Livre vert européen “Mobile Health”: entre opportunités et risques

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Par · 17/12/2014

Voici quelques mois, la Commission européenne publiait un “Livre vert” sur le thème de la santé mobile doublé d’une consultation publique (un résumé des conclusions devrait être publié d’ici la fin décembre 2014).

L’objectif du livre vert était de cerner la situation et les perspectives des solutions mobiles appliquées au secteur des soins de santé- qu’il s’agisse de l’utilisation d’équipements de télésurveillance, de systèmes ou d’applications mobiles (suivi de la santé et du bien-être, applis d’information, de motivation, de relais de conseils…).

La consultation publique, elle, s’est déroulée d’avril à juillet de cette année et visait à recueillir les avis de toutes les parties concernées (1) afin de “trouver des moyens d’améliorer la santé et le bien-être des Européens grâce aux appareils portables tels que les téléphones, les tablettes, les dispositifs de surveillance des patients et d’autres appareils sans fil.”

(1) associations de consommateurs et de patients, professionnels de la santé et organisations du secteur de la santé, autorités publiques, concepteurs d’applis, fournisseurs de services de télécommunications, fabricants d’appareils portables, particuliers…

La consultation balayait un vaste éventail de terrains: depuis celui de la sécurité et de la protection des données jusqu’au rôle attendu des systèmes de soins de santé, en passant par les modèles remboursement, le big data et les problèmes d’interopérabilité.

Les résultats une fois analysés permettront à la Commission de “prendre des mesures au niveau de l’Union européenne afin de soutenir le déploiement de la santé mobile.”

Les défis

Le livre vert revient sur les principaux enjeux et défis de la santé de demain: vieillissement de la population, hausse des coûts des soins de santé, diminution des moyens et ressources…

Le document est, pour une bonne part, un réquisitoire pour le déploiement des technologies mobiles dans le monde de la santé, considérées comme potentiellement porteuses de nombreux avantages.

Parmi les effets positifs évoqués, citons:

– une plus grande implication du patient dans son suivi de soins;

– des diagnostics et traitements plus précis reposant sur une surveillance (quasi) constante qui fournit davantage de données (médicales, physiologiques, mode de vie, activité quotidienne, environnement…);

– un allégement de la charge des hôpitaux en permettant une certaine dose de télémédecine (télésurveillance, télédiagnostic, télé-prescription…);

– une meilleure prévention.

“Les solutions de santé mobile, comme les outils d’autoévaluation et le télédiagnostic, peuvent permettre de dépister des maladies chroniques à un stade précoce, tandis que le partage de données avec des prestataires de soins de santé faciliterait les interventions en temps utile.”

Mais les défis et obstacles, eux aussi, sont au rendez-vous:

  • problème de manque de confiance dans les fournisseurs de solutions, dans les applis qu’ils proposent, et dans le sort qui est réservé aux données collectées – l’éventail de possibles (ré-)utilisateurs est en effet vaste: particuliers, développeurs d’applications, sociétés commerciales, professionnels des soins de santé, régies publicitaires, pouvoirs publics…
  • sécurité des applis
  • manque d’interopérabilité entre solutions
  • méconnaissance des obligations juridiques applicables (protection des données, marquage et certification…)

Données volatiles

Il est évident que les données de santé collectées au moyen de dispositifs mobiles ou implantés sont une manne tentante pour bien des acteurs. C’est tout l’enjeu de la gestion des droits d’accès, de diffusion et de réutilisation.

Le Livre vert de la Commission européenne cite par exemple un chiffre évoqué, dès 2013, dans un article publié dans le Financial Times, selon lequel “9 des 20 applis de santé les plus utilisées transmettent des données à l’une des principales sociétés recueillant des informations sur l’utilisation que les gens font des téléphones portables.” Les choses ne se sont certainement pas améliorées depuis…

S’y ajoutent tous les risques classiques: détournement, vol ou perte de données, perte d’équipements mobiles, interception de données lors de leur transfert…

En matière de sécurité, une distinction doit par ailleurs être faite entre, d’une part, les applis orientées santé et qui, moyennant audit et certification, peuvent être assimilées à des “dispositifs médicaux” et, d’autre part, les applis qui tombent dans la catégorie “lifestyle” ou “bien-être”. Pour elles, le flou est encore plus intense. “Il est difficile de déterminer quelles règles ces applis suivent”, déclarait notamment Gisèle Roesems, directrice adjointe de l’unité “Santé & Bien-être” de la DG Connect de la Commission européenne, à l’occasion d’un récent séminaire Agoria/TMAB dédié au sujet de la santé mobile. “En la matière, nous nous trouvons encore devant un vide juridique et légal.” Gare, souligne d’ailleurs le Livre vert, aux “marges d’interprétation”.

