Qui pour former les commerçants au numérique?

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Par · 23/02/2015

Quand on fait un petit tour de l’accueil qui est réservé aux formations offertes chez nous aux commerçants voulant se lancer ou se former davantage à l’e-commerce, on entend des réactions du genre: formations pas adaptées, trop technico-techniques, manque de temps du côté des commerçants… jusqu’à l’argument-qui-tue, selon lequel “le numérique, de toute façon, ce n’est pas pour nous; nos produits [ou services] ne s’y prêtent pas.”

Certaines formations ont tellement été boudées qu’elles ont disparu des catalogues. Ce fut le cas notamment à l’IFAPME.

Autre constat: les premiers intéressés ne sont pas forcément au courant de ce qui existe ou sont pas forcément persuadés que l’organisation – ou la société commerciale – qui les propose soit la mieux placée pour la donner. Question de confiance, souvent.

Entre gens de même métier

“Il y a encore un grand travail d’information et de formation à effectuer par les fédérations professionnelles (UCM, COMEOS, CCI, AIHE, UWE,…) et par les clubs d’entreprises dans les zonings gérés par les intercommunales de développement économique”, déclare Damien Jacobs, consultant (Retis).

Voir par ailleurs le petit répertoire de formations que nous avons dressé.

“L’offre existante est plutôt de qualité mais peut-être insuffisamment connue. J’estime qu’une formation est plus efficace si elle est prise en charge par une association ou fédération en faveur de ses membres dans la mesure où elle connaît mieux leurs besoins et peut adapter la formation à leur profil.”

De même, les associations de commerçants sont, à ses yeux, les meilleurs relais possibles afin de pouvoir optimiser la mutualisation.

Selon lui, la cible prioritaire [pour des formations] doit être celle des fabricants, des artisans, des exploitants d’usine qui fabriquent des produits B2B”. En d’autres termes, là où se situe le retard le plus criant (en Wallonie). voir notre article . “C’est là qu’il y a le plus d’opportunités de développement des ventes, en ce compris à l’international. des opportunités qui, pour l’instant, ne sont pas saisies…”

Ce n’est pas la foule mais…

Depuis quelques années, l’UCM (l’organisation patronale qui représente les indépendants et PME francophones) organise des formations. A une échelle encore modeste. En dépit de certaines critiques, l’UCM réfute que ces formations n’aient pas rencontré de succès. “Plus de 325 personnes (commerçants) ont participé aux 11 ateliers thématiques que nous avons organisés en 2014.”

Profil de ces commerçants, en termes de présence ou “maturité” numérique? “Deux-tiers avaient au minimum un mini-site ou une présence en-ligne. 15% environ disposaient d’un site permettant de faire de l’e-commerce.” Ce qui, reconnaît l’UCM, “est loin d’être optimal.”

D’autant plus qu’à y regarder de plus près, la situation est moins encourageante que ces chiffres pourraient le laisser penser. En effet, la notion de “présence en-ligne” est prise au sens très large par le questionnaire proposé par l’UCM. A telle enseigne que cette “présence” est parfois minimaliste et indirecte… via simple signalement dans un répertoire en-ligne d’une association!

Reste que, généralement, les commerçants qui prennent part à ce genre de formations sont déjà des convaincus – ou des curieux. Les plus réfractaires ou dubitatifs, par rapport aux vertus du commerce numérique, doivent eux encore être convaincus.

Des formations… qui n’en étaient pas

Les formations qu’a proposées l’UCM, en 2013 et 2014, couvraient le b.a.-ba d’une présence en-ligne. Largement en aval et en retrait, donc, par rapport à des formations réelles en e-commerce. Les thèmes abordés concernaient davantage les manières pour un commerçant d’avoir une présence en-ligne (référencement, relais de promotion, présence sur les réseaux sociaux…).

Carol Dannevoye (UCM): “Au fil des ateliers, les participants prennent conscience que l’e-commerce n’est pas forcément pour eux en raison de la lourdeur de la logistique à mettre en oeuvre.”

“Comment faire, comment être présent en-ligne, comment investir efficacement dans du référencement pour doper la visibilité, comment promouvoir son commerce de manière plus dynamique via les réseaux sociaux”, énumère notamment Carol Dannevoye, chef de projet Commerce et Fédérations professionnelle à l’UCM.

