NearlyNewSoftware ou comment acheter des licences de “seconde main”

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Par · 24/02/2014

NearlyNewSoftware est une toute jeune société de Genappe (près de Nivelles) qui, depuis le début de cette année, se lance sur le terrain de la revente de licences logicielles. Autrement dit, la vente de licences d’occasion, en tout cas pour celles qui sont de type perpétuel. La société s’adresse à la fois aux particuliers mais surtout – ce sera sa première cible – aux entreprises. Petites ou grandes. Belges ou opérant ailleurs dans l’espace économique européen.

Objectif: permettre aux utilisateurs, privés ou professionnels, d’acquérir en toute légalité et avec un minimum de garanties des licences logicielles de tous types (bureautique, sécurité, OS, gestion de stockage…), à coût réduit.

Et ce, en les rachetant à leurs propriétaires actuels qui n’en ont plus l’usage. Economie moyenne potentielle: de 30 à 40% par rapport aux prix du marché.

La petite société brabançonne n’a pas forcément déniché le Graal – le terrain, comme on va le voir, est semé d’embûches et de points d’interrogation – mais elle compte bien saisir une opportunité qui, si le contexte évolue favorablement, pourrait représenter un joli petit filon à court et moyen terme.

Anti-gaspi

Les chiffres manquent pour le marché belge mais, outre-Manche, une étude de marché réalisée en 2011 par la société 1e (spécialisée en gestion d’actifs informatiques) estimait à 1,7 milliard de livres sterling les économies que les entreprises pourraient réaliser en évitant d’acheter inutilement des licences logicielles. Inutilisées, elles prennent la poussière (virtuelle) et grèvent les budgets. Une solution est bien entendu de procéder à un audit et de renégocier les contrats avec les fournisseurs – lorsque la chose est possible.

Une autre solution consiste à revendre les licences dont on n’a pas ou plus l’usage. Et cela concerne les vieux logiciels que l’on remplace par de plus récents, en jetant à la poubelle des licences qui pourraient être prolongées et servir à d’autres utilisateurs. Ou les logiciels que n’utiliseront plus des sociétés tombées en faillite ou mises en liquidation.

Revendre les licences que l’on détient? La chose est parfaitement légale mais ce marché “second main” est évidemment passé sous silence, voire décrié et combattu, par les éditeurs.

La légalité de la revente de licences perpétuelles a été confirmée par les autorités européennes dès 2009 et réaffirmée en 2012 à l’occasion d’un différend opposant Oracle à la société allemande UsedSoft, qui s’était mise en tête de revendre des licences perpétuelles inutilisées. Voir ci-dessous.

Intermédiaire de confiance

Revendre ses licences étant légal, toute personne ou société peut le faire elle-même. Certains le font par exemple sur eBay “mais avec des risques de piratage”, souligne Cécile Grégoire, ingénieur commerciale et fondatrice de NearlyNewSoftware.

Voilà pourquoi la start-up a conçu une plate-forme Internet via laquelle vendeurs et acheteurs potentiels peuvent venir afficher leurs besoins ou offres. Les vendeurs renseignent les licences dont ils veulent se défaire; les acheteurs documentent leurs besoins.

Pas d’achat en-ligne, toutefois, les démarches et mises en relation s’effectuent “off-line”, via NearlyNewSoftware.

La start-up joue les intermédiaires, proposant un certain nombre de services destinés à éliminer – ou limiter – les risques pour l’acheteur. “Nous vérifions que les licences proposées répondent aux conditions légales: validité du bon de commande et de la facture initiale, première vente dans l’espace économique européen, historique des mises à jour, validité du contrat de maintenance…”

La société se charge aussi de négocier des conditions avantageuses et des contrats de maintenance avec des éditeurs (pour les contrats de maintenance arrivés à expiration). “Nous coopérons avec divers éditeurs afin de faciliter l’obtention des clés d’activation et des fichiers d’installation. Si l’éditeur se révélait hostile à la vente, nous en informerions l’acheteur avant la vente. En dernier recours, nous pouvons intenter une action légale contre l’éditeur…”

La société se rémunère en prélevant une commission sur la vente. Le pourcentage varie selon la nature du logiciel, le type de licence, son ancienneté, l’existence d’un contrat de maintenance et le degré d’urgence de la vente.”

Cécile Grégoire: “Nous agissons un peu comme une agence immobilière. C’est le vendeur qui décide du prix auquel il souhaite vendre ses licences mais nous le conseillons sur la hauteur de la réduction et nous prestons une série de services destinés à réduire les risques pour les acheteurs.”

NearlyNewSoftware, par contre, n’assumera pas un certain nombre de responsabilités. Elle ne garantira par exemple pas que le vendeur a bel et bien effacé ses logiciels de son ordinateur et n’utilise plus des programmes pour lesquels il ne dispose plus de la licence. C’est là chose obligatoire qui l’expose à des poursuites s’il veut jouer au plus fin. Un éditeur pourrait en tout cas fort bien vérifier qu’il n’y a pas tricherie.

“Ce que nous pouvons proposer, par contrat, à un éditeur est de procéder à un audit des systèmes concernés.” En tout cas, s’ils concernent des entreprises.