Big data: du pour et du contre

La collecte massive de données (“big data”) et leur analyse permettront de mieux comprendre les maladies, les risques, les traitements à appliquer, les relations de cause à effet (mode de vie, facteurs environnementaux, héréditaires…). Le développement de nouveaux traitements et médicaments pourrait aussi s’en trouver accélérer.

Mais le revers de la médaille ne doit pas être sous-estimé, rappelle le Livre vert. Attention au non-respect des dispositions légales ou éthiques, à la problématique du consentement “éclairé et explicite” du patient…

Des responsabilités imprécises

“L’essor de la santé mobile rend plus floue la distinction entre la dispense classique de soins cliniques et l’auto-administration de traitements médicaux et de confort”, rappelle le Livre vert. Ce qui ouvre tout le débat des responsabilités des différents maillons de la chaîne de soins: où commencent et finissent celles des prestataires professionnels, des “conseilleurs”, des développeirs d’applis, des fabricants de ‘devices’, des intermédiaires (potentiellement à profil commercial), des fournisseurs de services (collecte, communications, analyse…), des patients ou simples usagers?

Quels remèdes?

Le livre vert esquisse quelques mesures à prendre ou politiques à mettre en oeuvre.

Ainsi en matière de sécurité et de protection des données médicales (au sens large), l’accent est mis sur la nécessité de définir des principes “stricts”, de recourir au chiffrement et à l’authentification des données et de sécuriser les réseaux afin d’éviter l’interception des données.

En matière légale, de nouvelles dispositions et règles doivent être édictées, en particulier pour ces applis et solutions “modes de vie/bien-être”. Toutefois le débat risque de faire rage entre partisans d’une loi et défenseurs d’un cadre plus souple.

“On a certes besoin de lois mais elles risquent de faire obstacle au développement du marché”, déclarait ainsi Gisèle Roesems. “L’alternative serait celle d’une soft law, prenant par exemple la forme d’un label de qualité ou d’un code de bonne conduite. Le débat est encore ouvert…”

Par contre, là où la rigueur devra être de mise, c’est dans une stricte application des dispositions qui seront décidées.

Un autre domaine qui devra faire l’objet de toutes les attentions est celui de la sécurité du patient. “Et cela passe notamment par une garantie de qualité et d’indépendance de l’information, par l’application de règles de qualité et par l’apport de preuves que les solutions de santé mobile sont réellement efficaces.”

Pas question de laisser planer le moindre doute sur le bon fonctionnement d’une appli, sur la nature des algorithmes qui moulinent les données et affichent les résultats, ou sur la qualité, la pertinence et l’objectivité des indications ou conseils donnés!

En la matière, le Livre vert énumère quelques pistes de solutions possibles: “Il est possible de garantir la sécurité en recourant à des normes de sécurité d’utilisation ou à des labels de qualité spécifiques.

Les systèmes de certification pourraient aussi servir d’indicateurs fiables aux professionnels de santé et aux particuliers car ceux-ci pourraient vérifier si l’appli ou la solution de santé mobile fournit un contenu crédible, comporte des garanties concernant les données des utilisateurs et fonctionne comme prévu.

Des systèmes de certification ont déjà fait leur apparition, comme la Health Apps Library du NHS au Royaume-Uni, une bibliothèque en ligne qui contient uniquement des applis ayant satisfait aux exigences en matière de sécurité et de conformité aux règles de protection des données.

Dans d’autres cas, les applis sont certifiées et vendues dans des magasins d’applis spécialisés comme Happtique aux États-Unis.

Certaines initiatives sont davantage axées sur la transparence des informations relatives aux applis fiables, comme le premier répertoire européen des applis de santé.

Il contient des éléments factuels sur environ 200 applis de santé mobiles recommandées par des groupes de patients européens et couvre un large éventail de sujets en rapport avec la santé, comme les rappels de prise de médicament, les maladies, l’exercice et le handicap physique.”