“Au fil des ateliers, les participants prennent conscience que l’e-commerce n’est pas forcément pour eux en raison de la lourdeur de la logistique à mettre en oeuvre. Le tout pour lui est de déterminer si l’avantage potentiel (accroissement de clientèle, extension géographique de sa chalandise…) justifie l’investissement que représente la création d’un site de vente en-ligne.”

A souligner par ailleurs que ces séances sont ponctuelles et courtes (seulement deux heures).

Cette année, le programme n’a pas encore été établi mais l’intention est d’orienter davantage les formations vers la pratique et la mise en oeuvre d’outils et solutions: création d’une page Web, contrôle de l’efficacité d’un référencement…

Ce qui ne veut pas dire que l’UCM snobe pour autant l’e-commerce et les perspectives qu’il offre potentiellement aux (petits et moyens) commerçants. Au contraire, Jonathan Lesceux, conseiller à l’UCM, insiste sur le fait que l’organisation attend avec impatience que les mesures qui seront décidées dans le cadre du Plan Marshall 4.0 se précisent. “Nous sommes pour l’instant dans l’expectative. Il n’est en effet pas certain que l’e-commerce en fasse partie. Or, la visibilité qualitative d’un commerçant devrait être une priorité et pas uniquement la (ré)industrialisation de la Région. Le commerce représente 15% de l’emploi privé en Wallonie. L’e-commerce constitue une source de préoccupation en ce sens que si rien n’est fait, c’est à une fuite de chiffres d’affaires que l’on s’expose. Déjà à l’heure actuelle, 6 achats en-ligne sur 10 sont fait sur des sites étrangers… Le risque est donc de perdre encore plus de chiffre d’affaires et donc d’emplois.”

L’“expectative’ dans laquelle l’UCM dit aujourd’hui se trouver est encore renforcée par le fait que le financement de ses activités de sensibilisation et de formation pour commerçants venait de l’ASE (Agence de Stimulation Economique). Sa fusion avec l’AST pour devenir l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation) a donc suscité un certain flou par rapport à la continuité de certains mécanismes. “Les commerciaux locaux ont besoin de se professionnaliser.” L’AEI a donc, là aussi, un sujet dont elle devrait se préoccuper.

Qui à la manoeuvre?

Qui doit prendre le taureau [de la formation] par les cornes? L’un ou l’autre acteur public, les ADL (agences de développement local), des centres de compétences tels que Technofutur TIC, les associations de commerçants?

Petit florilège d’avis que nous avons récoltés.

A l’échelon local, les ADL par exemple, mais aussi les associations de commerçants ou les communes, ont un rôle à jouer, estime Christophe Fruytier (Teasio). Par exemple, en assurant de la veille technologique, “en recherchant des solutions, en en sélectionnant certaines qu’elles peuvent présenter à leurs commerçants.” Autre rôle possible: organiser et proposer des formations “pour expliquer aux commerçants ce qu’ils devraient faire.”

Le problème est que, sur le terrain, on s’aperçoit que les ADL ou encore les associations de gestion centre-ville ne sont guère technophiles ou portées sur le numérique. L’AMCV, par exemple (association du management de centre-ville) ne s’est pas encore saisie de ce thème.

Avec l’exception récente de Dour où s’est récemment déroulée une expérience-pilote nous vous en parlions récemment – qui, moyennant quelques moyens (Interreg?) et des collaborations (Agence du Numérique? UCM?), pourraient faire des émules et des petits.

Pour Carol Dannevoye (UCM), “il ne faut pas rejeter la responsabilité sur les associations de commerçants qui procurent déjà suffisamment d’informations. Mais leur rôle et leur pôles d’intérêt sont davantage axés sur des problématiques locales (heures d’ouverture, organisation de braderies, accessibilité des parkings…). Elles ont énormément de thèmes à gérer alors qu’elles ont peu de moyens et se reposent largement sur des bénévoles. Il est logique qu’elles ne soient pas à la pointe.

Chaque commerçant peut lui-même prendre conscience de l’importance qu’il y a pour lui à être présent en-ligne. Par contre, il revient en effet à l’association de les soutenir. Bien souvent, les associations ne sont pas conscientisées par rapport à la présence en-ligne. A cet égard, nous les considérons donc également comme des interlocuteurs [à sensibiliser].”

Mais, pour elle donc, le destinataire de ces formations doit être le commerçant en direct. Pas question, aux yeux de l’UCM, de procéder par la formation de formateurs. “Ce serait risquer de diluer le message.”

