Christophe Chatillon, Tapptic: “Pas d’excuse pour rater le prochain train (numérique)”

Interview
Par · 29/04/2014

 

 Mes idées

  • systématiser et organiser à l’échelon national (ou régional) des initiatives trop souvent éparpillées
  • créer un fonds d’investissement au lieu de procéder par prêts et avances remboursables
  • inciter davantage les invests à aller dénicher les sociétés ou les personnes à même de susciter les emplois du monde connecté de demain
  • décupler le mécanisme des accélérateurs
  • désigner un ministre de l’économie numérique, venu du terrain, emblématique et volontariste

La Wallonie, la Belgique et les autres pays de l’Europe ont raté les trains de l’IT, du logiciel, de l’Internet, du mobile. Que fait-on pour nous donner les moyens de ne pas rater le prochain rendez-vous, celui du monde hyper-connecté? s’interroge Christophe Chatillon, patron de Tapptic et serial entrepreneur (voir sa petite bio).

Christophe Chatillon: “En 2025, il y aura un énorme champ industriel numérique. On ne pourra pas dire qu’on ne le savait pas.”

“Il est temps de préparer aujourd’hui le terreau d’où surgira la création d’emplois de demain. En 2025 ou 2028, le monde sera hyper-connecté. Les signes sont déjà là: tablettes, télévisions connectées, Internet des objets… On le sait. Or, je constate que nous sommes à l’arrêt. Même si je limite la comparaison à la situation de la Belgique francophone et de la France, je constate que le fossé s’élargit. Imaginez les conséquences à 10 ans… Il y a un manque de courage, un manque d’esprit d’entreprise, d’esprit de recherche, de créativité, d’innovation. Les entreprises ne semblent même pas être désireuses de copier ou d’améliorer ce qui surgit ailleurs. En 2025, il y aura un énorme champ industriel numérique. On ne pourra pas dire qu’on ne le savait pas.”

Or, à ses yeux, non seulement le dynamisme manque au niveau des sociétés existantes mais on ne fait rien pour susciter l’esprit d’entreprendre auprès de la génération présente, ou de la suivante, celles qui feront l’économie en 2025.

“On ne demande pas de créativité aux enfants. Pas une seule fois sur l’année on ne leur demande par exemple de faire de la créativité, alors qu’ils ont tous un iPod ou un iPhone et qu’on pourrait leur proposer d’imaginer une solution nouvelle via ces plates-formes. Aux adolescents et futurs universitaires, on n’explique pas ce que c’est que de créer une entreprise, d’être créatif. Si on le faisait, on créerait l’envie, on planterait les graines. Au lieu de cela, ils n’entendent que des messages de mise en garde sur la complexité d’une création d’entreprise.”

Et pourtant ce n’est pas le désert…

“Des instruments existent pourtant”, souligne Christophe Chatillon. Ils sont nombreux, complémentaires, de qualité- DGO6, Awex…- “mais ils ne fonctionnent pas comme ils le devraient… Ce qu’on fait aujourd’hui ne nous permettra pas de créer la génération d’entrepreneurs dynamiques dont nous avons besoin et qui, dans 15 ans, seront à même de créer et piloter toutes ces sociétés du numérique qui auront la capacité de croître et de créer de nombreux emplois.”

Christophe Chatillon (Tapptic): “Ce qu’on fait aujourd’hui ne nous permettra pas de créer une génération d’entrepreneurs dynamiques.”

A ses yeux, il s’agirait de systématiser, de propulser et d’organiser à l’échelon national (ou, à tout le moins, régional) des initiatives qui, pour certaines, existent et fonctionnent mais de manière éparpillée au niveau du privé et, pour d’autres, ont fait leurs preuves un peu partout dans le monde mais qui, chez nous, ont des dimensions beaucoup trop modestes.

Il prend deux exemples.

