologie des jeunes entreprises démontre qu’il y a encore un trou dans le soutien aux “scale-ups”, ces sociétés qui pourraient soutenir de la croissance.

Je suis par ailleurs personnellement frustré par le fait que les PME belges, de 1, 5 ou 10 personnes, qui constituent notre terreau économique, ne bénéficient pas de l’étiquette “start-up” et en souffrent. Or, le succès de la transformation de notre économie ne sera atteint que lorsqu’on y travaillera, quand les PME seront elles-mêmes dans une dynamique de croissance, d’innovation et de création d’emplois…”

Déséquilibre à corriger

Olivier de Wasseige regrette pour sa part que l’on ne s’intéresse pas davantage à la phase de croissance. “On donne trop d’argent, proportionnellement, à l’idéation et à la création et pas assez à l’accélération. Mais ce besoin d’accélérer est un élément qui est mis en évidence dans la proposition de Plan numérique [wallon] pour que les start-ups qui ont franchi les premières étapes ne partent pas se faire accélérer à Londres, Amsterdam ou aux Etats-Unis. Tant mieux si elles y vont parce qu’elles ont des opportunités mais on doit être capable de favoriser le scale-up.

Olivier de Wasseige: “Dire qu’on ne donne pas assez d’argent à la phase d’accélération, c’est enfoncer une porte ouverte. Mais je continuerai à l’enfoncer aussi longtemps qu’elle ne sera pas complètement ouverte.”

Il faut par ailleurs mesurer cette phase de croissance. Il ne faut pas se contenter de mesurer le succès des structures d’incubation – au sens large – par le nombre de projets qui en sortent – ce qu’on a parfois tendance à faire actuellement. Selon moi, cela ne veut strictement rien dire. Il faut mesurer, d’une part, la ligne de vie de la start-up, selon divers indicateurs de croissance: combien vont réellement créer une entreprise et ne pas en rester au stade d’une structure d’une personne, le nombre d’emplois créés, la marge ou le chiffre d’affaires réalisé… – et cela, après un certain temps.

D’autre part, il faut mesurer l’efficacité, voire l’efficience [c’est-à-dire l’efficacité divisée par le coût]: combien cela coûte par entreprise créée, par emploi créé, par million d’euros d’affaires généré, combien existent encore 2 ou 4 ans après…”

Quelle démarche?

“En Belgique, pour renforcer la chaîne d’investissement, il faut évoluer vers des capacités de réinvestissement dans des sociétés dans lesquelles les financeurs croient”, estiment Olivier de Wasseige (Internet Attitude). “Et il faut attirer l’attention des start-ups sur cet élément: elles doivent choisir des gens qui sont capables de suivre.

La SRIW a investi 5 millions d’euros, à parts égales, dans deux des fonds gérés par la société de capital-risque Partech Ventures, spécialisé dans les technologies de l’information et le numérique. 2,5 millions sont allés au fonds d’amorçage (“seed”) Partech Entrepreneur II, dédié aux jeunes pousses technologiques; l’autre moitié a pris la destination du fonds de capital croissance Partech Growth, qui vise les les start-ups technologiques et numériques à forte croissance. Objectifs déclarés à l’époque [septembre 2015]: “présenter des dossiers d’entreprises en développement à ce fonds très expérimenté; s’insérer dans un réseau international pour attirer d’autres investisseurs; profiter de leur expérience dans l’analyse de dossiers; viser la rentabilité”.

Sinon, elles devront consacrer un temps fou à la recherche de remplaçants [pour les investisseurs de la première heure qui se désengagent].

Il faut des gens qui sont capables d’investir dans ces étapes suivantes pour que des sociétés qui cherchent 1 ou 2 millions ne partent pas immédiatement vers les Etats-Unis.

Quand la SRIW investit [Ndlr: 5 millions d’euros, voir encadré ci-contre] dans un grand fonds français pour, grâce aux compétences high-tech, pouvoir supporter des sociétés wallonnes au moment où elles auront besoin de ces grosses tranches, dans un segment où il n’y a plus personne capable de le faire dans le camp du private equity, je trouve cela intelligent…”

Mieux allier les ‘forces vives’

Autre signal qu’Olivier de Wasseige perçoit comme positif, sur le marché belge – et wallon – du capital à risques, c’est le début de dialogue entre les différents acteurs, actifs dans différents secteurs. “La segmentation verticale devient moins étanche. Histoire de mutualiser les compétences, certains étant plus versés dans les projets purement numériques, d’autres connaissant mieux le secteur des biotechnologies ou de la santé par exemple. Or, tous ces mondes se chevauchent et s’interpénètrent de plus en plus…”

C’est dans un tel esprit qu’avait été organisé l’événement “Oser le capital à risque en Belgique en 2015”, fin octobre à la Bourse. Co-organisateurs: Internet Attitude, Be Angels, Belcube, E-Capital, Euroquity, Investsud, Namurinvest, Nausicaa Ventures, Nivelinvest, Sambrinvest, Sherpa Invest , Sowalfin, SRIB et St’Art. Excusez du peu…

Cette collaboration entre acteurs du financement aux profils différents est également perçue comme nécessaire, voire salutaire, par Jean-Pol Boone: “L’écosystème peut réussir à condition qu’il y ait collaboration, fédération entre les différents acteurs – les business angels, les fonds privés… – afin de financer au maximum les pépites en question.

Une mesure, dans le Plan numérique wallon, concerne les fonds public-privé. Le Tax Shelter est également une mesure qui va dans ce sens. Les invests publiques, elles aussi, évoluent. MeusInvest par exemple a créé une cellule dédiée aux startups afin de procurer un encadrement “intelligent” dédié au numérique. Il y a donc une vraie prise de conscience et un mouvement dans la bonne direction.”