Guide pratique du Living Lab: pour maîtriser un concept atypique

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Par · 13/02/2015

Même si le concept de “living lab” n’est pas, à proprement parler, une nouveauté et même si l’on dénombre déjà plusieurs centaines d’expériences de ce genre à travers le monde, tous ceux qui veulent se lancer dans ce genre d’initiatives font très vite le constat qu’il n’existe pas de recueil de bonnes pratiques, de guide. Ce qui d’ailleurs n’est pas étonnant tant ce concept de création collective, de recherche et innovation avec le concours des premiers intéressés – les utilisateurs finaux – veut privilégier spontanéité et flexibilité dans les démarches.

Toutefois pour éviter de répéter certaines erreurs ou de devoir à chaque fois “réinventer la roue”, plusieurs initiatives ont vu le jour pour documenter les concepts, les ficelles de la gouvernance, faire émerger certaines bonnes pratiques… Parmi ces documents de référence, citons “Le Livre blanc des Living Labs”, publié par Umvelt/SAT (Montréal).

Carte mondiale des Livings Labs (2012). Source: ENoLL.

Objectif que dit viser le document: “rassembler, de manière exhaustive, les méthodes et outils utilisés afin d’établir une ligne de base pour renforcer les pratiques des Living Labs existants et aptes à porter encore plus loin le développement futur du mouvement Living Lab.”

Le Livre blanc s’est notamment attaché à répertorier et à documenter les “meilleures pratiques en termes de gestion stratégique, selon 3 axes: gouvernance, modèle d’affaire et création de valeur dans les 3 dimensions du système C-S-A: Connaissance – Social – Affaires”.

Une définition

Petit rappel de ce qu’est un living lab. De nombreuses définitions existent mais le livre blanc en retient une en particulier: “méthode de recherche en innovation ouverte qui vise le développement de nouveaux produits et services. L’approche promeut un processus de co-création avec les usagers finaux dans des conditions réelles et s’appuie sur un écosystème de partenariats public-privé-citoyen. […] Les Living Labs permettent la formulation, le prototypage, la validation et le raffinement de solutions complexes à travers l’expérimentation dans des contextes de vie réelle.”

Précision: l’“usager” revêt de multiples visages: “consommateurs, citoyens, clients, fournisseurs, employés, communautés d’intérêt, partenaires privés, visés par le produit ou le service développé.”

Exemple dans le domaine de la santé, les “usagers” seront à la fois:

– “les patients, lorsqu’ils sont directement les utilisateurs du produit ou service;

– les communautés de patients qui se constituent autour d’une situation de santé spécifique (par exemple, une association de patients hémophiles);

– l’entourage d’un patient;

– les professionnels de la santé ou d’autres professions connexes;

– les professionnels techniques liés aux produits ou aux services.”

La co-création s’instaure par ailleurs entre des acteurs qui n’ont pas pour habitude de travailler de concert. Le livre blanc utilise l’expression suivante: “collaborations non naturelles liant des usagers, des chercheurs, des entreprises et/ou institutions publiques.”

Quelques chiffres

– Entre 2006 et 2013: 370 Living Labs ont été répertoriés et labellisés par l’ENoLL (European Network of Living Labs) dans plus de 40 pays (au-delà donc des frontières européennes même si la majorité de ces labos répertoriés sont en effet situé sur le sol européen).

– 10% des living labs homologués ont choisi le thème de la santé

Les bonnes pratiques

Les bonnes pratiques et expériences concluantes que le livre blanc tente de dégager des multiples initiatives ayant vu le jour jusqu’ici portent sur divers aspects de la création et de la gestion d’un living lab.

1 – Sa gouvernance: comment le Living Lab est-il géré? L’équipe, les animateurs sont-ils efficaces en termes “de gestion de projet, d’animation, de motivation des participants, de collecte de données et d’analyse des activités”?

2 – Le modèle d’affaire: le produit ou service imaginé a-t-il été commercialisé ou est-il destiné à l’être? appel a-t-il été fait à un partenaire de valorisation?