“La DGO6, c’est magnifique mais, pour le même prix, pourquoi ne pas l’amener à créer un fonds d’investissement au lieu de procéder par des prêts et avances remboursables? Et ce fonds d’investissement doit pouvoir s’appuyer sur un comité de sélection constitué de professionnels, ayant une vision, pas de consultants qui n’ont jamais créé de société de leur vie. Ces professionnels existent et réalisent d’ailleurs ce genre de choses à titre privé. Mais il faut le faire au niveau national. D’autant que cela ne coûterait rien. De nombreux professionnels seraient contents d’apporter leur contribution, de faire de la promotion auprès des jeunes. Si on le fait, on disposera dans quelques années d’un bon terreau, de quelques premières success stories qui donneront envie à d’autres. Pourquoi ne le fait-on pas? Je ne vois pas où est le problème…”

Christophe Chatillon: “On manque de courage. Les porteurs de projets ont peur de se perdre dans le dédale des demandes de subventions. Il y en a trop, de toutes sortes. Il faudrait opérer un sérieux nettoyage. Et remplacer le système de subventions par de l’investissement direct.”

Les invests publiques, à ses yeux, ne remplissent pas le rôle qu’il faudrait. “Si elles voulaient réellement créer de l’emploi, elles iraient chercher les sociétés ou les personnes qui, demain, feront cette myriade d’entreprises de 20 ou 50 personnes que suscitera le monde connecté. Ces personnes, aujourd’hui, sont à l’université, sont des start-ups, fréquentent le Beta Group… Meusinvest va-t-elle au Beta Group, auprès de tous ces jeunes qui sont accessibles?”

Davantage de Wallimage(s)

Autre exemple: les accélérateurs. “Ils ont fait leurs preuves ailleurs. Chez nous, on a tout juste droit à une micro-initiative [Nest’Up]. Il faudrait développer le modèle sur une bien plus grande échelle. Voyez d’ailleurs, dans le domaine de l’audiovisuel, ce que Philippe Reynaerts a fait avec Wallimage qui a créé ab nihilo une entreprise à grande échelle. Un euro investi génère 3 euros…

C’est la preuve que cela fonctionne, qu’on peut le faire en Wallonie. Pourquoi pas reproduire la même chose mais à plus grande échelle, dans des secteurs plus porteurs comme le logiciel ou l’Internet des Objets? En s’appuyant par exemple sur des conseils qui émaneraient de l’AWT et avec comme bras armé la DGO6 et son fonds d’investissement. Et avec de l’accompagnement, via notamment le mécanisme d’accélérateur mais qui doit être bien plus qu’un incubateur.”

Simplifier et professionnaliser

“On manque de courage. Les porteurs de projets ont peur de se perdre dans le dédale des demandes de subventions. Il y en a trop, de toutes sortes. Il faudrait opérer un sérieux nettoyage, tout remettre à plat. Il faut demander leur avis aux professionnels de terrain, qui sont en contact direct avec la réalité. Il existe certes certaines choses mais elles sont high level, sur des verticales, ponctuelles, opérant à un moment donné, sur une géographie donnée. Il adopter une vision à plus grande échelle.

On consacre encore des milliards pour soutenir la sidérurgie alors qu’on ne libère que quelques malheureuses centaines de milliers d’euros pour préparer l’avenir qui, on le sait, sera au numérique, à l’innovation et au connecté.”

Autre conseil de “simplification”: désigner une personne représentative et emblématique pour prendre à bras-le-corps la stratégie, le positionnement de l’économie numérique chez nous. “Pourquoi n’a-t-on pas de Fleur Pélerin [Ndlr: jusqu’il y a peu, ministre française déléguée à l’économie numérique] chez nous?

Pourquoi ne pas nommer un ministre du numérique, ou de l’innovation? Mais une personne qui ne vienne pas du monde politique mais qui soit issue du secteur, qui ait de l’expérience dans la création d’entreprise, qui soit ouverte sur l’international? On a le Plan Marshall. Pourquoi ne pas faire un Plan numérique? Et, surtout, faire travailler tout le monde ensemble: écoles, université, monde de l’entreprise…”


Brève bio

Christophe Chatillon est le patron et cofondateur de l’agence Tapptic, spécialisée dans les applications mobiles, et de sa filiale Screenity, qui vise plus particulièrement le monde des médias et du second écran. Il a auparavant été à l’origine d’autres sociétés dont le point commun est le secteur de la communication et du marketing.  Avec une note dominante: le monde mobile. Citons Kiboo (services et applis mobiles), Leo & Wolf (marketing mobile) ou encore l’agence française Wcube, spécialisée en communications sur Internet. [ Reour au texte ]