L’appréciation est légèrement différente par rapport aux ADL: “elles peuvent renforcer le support qu’apportent les associations, en faisant appel à nous afin que nous organisions des formations. Il serait intéressant de pouvoir les conscientiser aux nouvelles méthodes. Elles ont du personnel qu’elles peuvent mobiliser et elles entretiennent des liens avec les échevins en charge des commerces.”

Un cran plus haut?

Georges-Alexandre Hanin (Mobilosoft), lui, pense aux communes. Selon lui, les échevins chargés du commerce peuvent jouer un rôle. Par exemple en investissant dans des plates-formes “communautaires” où se retrouveraient les commerçants locaux. A condition de constituer une “équipe forte”, capable de prendre ce genre de dossier à bras-le-corps. Et aussi d’e “veiller à se lier à des prestataires agnostiques par rapport aux médias sollicités”. Autrement dit, un partenaire qui mette en oeuvre une plate-forme pouvant diffuser des informations sur une multitude de canaux numériques- Facebook, Google Plus, TagTagCity, MyShopi, Yelp… Se limiter à un seul canal c’est aussi s’exposer à tout perdre s’il ne marche pas.”

Vincent Bultot: “les pouvoirs publics pourraient par contre jouer un rôle d’incitation en subsidiant (partiellement) les formations.”

Mais si les villes, les communes, voire les ADL n’ont pas les compétences nécessaires pour procurer des formations, les pouvoirs publics pourraient par contre jouer un rôle d’incitation en subsidiant (partiellement) les formations, estime Vincent Bultot (NearShop).

“Pourquoi ne pas prévoir, comme cela se fait dans le monde des assurances, des séances de formation remboursables?” Autrement dit, le commerçant recevrait une petite somme pour sa formation. Condition préalable: désigner des formateurs sérieux et mettre des garde-fou pour éviter l’effet d’aubaine et veiller à des formations réellement suivies et efficaces.

Lui-même envisage sérieusement de se lancer dans l’offre de formations courtes et axées sur la pratique. “Des séances d’une heure pour expliquer les outils, les pratiques. Avec mise à disposition d’un petit guide qui expliquerait le “parcours” d’un e-commerçant. Une sorte de “e-commerce pour les nuls”. En commençant par les fondamentaux. Pour amener les candidats e-commerçants à se poser les bonnes questions: quelle valeur ajoutée amener via le commerce numérique, quelles sont les opportunités réelles par type de produit et par comportement client, qu’est-ce que cela implique de devenir e-commerçant…”

Des micro-Rentic?

Damien Jacobs, consultant indépendant (Retis), lui aussi, pense à des aides à la formation: “il faudrait davantage soutenir le conseil en amont du projet, lors de la définition de la stratégie commerciale, via un système du style “chèque à la consultance”.

“L’aide RENTIC a un sens pour les projets e-business complexes, car elle permet d’accompagner sur une période entre 3 mois et 1 an. Mais pour des commerçants et fabricants qui se demandent comment se lancer dans la vente en ligne, un conseil de courte durée (3 à 6 jours) serait nécessaire.” Pour des conseils visant les fondamentaux: définition du positionnement stratégique, de différenciation concurrentielle, de choix et cadrage des dépenses logistiques, marketing… “Trop souvent encore, ceux qui se lancent croient que le fait de développer un site d’e-commerce, qui mangera sans doute 90% de leur budget, suffit pour se lancer efficacement. En réalité, tout reste à faire… Dans ces conditions, autant passer par e-Bay pour économie le budget réalisation de site…”

A l’Agence du Numérique, on dit être favorable à cette idée de consultants “à la Rentic” pour de courtes missions, spécifiques. Une proposition en ce sens a d’ailleurs été soumise au Cabinet du ministre Marcourt (ministre de l’économie et du numérique). L’idée: “remodeler” les aides e-business, consacrer une partie de l’enveloppe existant pour les subsides e-business à des missions courtes, sur des problématiques plus ciblées.

Quid de la piste des centres tels Technofutur TIC ou TechnocITé pour prendre en charge et organiser des formations numériques pour commerçants (en ce compris, éventuellement, à distance)? L’idée est émise mais il faudra, au préalable, adapter le contenu des formations qui, aujourd’hui, visent essentiellement les chercheurs d’emploi ou les personnes en reconversion professionnelle.