Xerox: rendre la mobilité urbaine adaptable au contexte

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Par · 25/06/2015

En 2009, Xerox rachetait la société américaine ACS (Affiliate Computer Services), spécialisée dans la gestion externalisée de processus métier ou opérationnels (business process outsourcing). Voir notre encadré en fin d’article. Clientèles: le monde des entreprises mais aussi dans secteurs tels que les transports, les soins de santé, les services financiers…

Cette acquisition a notamment permis à la société de prendre pied sur le terrain de l’analytique destiné à des applications de mobilité, notamment dans le cadre de projets de type “smart city”. C’est ainsi que les TEC wallons sont récemment devenus clients de Xerox. Nous vous en parlions tout récemment.

L’analytique, dans le contexte des smart cities et des problématiques auxquelles s’intéresse plus spécifiquement Xerox (transports publics, parking…), inclut notamment, l’analyse des données émanant de la validation de titres de transport, des comportements des usagers, des flux urbains… Technologies mises en oeuvre? Machine learning, data mining, analyse de textes, imagerie, traitement de flux visuels…

Evoluer vers le prescriptif

“Pour passer de l’analyse de type diagnostic au prédictif”, explique Craig Saunders, directeur de l’Analytics Resource Center de Xerox Consulting & Analytics Services, “on peut notamment s’appuyer sur le machine learning, sur les outils de simulation pour améliorer l’interaction avec l’usager, prédire les meilleures réponses possibles à apporter à ses besoins, déterminer, avec une précision raisonnable, les trajets, les habitudes… Il est par exemple possible de déterminer quelles personnes sont prêtes, selon certaines circonstances, à se déplacer davantage via tel ou tel mode de transport à marcher x centaines de mètres pour prendre tel moyen de transport ou garer leur voiture à tel ou tel endroit…”

L’étape suivante? L’analytique prescriptif. “En combinant de multiples sources et flux de données, il devient possible de définir des tarifications dynamiques pour les parkings afin d’optimiser l’utilisation des places de parking en rue mais aussi de désengorger l’espace urbain.”

Tarification adaptative

C’est ce que Xerox a réalisé avec son produit Xerox Merge pour la Ville de Los Angeles. Originalité: du “demand pricing”. A savoir, une tarification qui évolue selon les conditions de saturation ou, potentiellement, d’autres paramètres à déterminer.

Grâce au déploiement de capteurs intégrés au revêtement de la chaussée (6.000 à ce jour, bientôt 8.000) et au développement d’algorithmes de tarification, la ville peut aujourd’hui adapter dynamiquement les tarifs par zone ou espace de parking, en fonction de la densité de fréquentation, des heures du jour, de la période de l’année, ou d’une éventuelle politique visant à favoriser telle ou telle zone.

Les capteurs indiquent en temps réel si une place de parking est occupée ou non. Cette collecte temps réel des données génère des cartes qui sont visualisées dans un centre de contrôle qui adapte les tarifs en conséquence.

Pour désengorger certaines zones, éviter que des automobilistes ne viennent gonfler le flot de circulation aux heures de pointe, pourquoi ne pas proposer des tarifs de parking plus intéressants à certaines heures, en modulant tarifs et horaires selon les zones d’une ville?

Si l’on constate que les places de parking de certaines rues sont régulièrement engorgées (par exemple des rues commerçantes ou à proximité de bâtiments administratifs), pourquoi ne pas prévoir des tarifs temporaires plus intéressants dans des rues adjacentes ou à distance de marche (raisonnable)? Les tarifs sont alors mis à jour dynamiquement – et relayés via appli mobile – selon des scénarios variables et une “granularité” pouvant aller jusqu’à quelques minutes…

Idem si l’on constate que les places de parking sur une portion de la rue sont toutes occupées. Une appli signalera aux utilisateurs non seulement qu’il est inutile d’essayer de s’y garer mais aussi qu’une autre zone bénéficiera, pendant quelques minutes, d’un tarif plus avantageux. Autre avantage: éviter que des personnes cherchant désespérément une place, tournent à répétition dans une zone, surchargeant d’autant le trafic. Dans certaines villes, des études ont démontré qu’à certaines heures, jusqu’à 30% des voitures circulent à la recherche d’une place…

Résultats chiffrés du projet “demand pricing” de Los Angeles? “Sur un an, l’adaptation dynamique et modulable des tarifs s’est traduite par l’offre de prix inférieurs pour quelque 60% des places de parking concernées, tandis que le tarif a été adapté à la hausse pour 27% des places. L’encombrement des places de parking a diminué de 10%.”