Source: CETIC

En termes de modèle d’affaires, la question qui est posée est en fait celle du financement et de la viabilité à long terme, sur moyens propres, d’un living lab. Le livre blanc évoque plusieurs possibilités à cet égard: génération de revenus, services liés aux projets d’expérimentation, services complémentaires, “membership” des partenaires…

3 – La création de valeur. Celle-ci se définit en 3 axes, le fameux C-S-A qui sous-tend, dans des proportions variables, le modèle de tout living lab: Connaissances (savoir généré, compréhension améliorée d’un phénomène, partage de connaissances…); Social (retombées sociales), Affaires (valeur économique produite). Selon les projets, le poids de chaque axe sera potentiellement différent.

4 – La mesure du ROI (retour sur investissement).

Trois méthodes s’appliquent dans ce domaine:

• “mesure à l’échelle des projets d’expérimentation (nombre de projets, stades de développement, retombées financières, effets structurants);

• mesure à l’échelle de la structure du living lab (financement obtenu, nombre de partenariats créés, nombre d’usagers mobilisés, etc.);

• mesure à l’échelle de l’écosystème du living lab (indicateurs soft sur les impacts structurants dans les communautés, nombre de produits et de services créés, etc.).”

Objectiver la subjectivité

L’un des défis majeurs du travail d’un living lab, compte tenu de sa nature collaborative, fortement empirique, est de collecter, structurer et objectiver les informations qui naissent de ses activités et les résultats générés.

“Les Living Labs ne sont pas une panacée, mais au-de-là du mot-valise, ils représentent un intérêt indéniable pour repenser nos pratiques innovantes. La profondeur de la démarche et l’intérêt grandissant pour la documentation des pratiques qui les constituent témoignent déjà de la contribution significative du modèle au paysage de l’innovation ouverte.”

Le rapport Umvelt/SAT relève ainsi que “la plupart des living labs acquièrent de l’information subjective. Certaines études empiriques ont été initiées dans de petits groupes de labs afin de caractériser plus efficacement la valeur extraite des expérimentations. […] Une démarche visant à comparer les différentes initiatives entre elles bénéficierait à la communauté et favoriserait le démarrage de nouveaux Living Labs.” De même, “schématiser les pratiques, méthodes et outils” permettrait d’offrir un guide utile, évitant que chacun réinvente la roue ou se fourvoie dans de mauvaises directions.

5 – L’évaluation des résultats d’expérimentations et créations

Il s’agit ici de tenir compte et de combiner indicateurs “hard value” (produit ou service imaginé) et “soft value” (amélioration de la qualité d’une utilisation, modification induite dans un processus ou une organisation, découverte de nouveaux marchés, plus forte prise de conscience du marché face à certaines problématiques…)

Mais comment “mesurer” un indicateur impalpable tel que le progrès des connaissances? Pistes évoquées: l’envergure des recherches développées, le nombre de publications académiques, le rayonnement international, ou encore le niveau de compétences acquises par les usagers (perceptuelles, cognitives, intelligence collective distribuée et située) .

Dans un contexte commercial, les indicateurs sont davantage classiques:

– nombre de nouveaux produits/services innovants et à valeur ajoutée validés au niveau local

– mesure de longueur des cycles (R&D, mise en marché, etc.)

– temps et degré d’adoption technologique

– fluidité des canaux de communication entre les usagers et les entreprises

– nombre de PME mobilisées, crées, incubées

Le livre blanc cite par ailleurs quelques exemples de solutions:

– recueillir des données in situ par des outils de télécommunication permettant d’échanger avec les usagers (plates-formes Internet, solutions de téléprésence, etc.).

– utilisation de l’ICT (médias sociaux, ideagoras, groupes de travail en ligne, etc.) afin de faciliter la communication et la collaboration entre les parties prenantes.

– (dans le secteur de la santé) collecte d’informations en créant des résidences au sein des espaces de vie des usagers participants.

Partager mais jusqu’où?

L’un des sujets sensibles du phénomène des living labs est la manière de gérer, protéger la propriété intellectuelle. C’est le point suivant qu’aborde le livre blanc

6 – Propriété intellectuelle

“La propriété intellectuelle fait habituellement l’objet d’une entente ad hoc conclue avant les activités de développement. Dans certains cas, la propriété intellectuelle pourra appartenir aux différentes parties prenantes (chercheurs académiques, institutions publiques ou entreprises privées) selon différentes formes “propriétaires” (brevets, marques de commerce); “ouvertes” (de type creative commons); ou “hybrides” (licence d’utilisation privilégiée).”

