Loïc Bar (The Smart Company): “rééquilibrer les choses”

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Par · 06/05/2014

 

Mes idées

  • poursuivre dans l’initiation de programmes fédérateurs, tels que Creative Wallonia, mais lutter contre leur trop grande dispersion
  • introduire plus de cohérence dans les choix, les critères de décision, la manière de gérer les dossiers
  • miser sur l’encadrement dans la durée: mettre tous les moyens en oeuvre, pendant plusieurs années, pour que les néo-entrepreneurs aient l’occasion de tenter, d’échouer, de se relever, pour acquérir l’expérience nécessaire
  • lutter contre le manque de transparence entre école et monde extérieur
  • éliminer la discrimination des chances à l’embauche, en rééquilibrant les aides et en favorisant davantage le recrutement de personnes compétentes
  • s’engager à plus grande échelle dans des living labs afin de créer les conditions nécessaires pour procéder à des démonstrations grande nature et de donner de la visibilité à des technologies innovantes

Quand il jette un regard sur la politique qui est menée actuellement, en matière économique en général et, de manière parfois plus spécifique pour l’IT, Loïc Bar, fondateur de la start-up The Smart Company, identifie toute une série d’incohérences, voire d’illogismes.

Loïc Bar: “Une véritable révolution politique est nécessaire pour mettre un terme à l’inertie.”

La mesure prioritaire qu’il voudrait vouloir prendre et tenterait d’imposer s’il était à la manoeuvre serait la suivante: “mettre fin à un mode de pensée orientée région [lisez: sous-régionalisme], de régions qui se battent entre elles, qui tentent de redoubler d’influence pour décrocher des projets. Il serait nécessaire d’appliquer enfin, pour l’attribution d’un projet, des critères tangibles, pragmatiques. Ils ne sont pas pris en compte dans l’état actuel des choses”, estime-t-il.

Si une région, une ville, un environnement donné a clairement des compétences, dispose d’un pool de ressources ayant fait ses preuves, il devrait être logique d’y ancrer un projet, une initiative, un développement qui correspond à ce socle de compétences. Si l’on devait par exemple envisager d’initier un living lab dans le domaine de l’eHealth, il serait de bon ton, de bonne logique et de bonne politique de choisir comme lieu d’implantation un centre universitaire en pointe dans ce domaine. Et si l’ULg est objectivement mieux positionnée que l’UCL, par exemple, en la matière, c’est l’ULg qui doit décrocher cette “timbale”, sans autre considération de saupoudrage sous-régionaliste devant contenter telle ou telle autre zone du territoire. “Ce n’est pas en dispersant les moyens qu’on arrivera à quelque chose… S’il fallait prendre l’exemple de la Silicon Valley, personne, outre-Atlantique, ne se demande où il faut baser les initiatives. C’est là où il y a l’innovation, les fonds… et c’est dans la Silicon Valley.”

La dispersion des moyens est une mauvaise idée et une mauvaise recette à un autre égard, estime Loïc Bar: tout simplement parce que ces moyens sont limités. Il faudrait dès lors à ses yeux “moins procéder selon le principe d’un octroi de moyens non discriminés mais offrir par contre davantage de moyens à ceux qui veulent aller plus loin. Ce qui suppose évidemment de pouvoir les détecter. Il faut aussi orienter les choses afin que les start-ups puissent réussir, ce qui est rarement le cas au premier essai.

A l’heure actuelle, la politique suivie est de venir en aide à de nombreuses sociétés dans l’espoir que quelques-unes se développent. Mais si on n’assure pas le suivi, cela n’a guère de sens. Créer sa société et réussir n’est pas un sprint mais un marathon. Il faut donc tout faire, pendant 5 ans par exemple, pour que ces entrepreneurs puissent persévérer, échouer, se relever, devenir expérimentés.”

Cohérence et gouvernance

La cohérence, à ses yeux, doit aussi être renforcée en termes de raisonnement économique appliqué par le gouvernement. “Il est très difficile aux start-ups de monter efficacement un dossier pour répondre à un appel à projet ou à un appel d’offre pour un projet public.