Autre chiffre: le coût de la solution, calculé par place de parking: 10 dollars.

Big data ou smart data? Vu sous l’angle du budget

“Les quelque 6.000 capteurs installés dans les rues de Los Angeles sont un exemple de nouvelle méthode de collecte de données. On collecte certes moins de données [que dans un scénario big data] mais de manière plus intelligente pour déboucher sur de meilleures décisions”, déclare Christopher Dance, chercheur associé au Centre de recherche de Grenoble.

C’est pour des raisons identiques d’optimisation budgétaire que Tournai étudie aujourd’hui, de concert avec le centre de recherche Multitel, une solution de surveillance urbaine de la mobilité, reposant sur un dispositif le moins onéreux possible. Lire notre article.

Selon lui, il est également nécessaire d’adopter de nouvelles méthodes de collecte pour minimiser les coûts (déploiement massif de matériels, remplacement à répétition de dispositifs, de batteries, installation de réseaux…). “Il faut imaginer des méthodes de collecte qui permettent à davantage de villes de se permettre ce genre d’exercice, sans devoir dépendre d’un financement public.”

L’une des solutions consiste à ne déployer qu’un nombre restreint de dispositifs de collecte, en mode “échantillonnage intelligent”, avec possibilité de les déplacer vers d’autres endroits par la suite. Cela concerne non seulement des capteurs “nomades” mais aussi, par exemple, des caméras portables, montées éventuellement sur des voitures ou motos pour une analyse mobile des flux urbains. Dans le contexte d’une optimisation des parkings, l’analyse de ces derniers (densité de circulation, taux d’encombrement…) est alors combinée à des données de paiement venant de sources multiples (correspondant à des paiements par carte bancaire, via appli mobile, permis de stationnement, abonnements…).

Corollaire indispensable, selon Chris Dance: “des modèles d’utilisation qui ne sacrifient pas à la simplicité afin de pouvoir prendre en compte de multiples scénarios et discontinuités. Si le modèle est trop simple, il ne pourra pas s’adapter à tout changement que déciderait de faire une ville. Par exemple, un changement des tranches horaires où le parking est payant.”

Des “heat maps” pour visualiser les engorgements urbains.

Un acteur tel que Xerox se propose d’assister une ville ou un opérateur de parking (par exemple) de diverses manières: consultance, aide à l’intégration, sélection de fournisseurs, accompagnement pour les choix des zones à surveiller et analyser, des fréquences de collecte (qui peuvent varier d’une zone à l’autre), des tarifications à déployer…

“Des villes telles que Los Angeles, Washington, San Francisco, Indianapolis, Berkeley… nous permettent de valider les modèles, par ailleurs adaptables à des villes de plus petite envergure, et de comprendre la complexité que représente la problématique des parkings.”

Il formule plusieurs mises en garde: “Tenir compte des contraintes et objectifs de chaque acteur: les espaces de stationnement hors-rue (aéroports, gares, centres commerciaux, parkings…) sont souvent gérés par des opérateurs privés qui ont des objectifs différents d’une ville, responsable des places de stationnement en rue. Leur finalités est le profit, alors que les parkings gérés par le secteur public visent davantage le bien-être public.

Par ailleurs, une règle [établie pour une tarification et/ou pour une “fluidification” urbaine] ne reste pas valable pendant une longue période ou n’est pas forcément adaptable à d’autres villes. Si on perd cela de vue, on risque de passer à côté de l’objectif et de faire payer plus au citoyen sans améliorer pour autant la situation.”

