Quand les technologies manquent la cible

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Par · 29/04/2015

Dans une certaine – voire large – mesure, les applis mobiles ont déçu. Non en raison de leur côté attrayant (tout dépend du concepteur!) mais de leur taux d’utilisation par les touristes et visiteurs et, dès lors, de la faible rentabilité (à la conversion) qu’elles apportent.

C’est un discours que nous avons retrouvé dans la bouche de nombreux interlocuteurs.

L’investissement de départ, non négligeable, ne se justifie pas au vu du faible taux de téléchargement et d’utilisation.

“Les applications touristiques, le développement de services — de navigation ou autres — coûtent cher”, indique par exemple Céline Thomas, responsable Développement touristique et marketing de la Maison du Tourisme de Wallonie picarde. “Or, le nombre de téléchargements est décevant. Nos collègues de la Province de Flandre occidentale nous l’ont eux aussi confirmé. Avec quelque 3.000 téléchargements, difficile de justifier l’investissement…” Selon elle, il vaut dès lors mieux s’appuyer sur des plates-formes génériques qui proposent des applis et qui disposent déjà d’un public-cible.

La solution iBeaken combine QRCode, balise NFC et adresse Web, afin de renvoyer le “mobinaute” vers un micro-site d’information (texte et image en HTML5) dédié au lieu visité. Le moyen de “consommer” aisément des histoires courtes, légendes, anecdotes, faits et chiffres.

Floreffe: quand QR codes et balises vous changent une table panoramique…

Pas d’application ou d’information à précharger. On scanne le QR code (ou on introduit le code “en clair” sur son portable) et le navigateur établit la connexion vers le micro-site. “C’est du tourisme instantané, sur ce que je vois et ce qui m’intéresse”, explique Jo Van Hove.

Exemples d’implémentations? La ville d’Andenne en a doté son musée de la Céramique ainsi que le panorama au sommet du Calvaire. De même, l’Office du tourisme de Floreffe a installé une table panoramique avec QR code et puce NFC à Saint-Roch.

Jo Van Hove, qui est à l’initiative de la société iBeaken (solution basée sur le principe des QR codes – voir ci-contre), est tout prêt à jeter le gant. “Comment justifier un investissement de départ de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’euros quand il n’y a que quelques centaines de téléchargements par an?”

Petit calcul rapide. Coût d’un projet théorique: 20.000 euros (notamment pour couvrir les frais de développement pour 3 OS et de multiples “devices”). Masse potentielle de touristes? Un million. Dont statistiquement seuls 50% pourraient être intéressés par une appli touristique… qui ne sera téléchargée que par 1% d’entre eux. Soit 500 téléchargements par an et un investissement par téléchargement de 40 euros! A monétiser…

L’attractivité proprement dite d’une solution donnée n’est pas forcément en cause mais comme elle est noyée dans le flot d’applis plus ou moins similaires…

“Barcelone, par exemple, attire 6 millions de visiteurs par an mais il y a 250 applis qui proposent la même chose. Nombre de touristes se contentent par ailleurs de ce qu’ils connaissent et n’ont donc pas besoin d’une appli… Si vous n’êtes pas actifs sur un territoire qui peut s’appuyer sur une réserve de 2 ou 3 millions de touristes, cela n’en vaut pas la peine.”

A ses yeux, l’une des solutions pour la Wallonie serait donc de travailler en trans-frontières. Comme ce projet de “Grand Plateau des Ardennes” qui couvrirait un large territoire, depuis Namur jusqu’à l’Alsace, le Grand-Duché de uxembourg, les zones limitrophes allemandes… Encore faut-il que tous les opérateurs concernés s’accordent…

Jo Van Hove (iBeaken): “Si vous n’êtes pas actifs sur un territoire qui peut s’appuyer sur une réserve de 2 ou 3 millions de touristes, cela n’en vaut pas la peine.”

Nombreux sont donc les acteurs du tourisme qui se tournent vers d’autres modes d’activation et de captivation du touriste: QR codes (qui apparaissent déjà comment ringards), balises beacon non liées à une application… Est-ce là un “trou d’air” passager pour les applications mobiles, un manque de contenu réellement attractif et/ou de valeur ajoutée? La question est posée.

