Conseil du Numérique: trois participants témoignent

Article
Par · 31/08/2015

Ses travaux n’étant pas encore terminés, les membres du Conseil du Numérique wallon se gardent généralement de faire des commentaires sur ce qui se dit, se soupèse, se discute, se prépare en son sein. Sans leur demander de lever le voile, nous avons néanmoins invité certains d’entre eux à nous faire part de la manière dont ils ont vécu, jusqu’ici, l’exercice de cogitation qui leur a été demandé.

L’une ou l’autre idée qui leur a été soumise les a-t-elle marqués, séduits, bousculés? Quels souhaits – ou mises en garde – émettent-ils éventuellement?

Autre question que nous leur avons posée: pourquoi le (futur) Plan numérique du Ministre Marcourt doit-il réussir (sous peine de…)?

 

Qu’ont donné les travaux de préparation du Conseil du Numérique et des groupes de travail thématiques, ou encore l’appel à contribution du grand public via le site Printemps du Numérique? Quelles idées se dégagent et pourraient se retrouver dans le rapport final qui sera remis au gouvernement, pendant la deuxième quinzaine de septembre? Quelle suite y sera donnée?

Sur ce point, Olivier de Wasseige, patron de Defimedia et administrateur délégué d’Internet Attitude, est catégorique: “Ce plan doit réussir, l’enjeu est capital. Pour tous les Wallons, et pour la Wallonie au sens large. D’un point de vue économique, je résumerais cela par le résultat d’une étude mondiale Digital Density Index d’Accenture qui mesure l’impact du taux de pénétration des technologies numériques dans l’économie et dans les entreprises d’un pays (voir encadré ci-dessous).

L’Accenture Digital Density Index, soit la ‘densité numérique’ d’un pays, est un score composé d’une cinquantaine d’indicateurs, notamment le volume des transactions en ligne, l’utilisation du cloud ou d’autres technologies d’optimisation des processus, la pénétration des compétences technologiques dans une entreprise et l’adhésion de l’économie aux nouveaux modèles commerciaux numériques.

En mettant en relation le score de chaque pays en matière de densité numérique avec son produit intérieur brut (PIB), Accenture a pu confirmer que les deux éléments étaient fortement liés.

En Belgique, une hausse de cette densité de 10 points pourrait relever le taux de croissance annuelle moyenne de 0,25%, pour une contribution de 10 milliards d’euros au PIB en 2020. Cela correspond à une hausse d’environ 1,8% du PIB belge en 2020. Et l’on sait que ce qui concerne la Belgique ne peut, dans ce domaine, qu’être qu’applicable à la Wallonie!”

Laurent Grumiaux, de Fishing Cactus, y va lui aussi franco: “La plupart des emplois actuels et futurs dépendent totalement du numérique. La Belgique étant déjà difficilement compétitive sur le marché de l’emploi, avec des régimes fiscaux presque intenables pour les employeurs du secteur, être en plus à la traîne sur le plan technique et intellectuel dans le secteur du numérique nous renverrait au temps des cavernes.”

Laurent Grumiaux (Fishing Cactus): “Etre à la traîne sur le plan technique et intellectuel dans le secteur du numérique nous renverrait au temps des cavernes.”

Thierry Geerts, patron de Google Belgique, souligne pour sa part (en quelque sorte) que le train ne sifflera pas trois fois: “Nous ne sommes qu’au tout début de la “révolution digitale”. Or, à ce jour, la Wallonie est très en retard au niveau du développement de l’économie numérique. Il y a un rattrapage important à faire au niveau de l’e-commerce, mais aussi au niveau du numérique en général. La digitalisation va changer la façon de travailler pour toutes les entreprises, tous les indépendants du secteur, quelle que soit leur taille. C’est la compétitivité de toute l’économie wallonne qui en dépend.
La Wallonie a eu sa période la plus prospère au début de la révolution industrielle, il ne faut pas rater cette nouvelle étape.”

Benoît Hucq, directeur de l’Agence du Numérique (AdN – ex-AWT), ne fait pas partie du Conseil du Numérique, mais exprime, lui aussi, son opinion sur l’obligation de réussite qu’on attend.

C’est au fruit qu’on jugera l’arbre

A ses yeux, la manière dont les travaux de préparation se sont déroulés, sans être un gage de réussite, porte en effet en elle une quasi obligation de résultat. Plus de 200 personnes (experts, professionnels de divers secteurs…), rappelle-t-il, ont été mobilisées pour les besoins du Conseil du Numérique et des groupes de travail. L’intervention du cabinet Roland Berger a notamment permis de renforcer la qualité de la méthode et de la démarche.” Comment dès lors expliquer un échec?

