Plan du Numérique: petites mises en garde de Pierre Rion

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Par · 21/09/2015

Même si des progrès se manifestent, le décollage numérique de la Wallonie se fait attendre – en termes d’adoption par les PME, par l’enseignement, l’industrie, en termes d’“acculturation numérique” par le citoyen lambda… Cela a largement été documenté, notamment, au fil des Baromètres de l’AWT-devenue-AdN…

Ce décollage sera-t-il enfin déclenché par le Plan du Numérique? Trop tôt évidemment pour le dire.

Quel impact aura le triple rôle de “communicateur”, d’animateur de la marque “Digital Wallonia” et de pilote de la mise en oeuvre du Plan du Numérique qui a été assigné à l’AdN (Agence du Numérique, anciennement AWT)? Même réponse.

Seule chose que l’on peut dire, c’est qu’un petit vent nouveau, aux apparences plus dynamiques, se fait sentir.

Il n’y a pas que dans les discours et les petites phrases politiques qu’une volonté d’optimisme se fasse jour. Pierre Rion, aussi, en commentant la remise du document de proposition au gouvernement, y est allé d’une petite phrase “haut les coeurs”: “Il est vrai, tous les rapports le disent, que la Wallonie est en retard dans le numérique mais ce retard est rattrapable. Plus question de s’auto-flageller. Le fait est qu’il est “moins une” et qu’il est temps d’y aller.”

Pendant quelques semaines encore, jusqu’à l’annonce du Plan du Numérique tel que le gouvernement le décidera, il demeure le président du Conseil du Numérique. Et il promet de demeurer ensuite un observateur attentif, au besoin un aiguillon et un botteur de fourmilière.

Le déclic?

Lors de la séance de remise de la proposition de Plan, concoctée par le Conseil du Numérique, il n’a pas hésité à émettre certaines mises en garde. Telle que celle-ci: “cette proposition de Plan numérique est un tout. Il serait difficile de le détricoter, ne serait-ce qu’en partie, sans impacter chacune de ses composantes.”

Le futur Plan du Numérique a, en principe, comme finalité – c’est l’ambition que lui prêtent notamment les membres du Conseil du Numérique – de pousser chaque citoyen, chaque acteur économique de se l’approprier, de se retrouver et d’exploiter la “marque forte” que doit devenir Digital Wallonia.

De manière plus concrète, d’où pourrait venir le déclic? 

Pierre Rion: L’un des principaux déclics viendra d’un phénomène que je compare d’ailleurs à un gros bulldozer. Il s’agit de la disparition de certains métiers. Prenons l’exemple des fraiseurs qui produisent des boîtes de vitesse sur un tour. Ils vont être remplacés à terme par la fabrication additive et les potentiels de customisation.

Quand des pans industriels entiers seront menacés de disparition ou disparaîtront parce que ces secteurs n’auront pas adopté la 3D, le réveil sonnera…

Un autre déclic viendra quand les enseignants seront confrontés aux changements de raisonnement de leurs élèves, quand ceux-ci auront appréhendé l’algorithmique. Il faut que les enseignants comprennent ce qu’est et ce qu’implique le numérique.

Le fait, pour eux, de s’approprier par exemple l’algorithmique sera une étape importante, qui ne devrait pas poser de problème fondamental dans la mesure où cela ne touche pas à leur métier ou à leurs prérogatives…

Les travaux de préparation – par les groupes de travail thématiques des Assises et l’appel à propositions du grand public (site participatif Printemps du Numérique) – avaient été formalisés, avant l’été, en 238 propositions. Ce qui faisait évidemment beaucoup, pour des raisons de lisibilité et de mise en pratique. Mission fut donc donnée à un comité restreint (composé de collaborateurs du cabinet Marcourt, de l’AdN et de Roland Berger) de “trier, affiner, prioriser et budgétiser”. Ou, pour ce dernier point en tout cas, d’“évaluer l’impact budgétaire”.

Quel arbitrage, quel travail de “tri” dans les propositions formulées par les groupes de travail des Assises et sur le site participatif Printemps du Numérique (voir en encadré ci-contre) a-t-il été fait au mois d’août [par le groupe restreint]?