En attendant un roaming plus abordable…

Si les applis émanant ou commanditées par des acteurs locaux font encore défaut, c’est parce que la cible est largement imitée à une clientèle locale. Pour cause (notamment) de coût trop élevé imposé par les tarifications de roaming. Un touriste étranger se ruinerait pratiquement à télécharger en temps réel du contenu dynamique, surtout s’il inclut de l’audio et de la vidéo. De toute évidence, cela freine nombre d’opérateurs qui ne peuvent espérer un retour sur investissement pour les budgets à prévoir.

Philippe Depuydt (Gemotions): “Une carte SIM européenne boosterait considérablement l’e-commerce et l’e-tourisme.”

A Bruxelles par exemple, VisitBrussels, l’agence de communication du tourisme de la Région bruxelloise, attend que les tarifs de roaming deviennent plus abordables pour espérer franchir un cap.

Pour l’heure, l’appli mobile mise à disposition (voir notre autre article), continue donc de fonctionner en mode offline, imposant donc un téléchargement préalable. Un fonctionnement “toujours connecté” avec chargement systématique à chaque point d’intérêt serait trop pénalisant, financièrement. Surtout si l’on veut de la vidéo. “Les problèmes de roaming ont une influence indéniable sur les choix stratégiques que nous posons et donc sur l’offre que nous pouvons proposer aux visiteurs étrangers”, regrette Olivier van de Kerchove, Online Media Manager de VisitBrussels.

L’argent, nerf de la guerre

La rentabilité d’applications mobiles destinées au tourisme est une pierre d’achoppement pour de nombreux créateurs. La solution (ou une partie de la solution) pourrait se trouver en s’écartant un peu de la cible touristique pure et dure.

Plutôt que de limiter le cadre aux seuls opérateurs touristiques et culturels, pourquoi ne pas embrigader une cible qui profite tout naturellement de la venue de touristes — à savoir, les commerçants locaux? Des promotions croisées, avec inclusion de contenus du genre points de petite restauration, boutiques souvenirs, artisans locaux… intéresseraient non seulement le touriste mais pourraient être monétisées auprès de ces partenaires.

C’est l’une des pistes auxquelles réfléchit par exemple Philippe Depuydt de Gemotions. “J’estime que quelque 10.000 personnes ont désormais utilisé notre jeu de piste Bruxelles Insolite et sont donc passées devant la vitrine de Wittamer. Il y a là un intérêt flagrant pour le commerçant s’il peut, d’une manière ou d’une autre, augmenter sa visibilité [via l’appli] auprès des touristes…”

L’appli (quelle qu’en soit la nature) doit évidemment être réellement “intelligente”. En exploitant les potentiels de la géolocalisation et du croisement de données avec diverses sources, elle peut rendre service au touriste en s’adaptant aux circonstances. Une rue bloquée, un site ou un commerce fermé? Un parcours de remplacement est calculé en temps réel. Le ré-aiguillage automatique devient ainsi une de débrouillardise 2.0. Dixit Philippe Depuydt.

L’intérêt de chercher d’autres sources de financement pour une solution d’e-tourisme est d’autant plus grand que, notamment mais pas exclusivement pour des raisons de crise et de restrictions budgétaires, des acteurs tels que les Maisons du Tourisme “sont plutôt attentistes, loin d’être des précurseurs en matière technologique”, estime Philippe Depuydt.

Jo Van Hove, lui aussi, avait exploré cette piste du commerce comme levier d’attractivité et de monétisation mais les résultats ne sont pas forcément probants. “Même avec une solution à faible budget telle celle d’iBeaken [l’abonnement annuel pour chaque site est de 399 euros], avec une interface qui permet de créer du contenu et un programme de loyauté [des points pouvant être échangés dans les commerces locaux], l’utilisateur abandonne après avoir accumulé quelques points. Je le vois très nettement dans notre système de back-office…” La raison? “Entre ce que veut le touriste et ce que l’opérateur propose, il y a souvent une grosse différence…”

Conclusion: quelle que soit la technologie visée, les opérateurs touristiques semblent encore avoir beaucoup de travail d’étude de business model et d’opportunité devant eux avant de trouver un juste équilibre entre satisfaction d’attentes (parfois immodérées) et contraintes en tous genres.