Il faudrait davantage de logique dans les critères de sélection des prestataires retenus. Le premier critère demeure évidemment l’efficacité de la solution proposée. Mais le deuxième devrait obligatoirement être l’économie de la région. Si deux propositions, en termes d’efficacité et de concordance avec les aspects techniques du cahier de charges, arrivent à égalité, cela n’a pas de sens en termes économiques de choisir une solution étrangère pour de simples raisons de prix. C’est oublier tous les avantages économiques qu’il y a à supporter une solution locale. La société, la start-up, pour les besoins du projet, créera en effet de la valeur, parfois de l’emploi, paiera des impôts, des charges sociales… Le raisonnement tenu aujourd’hui selon des critères purement budgétaires n’est pas logique. Il est dès lors nécessaire d’introduire davantage de cohérence dans les décisions et la gouvernance publique.”

Loïc Bar: “cela n’a pas de sens, en termes économiques, de choisir une solution étrangère pour de simples raisons de prix.”

Il souligne par ailleurs que donner ainsi plus de chances aux acteurs locaux s’inscrit parfaitement dans le principe des circuits courts, des boucles et écosystèmes locaux que l’on prône par ailleurs. “Et cela permettrait aux sociétés locales de se développer, de gagner en envergure – n’est-ce d’ailleurs pas là la mission des agences d’animation économique telles l’ASE? – et ainsi de leur procurer une carte de visite leur permettant de s’internationaliser. Actuellement, les start-ups obtiennent, pour certaines, des succès sur les marchés à l’étranger mais ne parviennent pas à s’imposer en Belgique…”

Milieu éducatif

“Il y a un décalage énorme entre ce qu’on apprend à l’école et ce qu’on fait après. Il faudrait allouer plus de moyens en termes d’infrastructure et de suivi afin que les étudiants sachent à quoi s’attendre, via des expériences immersives. A la sortie des études, les jeunes n’ont aucune idée de ce dont une société a besoin pour réussir. Ils se dirigent donc davantage vers les grandes boîtes que vers les PME, ou au lieu de lancer leur propre société.”

Il faut donc, à ses yeux, rehausser le niveau des diplômés. Et cela passe par “des enseignants ayant de l’expérience de terrain. Avant d’enseigner, un enseignant doit avoir appliqué son sujet dans la vraie vie.”

Autre moyen de rehausser leur niveau: du travail en entreprise, pendant leurs études. “Il y a là un pôle de ressources incroyables pour les étudiants ayant des capacités. Et pourquoi ne pas imaginer un mécanisme où les étudiants – qui seraient rétribués en entreprise – rétrocèdent une partie de leurs revenus à l’école?”

Troisième idée: rendre les travaux pratiques en IT plus pertinents, “les orienter vers des problématiques que vivent les entreprises, faire en sorte que les étudiants imaginent des solutions concrètes et en comprennent le contexte. Ils doivent comprendre pourquoi telle solution est nécessaire, l’acquis doit aller au-delà de la pure compétence informatique. Or, ce côté pratique n’est pas enseigné à l’école. On y apprend des tas de choses mais sans savoir à quoi ou comment elles vont servir.”

Pièges à l’embauche

“Le programme d’aides à l’emploi Activa crée une discrimination inacceptable. C’est pousser voire obliger les entreprises à engager des gens au chômage plutôt que des gens plus compétents. C’est inciter les gens à s’inscrire au chômage avant de pouvoir faire des démarches. Il y a là une perte d’argent pour la Région et une perte de temps pour les entreprises. Il faudrait rééquilibrer les choses, donner davantage de chances à des embauches de compétences. Le seul critère ne peut être le chômage. C’est un non-critère, une inégalité incroyable.”

Des Living Labs

“La Wallonie a pris du retard par rapport à la Flandre ou au reste de l’Europe en matière de living labs. Une première initiative se fait jour dans le cadre de Creative Wallonia mais il aurait été plus intéressant de s’insérer dans le programme européen plutôt que de recréer quelque chose en local. Cela nous prive d’un référencement, d’une notoriété et de budgets plus importants. L’essentiel est de créer les conditions nécessaires pour procéder à des démonstrations grande nature et de donner de la visibilité à des technologies innovantes…”