Cible: les entreprises

La cible prioritaire de NearlyNewSoftware est celle des entreprises- PME ou grandes sociétés. Aussi bien celles qui désirent revendre des licences dont elles n’ont plus l’usage pour récupérer une partie de leurs frais, que celles qui sont en difficultés financières. La revente des licences pourrait ainsi augmenter la valeur d’une curatelle.

A terme, si les particuliers se tournent eux aussi vers elle, la société envisage de structurer sa plate-forme en plusieurs espaces, dédiés à divers types de clients.

Cécile Grégoire se dit convaincue que le marché des licences d’occasion “va exploser à court terme”. Notamment parce que les sociétés cherchent à réaliser des économies lors de renouvellement de parcs ou de migration. Parce que l’obsolescence programmée de certains logiciels va remettre sur le marché de nombreuses licences perpétuelles, dont d’autres pourront faire usage. Et parce que le rythme de renouvellement des versions ne cesse de s’accélérer, laissant sur le carreau des logiciels qui pourraient encore parfaitement être utilisés.

Les embûches

La crainte, évidemment, est que les éditeurs et surtout les plus puissants d’entre eux ne tentent de “casser” le marché, en jetant le doute dans les esprits à propos de la légalité de la méthode ou de la “valeur” du produit revendu. Ou encore en jouant de toutes les ficelles qui sont en leur possession pour décourager le marché de l’occasion.

Et ils ont, à leur portée, diverses armes. Notamment en raison de certains vides juridiques ou, en tout cas, d’absence de réglementation face à certaines pratiques commerciales.

Rien n’empêche par exemple un éditeur de refuser d’assurer la maintenance d’une licence qui aurait été revendue. L’acheteur, dans ce cas, voit la “valeur” de son achat se réduire sensiblement…

Cécile Grégoire: “il y a un énorme potentiel de revente de logiciels. Une fenêtre d’opportunité à saisir pendant les 3 ou 4 prochaines années…”

Les éditeurs peuvent également étendre les pratiques d’obsolescence programmée en arrêtant tout support (patchs, upgrades etc.) des logiciels proposés sous licence perpétuelle. Un scénario pas inenvisageable, surtout à l’heure où toutes les stratégies misent à fond sur le cloud et la location de logiciels (la facturation à l’usage n’en est en effet qu’une forme spécifique).

Sans parler de la capacité qu’auront toujours les éditeurs de limiter fortement le recours à des licences perpétuelles pour privilégier – cloud ou pas cloud – d’autres formes de licences.

“Nous sommes bien conscients de ces incertitudes”, déclare Cécile Grégoire. “Il faudra toutefois vérifier, à l’avenir, comment va évoluer le mouvement vers le cloud. Il y a là sans doute de toute façon une opportunité à saisir car tous les éditeurs n’abandonneront pas forcément le principe des licences perpétuelles, y voyant une occasion de se différencier et d’attirer une clientèle qui ne voudrait pas miser sur le cloud.”

Autre incertitude: la révision de la législation européenne en matière de copyright qui pourrait bousculer le paysage.


La décision européenne

Nous n’entrerons pas, ici, dans les détails de la décision de la Cour de Justice européenne de 2012. Tous les détails peuvent en être consultés via les liens que nous listons dans l’encadré ci-dessous.

Pour ne retenir que les points majeurs, voici ce que dit la décision:

  • “la première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou d’une copie de celui-ci”. Cela signifie, en clair, qu’une fois vendue, la licence devient la propriété de son utilisateur légal qui peut la revendre à son bon gré (en respectant toutefois certaines règles et contraintes). L’éditeur ne peut donc pas s’opposer à sa revente (la première vente lui faisant en fait abdiquer son droit exclusif de distribution)
  • Oracle voulait restreindre la portée de ce texte à des licences correspondant à des logiciels vendus sur support physique (CD ou DVD, par exemple). La Cour de Justice européenne a estimé que la loi s’appliquait aussi à la vente de licences via téléchargement.
  • Conditions à satisfaire pour pouvoir revendre une licence dont on est propriétaire:
    • la première vente doit avoir eu lieu dans l’espace économique européen (Union européenne, hors Croatie, plus l’Islande, la Norvège et le Lichtenstein);
    • la revente se limite aussi à des acheteurs provenant (et ayant par exemple un siège social) dans cette zone;
    • le vendeur doit apporter la preuve qu’il l’a acquise légalement;
    • les licences doivent obligatoirement être de type perpétuel (pas de licence pour un temps déterminé ou l’une ou l’autre forme de location);
    • le vendeur ne peut scinder un lot de licences acquises globalement;
    • et le vendeur doit prouver qu’il n’utilise plus la licence qu’il revend (il doit supprimer les logiciels correspondants de ses ordinateurs).  [ Retour au texte  ]
Sources et liens utiles
Directive européenne datant de 2009 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur
Décision de la Cour de Justice européenne, juillet 2012, dans le cas opposant Oralce à UsedSoft.
– Décision de la Cour de Justice européenne commentée par Etienne Wéry, juriste belge spécialisé en IT (cabinet d’avocats Ulys).