Nous avons en fait regroupé, fusionné des propositions pour en faire des mesures et sous-mesures. Nous n’avons pas laissé tomber des propositions, sauf s’il y avait redondance. L’une des raisons est que ces propositions avaient déjà été validées par le Conseil du Numérique. Les membres avaient fourni leurs avis et pondéré les propositions. Nous avons parfois travaillé au niveau de ces pondérations pour obtenir la formulation finale…

Lors de la présentation de votre document, vous avez clairement dit qu’il ne serait pas sage de “détricoter” la proposition de Plan Numérique…

Ce que nous estimerions acceptable venant du gouvernement, c’est qu’il inverse éventuellement l’ordre des priorités que nous avons établi. Qu’une mesure régresse dans l’échelle des priorités est acceptable mais pas qu’elle soit purement et simplement supprimée. Il vaut mieux, au lieu de supprimer, de phaser différemment. Supprimer des mesures proposées serait détricoter l’ensemble.

Un signal positif envoyé par le Ministre est qu’il s’est engagé à revenir vers nous pour exposer ce que lui et le gouvernement auront fait de notre proposition. Avec, évidemment, de notre part, un droit de réponse que nous ne manquerons pas de signaler haut et fort.

La grille qu’appliquera le gouvernement en termes d’indicateurs et de critères à prendre en compte pour décider des actions à prendre ne risque-t-elle pas d’être différente de celle utilisée par le Conseil du Numérique – impact économique, création d’emplois, effet sur le PIB etc – et donc déboucher sur un Plan très différent de la proposition?

Nous devons évidemment respecter le fait qu’un gouvernement ait ses propres priorités. Par exemple qu’il mette tout le poids sur le PIB industriel au détriment du PIB du secteur numérique. Mais s’il s’avère, à nos yeux, que la lecture que fait le gouvernement de la problématique est fausse ou erronée, nous ne manquerons pas de le souligner et de faire tout notre possible pour remettre l’analyse sur les bons rails.

Pierre Rion: “Il est vrai, tous les rapports le disent, que la Wallonie est en retard dans le numérique mais ce retard est rattrapable. Plus question de s’auto-flageller. Le fait est qu’il est “moins une” et qu’il est temps d’y aller.”

Mais à cet égard, je ne suis pas trop inquiet. Des collaborateurs du Cabinet Marcourt ont été impliqués dans le processus de préparation. Ils savent donc ce qu’il y a derrière les chiffres qui figurent dans notre document et sur lesquels se fondent les propositions…

Jean-Claude Marcourt a indiqué qu’il soumettrait la proposition de Plan du Numérique à Alexander De Croo, déclarant qu’il pourrait ainsi le rencontrer avec “un projet concret en mains” et pouvoir dès lors “mieux envisager la manière d’articuler les deux plans – le Wallon et le plan Digital Belgium”. Qu’espérez-vous de cette rencontre? Seriez-vous d’accord, ou demandeur, d’être présent à cette rencontre?

PSi je devais être invité par Jean-Claude Marcourt, qui voudrait ainsi par exemple donner une image d’ouverture, j’y participerais volontiers. L’important est d’être cohérent par rapport à ce que contient le plan Digital Belgium.

Je prends l’exemple de la directive européenne Tranchées. Il serait bon, en Wallonie aussi, d’avoir un cadastre des impétrants et de ne pas en arriver à une situation où tous les opérateurs tirent leurs propres fibres…

          [ Voir à ce propos ce document publié par Agoria ]

Pour financer les mesures, vous avez indiqué, notamment dans le cadre du déploiement du très haut débit, que le secteur privé aurait un rôle à jouer. Quelles contributions, participations, souhaiteriez-vous?

Parmi les contributions possibles, on peut citer la veille technologique ou encore l’accompagnement des start-ups, par exemple par de grandes sociétés telles Microsoft ou Google.

Le texte de la proposition remise au Ministre Marcourt inclut par ailleurs aussi une recommandation concernant les marchés publics. Nous prônons que 10% des grands contrats soient sous-traités par les grands acteurs traditionnels à de petites sociétés et à des start-up innovantes…

Quel rôle voudriez-vous voir jouer par l’AdN?

Je doute que l’AdN ait un jour un réel pouvoir coercitif. Leur statut les fait dépendre du gouvernement. Ils n’ont donc pas de totale liberté d’action. Mais ce qui se passera de toute façon, c’est qu’ils devront répondre à des questions détaillées que posera le Conseil du Numérique, en termes d’indicateurs de performances et de mesure des réactions aux mesures décidées. L’AdN doit dès lors avoir un grand pouvoir d’investigation.