Exemple typique: les règles et scénarios imaginés pour Los Angeles risquent fort d’être caducs ailleurs. Le trafic au centre-ville est en effet très spécifique étant donné qu’une importante frange (classique) de population en est exclue. A savoir: les habitants. En effet, peu de personnes habitent au centre-ville. Une réplication des règles et modèles à une ville européenne ne serait donc pas opportune. L’implication est double. “A Los Angeles, le but du projet n’est pas tellement d’optimiser les rentrées financières pour la ville mais de rendre plus efficace l’utilisation d’un nombre limité de places de parking”, explique Onno Zoeter, chercheur à Grenoble. “En Europe, il s’agirait plutôt de réussir un compromis entre usage résidentiel, trafic commercial et finalité loisirs.”

Des transports publics plus “malins”

La possibilité qu’a un opérateur de transports publics de pouvoir suivre, le plus possible en temps réel, la fréquentation de ses bus, trams ou trains lui permet de mieux adapter son service à la demande. C’est l’un des avantages que comptent notamment tirer les TEC de l’introduction de la carte Mobib. Voir l’article que nous consacrions récemment à l’usage que les TEC comptent faire, à court ou moyen terme, des données. 

Le scénario d’utilisation que nous esquissait Stéphane Thiery, directeur marketing du groupe TEC pourrait être poussé plus loin. Comment, par exemple, prévoir la capacité de transport à planifier le soir, pour les retours du bureau?

Calculer le nombre de personnes utilisant les transports est a priori simple: il suffit de comptabiliser le nombre d’usagers montant à bord à tel ou tel endroit. Certes. Mais comment savoir si, sur tel tronçon, ou telle ligne, le bus arrive par exemple à saturation? Impossible en effet de savoir quand les personnes en descendent.

Ou plutôt si… Si l’on restreint l’optique à l’analyse des usagers prenant le transport en public pour des raisons professionnelles, il suffit de mettre la “fournée” de données du matin en corrélation avec celles du soir. Le passager reprendra plus que probablement le bus à un endroit proche de son travail.

Cela permet donc de moduler la densité de service par tronçon ou ligne. Le recours à des heat maps permet de visualiser la fréquentation par zone, tronçon, période du jour ou de l’année… ainsi que par groupe d’usagers (en se basant sur les formulaires tarifaires, révélées par la carte).

Des heat maps permettent aussi d’analyser les besoins en étudiant les temps de parcours requis: s’il s’avère qu’un grand nombre de personnes mettent trop de temps pour arriver à leur destination, il devient possible d’intensifier le service (en ajoutant des bus).

En passant au mode prédictif par simulation, les solutions logicielles permettent désormais de simuler l’impact de l’ajout d’un bus sur le taux de charge et/ou sur le temps de parcours (le bus jouant par exemple au direct entre deux points très demandés, au lieu d’évoluer en mode omnibus). Même résultat si l’on simule l’impact d’un incident. En modulant selon l’heure du jour.

L’acquisition d’ACS (Affiliate Computer Services) par Xerox était plutôt atypique compte tenu de l’historique et du positionnement passé de Xerox (copieurs, imprimantes, gestion documentaire) mais correspondait par contre à une stratégie axée vers la numérisation et la dématérialisation des processus.

Désormais, la division Global Services de Xerox et son catalogue de services BPO représentent la majorité (65%) du chiffre d’affaires de la société. C’est dans cette division que se loge l’entité Xerox Consulting & Analytics Services.

L’acquisition d’ACS a eu pour effet de réorienter une partie des travaux de recherche et des prestations de services de Xerox et de ses centres de recherche (Palo Alto, New York, Bangalore ou encore Grenoble) vers problématiques nouvelles, dont certaines touchent directement à la “smart city”: mobilité urbaine, transports publics, parkings… “L’objectif de Xerox Research Center Europe”, explique par exemple Monica Beltrametti, directrice du centre de Grenoble, “est de prédire les changements disruptifs, d’étudier des domaines technologiques essentiels qui seront porteurs de changement pour le client. Le centre de recherche doit faire converger trois axes spécifiques: l’analyse du comportement et du contexte humains, les nouveaux modèles économiques et la technologie. Et cela inclut aujourd’hui l’Internet des Objets, le concept de machine intelligence qui permet désormais aux objets de “comprendre” leur environnement, de prendre des décisions. […] Cette évolution nous a conduit à augmenter nos compétences en analytique.”  [ Retour au texte ]