AMIA Systems: redessine-moi mon usine

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Par · 05/05/2014

AMIA Systems, une spin-off de l’ULB, a développé un logiciel de modélisation d’aménagement de production (“factory layout”) destiné à optimiser le fonctionnement de lignes ou sites de production.

Elle est l’aboutissement d’un long travail qui a débuté par une thèse d’Emmanuelle Vin, chercheur à l’ULB, aujourd’hui CEO de la société. Pendant un peu plus de trois ans, le projet a opéré en pré-spin-off au sein de l’université, bénéficiant d’un investissement d’InnovIris. La phase de test est aujourd’hui terminée. Elle s’est déroulée sur site, à la fois à la Sonaca, qui a mis le logiciel à l’épreuve pour optimiser un hall de production de petites pièces, et chez DAF Trucks, qui l’a testé pour reconfigurer un hall dédié à la production d’essieux de camions.

La spin-off a été officiellement constituée en société en cette fin avril.

Le logiciel d’AMIA, compatible Windows, Apple OS et Linux, s’adresse en priorité à des sites de production caractérisés par un grand nombre de produits et un trafic (déplacements, mouvements) important. Autre caractéristique des clients visés: ceux qui gèrent leur espace par leurs propres moyens, sans recours à des bureaux d’étude. Par contre, AMIA Systems visera aussi une clientèle de consultants, qui pourront éventuellement revendre la solution auprès de leurs propres clients.

Le logiciel se veut en outre complémentaire à d’autres solutions: outils de simulation ou d’ordonnancement évolué. “AMIA est un outil de layout 2D. Il peut intervenir en amont d’un recours à un outil 3D plus complexe. Il allège le travail de simulation, permet de réduire le nombre de scénarios pertinents, sur lesquels les simulateurs peuvent ensuite venir se greffer.”

Mission: convaincre la direction

L’algorithme développé, baptisé SIMOGGA (Simultaneous Multi-Objective Grouping Genetic Algorithm) et qui a donné son nom au logiciel, vise à optimiser les flux de production, en déterminant ceux qui peuvent rendre plus efficaces et/ou moins coûteux les mouvements de matériaux et de personnes, les opérations de manutention et la mise en oeuvre des outils de production.

“Nous nous positionnons entre les outils bas de gamme, largement utilisés mais peu adaptés, tels Excel ou Visio, et les solutions haut de gamme, du genre Dassault Systems… Ces dernières sont lourdes et surdimensionnées, à la manière d’un ERP. Les solutions du genre Excel et Visio ne peuvent prendre en compte des paramètres de leadtime et n’intègrent aucune intelligence. Visio, par exemple, ne signalera jamais des dispositions illogiques. Il n’y a aucun feedback.”

L’algorithme SIMOGGA, lui, se veut le cerveau du logiciel AMIA. Mais en toute transparence, sans paramétrisation par l’utilisateur. Le logiciel se veut simple et convivial, non seulement pour pouvoir être utilisé sans connaissances particulières mais aussi pour servir à convaincre les décideurs, à savoir les dirigeants, les représentants syndicaux et les personnes de terrain.

Abdelkrim Boujraf (AMIA Systems): “En proposant un outil simple à l’utilisation, proposant des scénarios explicites, nous pouvons favoriser l’optimisation des espaces de production et contribuer au maintien – ou au retour – de l’emploi industriel en Belgique.”

“Les utilisateurs AMIA, à savoir les équipes de production, y voient un argument de conviction supplémentaire pour convaincre la direction des nécessités d’adaptation. AMIA fait office d’instrument de quantification et de justification des changements à apporter. L’outil renforce aussi l’avis qu’a éventuellement déjà fourni un consultant ou un bureau d’étude.”

En étant visuelle et “éloquente”, la solution vise aussi à permettre au client de garder la main sur ses changements, sans qu’ils lui soient imposés par une boîte noire et/ou par une personne qui serait la seule à maîtriser le logiciel.