“Protéger ou accélérer [l’innovation]?”, s’interroge le rapport. Avec la proposition suivante: “Les demandeurs de services dans un Living Lab sont généralement plus sensibles à la réduction des cycles de développement et à la réduction du risque de R&D qu’à une protection extensive de l’innovation qui en découle. Ceci peut s’expliquer, en partie, par le fait que dans le secteur des T.I.C., la durée de vie des innovations est de plus en plus imprévisible et la capacité des concurrents à prendre du terrain, de plus en plus rapide.”

7 – Recrutement et participation des usagers

En début de projet, le processus de recrutement d’usagers pour venir constituer la communauté (création, prototypage, test) passe de préférence par un recours à “méthodes ciblées, visant à rejoindre des usagers via un réseau de confiance”, conseille le livre blanc. “Par la suite, lorsque l’expérimentation se fait à plus grande échelle, on peut employer des méthodes de recrutement à large portée, plus anonymes incluant l’usage de plates-formes numériques.

Quelques exemples?

– identification de possibles réseaux d’usagers, de communautés et de “hubs” (par exemple, une résidence de personnes âgées) pouvant faciliter et porter le processus de recrutement

– organisation de séances d’informations, d’ateliers de présentation

– organisation de “break-out events”, autrement des événements de cocréation qui se tiennent dans des lieux publics (centres commerciaux, transport en commun, etc.)

– publicité dans les réseaux sociaux “comme Facebook ou Twitter ou sur une plate- forme numérique dédiée au projet”

– implication active du partenaire du projet.

Animer, alimenter, fidéliser

Le rapport étudie aussi la manière de fidéliser une communauté, comment guider un processus d’innovation – depuis la formulation de l’idée jusqu’au déploiement du résultat, en passant par les phases de test, de protypage. Avec les étapes successives que sont l’idéation, la co-création, l’exploration, l’expérimentation, l’observation des usages (pré-existants et expérimentés), l’évaluation etc.

Processus expérimental itératif au sein d’un Living Lab, inspiré de Stahlbröst & Holst (2012).

On trouve aussi dans le document une série de fiches répertoriant les divers outils et méthodes pouvant être utilisés (ou l’ayant été par divers living labs) tout au long de ces différentes phases. Ou encore des conseils pur la gestion d’un living lab, d’un projet, d’une communauté…

Sans oublier le sujet du financement. Généralement, ce sont les pouvoirs publics, locaux, régionaux, nationaux voire européens, qui financent tout ou une large partie des living labs. Ce qui induit aussi une certaine fragilité: une fois la période de subventionnement (2 ou 3 ans) arrivée à son terme, le living lab s’étiole, voire disparaît. Et l’on ne parle pas ici uniquement des projets auxquels il donne naissance et anime mais aussi et surtout de la structure, de l’écosystème qui avait vu le jour.

Certains living labs tentent donc des relations avec les industriels et le monde des entreprises comme source de financement et de (meilleure) pérennité.

Que dit le rapport Umvelt/SAT? “Une réflexion s’impose afin d’établir un dialogue constructif avec les groupes d’investisseurs pouvant trouver un intérêt au modèle à titre de partenaires financiers ou même à titre de parties prenantes sur des projets d’innovation ouverte.”

Pour rentabiliser le fonctionnement d’un living lab, il est par exemple possible de faire (co-)financer des projets par des industriels et entreprises parties prenantes à l’initiative. Ou encore “monnayer” les résultats des expérimentations et développements. Exemples cités dans le rapport: “une prise de revenus provenant du transfert d’actifs de propriété intellectuelle à des investisseurs ou à une entreprise de distribution, OEM, VAR, etc.” ou “une prise de participation aux revenus des technologies issues du Living Lab.”

Le document “Le Livre blanc des Living Labs”, publié par Umvelt/SAT, peut être demandé via ce site.