Laurent Grumiaux estime, lui aussi, que la méthode suivie a remédié à certaines carences qui peuvent avoir miné le Master Plan préparé (et jamais sorti des cartons) voici 3 ans: “[Pour préparer le Plan du Numérique], les acteurs du secteur et les personnes qui font du numérique leur quotidien ont été insérés dès le départ dans les discussions et ont fait des retours d’expérience afin de guider les avancées du numérique dans ce qui aura le plus d’impact sur le terrain… Pas d’un point de vue théorique.”

Mais d’ajouter dans la foulée: “Je ne demande qu’à voir si les résultats des décisions correspondront à la qualité des remarques et propositions qui ont été faites par le secteur.”

Pour Benoît Hucq, d’autres signaux lourds de signification ont été donnés, en ce compris au niveau du politique: “Le Plan du Numérique s’inscrit dans le cadre du Plan Marshall 4.0 puisqu’il y est cité comme l’un des axes majeurs. Le Ministre-Président, Paul Magnette, a dit et répété que le numérique était important. La consultation des acteurs a été renforcée. Les personnes qualifiées qui ont participé aux travaux génèrent de la crédibilité mais aussi une énorme attente. Si le Plan du Numérique devait passer à la trappe ou si le processus devait n’accoucher que d’une souris, cela créerait inévitablement pas mal de vagues…”

Pierre Rion, président du Conseil du Numérique, ne raisonne pas autrement: “Le Conseil a été constitué avec des gens de l’extérieur. Jamais autant d’acteurs n’auront été mobilisés pour le numérique à l’occasion de ces Assises. Je ne vois pas les travaux rester lettre morte. Le politique se suiciderait… Et je serai de toute façon là pour leur secouer les puces!”

Autre mise en garde, dans la bouche de Laurent Grumiaux: gare si le Plan final devait être trop édulcoré ou ne pas tenir suffisamment compte du travail accompli. On n’y reprendrait pas une seconde fois les bonnes volontés: “les participants du Conseil de cette année ne réitèreront l’expérience que s’ils ont été pris au sérieux et si le résultat de leur travail se retrouve réellement dans des propositions concrètes de changement.”

Quelques souhaits

L’un des souhaits prioritaires qu’exprime Olivier de Wasseige porte sur la phase suivante: celle des choix qui seront posés par les instances politiques, sur base des documents qui lui auront été remis.

“Nous en sommes actuellement au début du processus: le plus important reste à faire. Le Conseil du Numérique doit donner ses priorités dans les prochaines semaines. Mais, surtout, le Gouvernement wallon devra décider!

Mon souhait est qu’il dégage un ensemble de mesures cohérent, permettant de réaliser de manière optimale et suffisante les projets choisis. Et qui dit choisir dit renoncer.” Selon lui, mieux vaut dès lors renoncer à certains points “plutôt que de saupoudrer les budgets disponibles entre trop de projets qui souffriront de manque de moyens. Puis restera à “réaliser”, pour que la Wallonie passe à une vitesse numérique largement supérieure!”

Olivier de Wasseige: “Mon souhait est que le gouvernement wallon dégage un ensemble de mesures cohérent, permettant de réaliser de manière optimale et suffisante les projets choisis. Peu importe les outils, pourvu qu’on ait les résultats!”

Le “top 3” de Laurent Grumiaux? Une meilleure intégration du numérique (équipements et cours) dans les écoles. Une meilleure promotion et des aides aux entreprises actives dans le secteur “qui doivent faire beaucoup de sacrifices, de recherche et d’investissements pour percer.” Et permettre de prendre des risques, de se tromper, via la mise en oeuvre de “bourses aux nouvelles idées”.

Le bon grain… et l’autre

Quels sont, selon nos interlocuteurs, les points les plus positifs qu’ils dégagent des travaux du Conseil du Numérique et des Ateliers thématiques?

Laurent Grumiaux: “L’ouverture d’esprit, les rencontres et le franc-parler de toutes les personnes présentes, ainsi qu’une vraie vision globale partagée.”

Thierry Geerts: “La qualité des gens autour de la table et des discussions. Mais aussi l’ambition du Ministre et du Conseil de rattraper le retard numérique, et la quantité et qualité des idées avancées.”

Thierry Geerts (Google): “L’initiative est fantastique, l’énergie nécessaire. Réfléchissons maintenant tous à la manière de les faire fonctionner pour soutenir le développement digital de la Wallonie!”

Mais, sur ce dernier point, il semble être ressorti des travaux du Conseil du Numérique avec des sentiments contradictoires puisqu’il déclare également qu’il y a en effet eu “beaucoup de bonnes idées mais peut-être trop peu de ‘grandes’ idées, à mon avis. La Wallonie pourrait avoir davantage de grandes ambitions…”