“Chaque étape de reconfiguration du plan de production est visualisée sur le plan. Les moyens de parvenir au plan final (réorganisation des flux, duplication ou déplacement de machines…) sont expliqués. Les gains sont quantifiés.” Pour l’heure, ils sont exprimés en chiffres mais AMIA dit travailler à une représentation plus visuelle et explicite.

Un minimum de données

Pour simplifier son utilisation, le logiciel AMIA ne requiert qu’un minimum de préparation de la part de l’utilisateur. Pour générer un nouveau layout de son espace de production, il lui suffit de charger un plan PDF de la disposition existante et un fichier Excel qui peut ne contenir que 6 données (quantité à produire, taille des lots en transfert, capacité et séquence des machines…).

Emmanuelle Vin: “AMIA se veut simple et interactif pour que tout le monde puisse l’utiliser. Il vient compléter les compétences internes des équipes de production.”

Tout peut être positionné et reconfiguré graphiquement via une fonction de glisser-placer. L’utilisateur peut redessiner et adapter librement le plan pour le faire correspondre à l’espace spécifique de son environnement de production, simuler les zones de production, positionner des machines, créer et modifier des cellules de production…

“Six données suffisent au logiciel pour être efficace”, affirme Emmanuelle Vin. L’algorithme fait le reste.  Le logiciel définit le flux optimal, la meilleure composition possible d’une “cellule” de production.

Les flux entre machines se matérialisent automatiquement à l’écran, l’épaisseur du trait créé indiquant le volume ou l’intensité du flux. L’utilisateur peut appliquer divers filtres pour analyser les interactions et variations de scénarios.

L’objectif est de déterminer quelle disposition des machines, des allées, des stocks, des personnes sera la plus efficace, économiquement parlant. Le paramètre de base, tel qu’utilisé tout au long de la phase de test-pilote, fut celui de la distance à parcourir par les marchandises, composants et opérateurs humains, via un calcul de distance parcourue et de coût opérateur, par exemple. D’autres paramètres peuvent être ajoutés, tel le coût machine (déplacement de clarks, par exemple). “Mais comme notre étude de marché et nos réalisations en test l’ont démontré, ce qui intéresse surtout le client, c’est le temps perdu, les déplacements entre ateliers”, souligne Emmanuelle Vin. “Il cherche avant tout à produire plus vite, à moindre coût, afin de pouvoir livrer plus vite le client. Mais on pourrait intégrer d’autres paramètres, tel le coût d’achat de nouvelles machines. Toutefois, le principe même de SIMOGGA est de requérir un minimum de données.”

Prochaines évolutions

Après les fonds destinés à la R&D venus d’InnovIris, AMIA Systems a réussi un premier tour de table. Le fonds d’investissement Theodorus 3 (voire note de bas de page) a injecté 750.000 euros, “ce qui nous permet de couvrir nos besoins pour ces trois prochaines années”, souligne Abdelkrim Boujraf, responsable commercial ad interim (un commercial est en cours de recrutement).

Côté fonctions, un ordonnanceur est en cours de développement. D’un point de vue plus fondamental, AMIA Systems compte mettre à disposition une première version SaaS d’ici 6 mois. Cela permettra à plusieurs personnes, travaillant éventuellement sur plusieurs sites, d’utiliser le logiciel. Et cette version sera aussi un instrument utile pour viser une commercialisation internationale.

En local, la spin-off est à la recherche de revendeurs, qu’il s’agisse par exemple de sociétés commercialisant des logiciels de simulation ou de consultants. Pour l’heure, deux sociétés ont signé un contrat de revente: OTS et Cambio Works. Des contacts préliminaires ont en outre été établis avec Möbius, Altran ou Lanner (éditeur du logiciel de simulation Witness).

(1) Theodorus 3 est le troisième fonds d’investissement lancé par l’ULB pour financer ses spin-offs. Le capital de 19 millions d’euros a été apporté pour moitié par des acteurs publics (SFPI-Société Fédérale de Participations et d’Investissement, SambrInvest, SRIB) et pour moitié par le privé, notamment AXA, Fortis Private Equity, la Sofina, l’ULB et divers investisseurs individuels.