Ivan Poupyrev (Disney Research): les interfaces insoupçonnées

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Par · 27/11/2013

“Pourquoi vouloir à toute force recréer sans cesse de nouveaux gadgets, qui finissent toujours sur des piles de détritus, alors qu’il est indéniable que notre planète ne pourra pas indéfiniment puiser dans ses ressources pour nous autoriser à le faire? Au lieu de créer sans cesse du nouveau e-junk, il faut “augmenter” le vivant, numériser ou rendre interactif ce qui existe déjà.”

Ivan Poupyrev: “Au lieu de créer sans cesse du nouveau e-junk, il faut “augmenter” le vivant, numériser ou rendre interactif ce qui existe déjà.”

Voilà ce qu’on a pu entendre de la bouche d’Ivan Poupyrev, directeur du groupe Interaction Technology du laboratoire Disney Research de Pittsburgh (Walt Disney Imagineering), lors de son passage au KIKK Festival, lors de la Semaine de la Créativité 2013.

Les recherches de Disney Research – comme d’ailleurs nombre d’autres acteurs (voir notre article) – visent à mettre au point de nouveaux “dispositifs” et interfaces naturelles permettant, sans trop de moyens technologiques, de rendre interactifs des matériaux et objets existant déjà dans notre environnement.

Des exemples? Doter des objets du quotidien de capteurs. Ou utiliser leur potentiel électromagnétique naturel, aussi minime soit-il, pour en faire des “intermédiaires de communication”. Une petite vidéo projetée par Ivan Poupyrev montrait par exemple un bouton de porte qui, par application d’une source d’énergie, “sait” qu’il est touché et de quelle manière – à pleine main, par deux doigts, trois…

Idem pour la surface d’une table qui détecte le nombre de points de contact ou de pression, la taille et le type de surface qui la touche (pulpe du doigt, articulation, tranche de la main, paume…).

A partir de là, la programmation peut se mettre en place. De la même manière qu’un écran tactile de smartphone ou de tablette permet de commander des logiciels en variant les “gestes” et combinaisons de touches.

Toute surface peut potentiellement devenir interface. Même l’eau. Même… les plantes.

L’interprétation du contact se fait au travers d’un changement de fréquence des ondes électromagnétiques qui intervient dès qu’une partie du corps humain se rapproche de leur surface. Ce qui, dans l’exposé d’Ivan Poupyrev, se traduisait par cette extrapolation sur-réaliste où l’on en viendrait à toucher une plante de telle ou telle manière, à tel ou tel endroit, pour piloter son agenda électronique. Selon le degré de sensibilité de la plante, on obtient des réactions différentes…

Ce qui laisse songeur. Chaque plante ayant sa propre “identité”, sa propre “résonance”, devra-t-on par exemple re-programmer l’interface quand on change de plante?

A visionner, cette vidéo sur le site de Disney Research.

Botanicus Interacticus

La botanique interactive… Disney Research se propose donc de “transposer l’interaction des équipements informatiques vers le monde physique qui nous entoure en utilisant par exemple les plantes comme média interactif.”

Le “truc”? Apposer un fil électrique à n’importe quel endroit de la plante en vue de générer “une interaction riche et expressive. […] On peut recourir à des gestes tels que glisser les doigts le long de la tige d’une orchidée, détecter l’endroit du toucher, déterminer le degré de proximité entre l’homme et la plante et estimer le nombre de points de contact.”

La recherche porte également sur la reproduction artificielle des “propriétés électriques de la plante naturelle pour les répliquer via des composants électriques classiques afin de donner naissance à une large variété de plantes artificielles qui se comporteront de la même manière que leurs homologues botaniques.”

Demain, imaginent Disney Research et Ivan Poupyrev, l’homo sapiens deviendra créateur, cultivateur et utilisateur de “plantes numériques.”

Electro-vibration

Autre technologie exploitée par les labos de recherche Disney: REVEL, pour “reverse electrovibration” 

Cette technique permet de “tactiliser” d’autres surfaces que celles de nos écrans habituels. Par exemple, des meubles, des murs, des objets en bois ou plastique…

Là encore, l’idée est d’injecter un signal électrique de faible amplitude mais, cette fois, “à un endroit quelconque du corps de l’utilisateur, de quoi créer un champ électrique oscillant au niveau de la peau. Lorsque l’utilisateur fait glisser ses doigts à la surface de l’objet, il perçoit des textures tactiles très reconnaissables qui “augmentent” l’objet physique. Il est possible, en modifiant les propriétés du signal – sa forme, son amplitude, sa fréquence -, de procurer une grande variété de sensations tactiles.”

Question: si tout devient interactif autour de nous, comment ne pas faire exploser notre consommation électrique, déjà exponentielle?

Des moyens là encore “naturels” font actuellement l’objet de recherches. On est encore loin de l’efficacité – ou de l’oeuf de Colomb – mais des pistes sont explorées, telles que l’électricité que produit le corps humain, le contact et le frottement de certaines surfaces… “Il faut en arriver à une philosophie de on-demand power generation”, déclarait Ivan Poupyrev.

Bio minute

Ivan Poupyrev fait de la recherche dans le domaine des technologies interactives et du design d’interfaces. Il dirige le groupe Interaction Technology du laboratoire Disney Research de Pittsburgh (Walt Disney Imagineering). Cette entité a pour tâche de développer de nouvelles applications technologiques destinées à l’animation des parcs récréatifs du groupe mais aussi de ses infrastructures hôtelières par exemple.

Ivan Poupyrev concentre notamment ses travaux de recherche sur le “mariage entre physique et virtuel” et à leur intégration aux objets du quotidien et aux organismes vivants. Son travail couvre un large éventail de domaines de recherche tels que les nouvelles technologies de capteurs mobiles, l’informatique embarquée portable et mobile, la collecte de l’énergie, les interfaces tactiles et haptiques, le 3D et le 4D (mouvement), les ordinateurs qui changent de forme, la réalité augmentée et virtuelle.

Avant de travailler pour le groupe Disney, Ivan Poupyrev a travaillé comme chercheur pour les  Sony Computer Science Laboratories de Tokyo. Il a également transité un temps par le Human Interface Technology Laboratory de l’Université de Washington en qualité de visiteur scientifique alors qu’il planchait sur sa thèse à l’université japonaise d’Hiroshima.