Musées IT en péril: les collections cherchent un nouvel espace

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Par · 02/10/2013

Verra-t-on un jour voir naître un “Musée belge de l’informatique” qui regrouperait en un seul lieu des collections aujourd’hui éparses, plus ou moins liées à des constructeurs informatiques et gérées bien souvent par des bénévoles?

L’idée fait actuellement l’objet de réflexions- et tractations- mais rien de précis ou de concret ne se dessine encore. Or, pour au moins une de ces collections, le temps presse.

La mémoire dans l’entrepôt

L’espace où la collection Bull est hébergée arrive en effet en fin de contrat de bail.

Un “portable” Micral P2 de Bull (1981).
13 kg à bout de bras. ..

Les collections Bull sont pour l’heure hébergées dans un simple entrepôt situé à Grimbergen, en lisière nord de Bruxelles. Ce “Musée Bull” retrace l’histoire de l’informatique à travers celle de la société et de ses produits… depuis les années 1920 à aujourd’hui.

L’une de ses raisons d’être fut aussi, dès le départ, à l’initiative d’une association d’anciens employés, de “montrer le rôle non négligeable joué par Bull Belgique dans l’informatisation belge depuis 1939 à nos jours.” La chose peut paraître désuète- pour ne pas dire irréelle aux yeux des nouvelles générations- mais l’un des points d’attraction du musée est la scénarisation d’un atelier à cartes perforées, datant des années 1960. La collection inclut par ailleurs près de 2.500 photos relatives aux ensembles et pièces détachées ainsi que de nombreux documents techniques et commerciaux d’époque.

Au fil des ans, la F.E.B. (Fédération des Equipes Bull), l’une association d’anciens de Bull (Belgique, France) bénéficié du soutien logistique – mais pas financier – de Bull. En l’occurrence, la mise à disposition d’un local où entreposer et exposer la petite collection (lien vers une image panoramique de ce petit musée). Petite visite virtuelle via ce lien.

Mais voilà, aujourd’hui le bail vient à expiration et les vielles bécanes sont priées de débarrasser le plancher…

A la recherche d’un hébergement

“Notre objectif”, explique Gilbert Natan, l’un des gérants du musée Bull, “est de trouver pour la fin de cette année un lieu pour abriter en premier les collections Bull et Informatique & Bible. Ce lieu ne sera pas nécessairement l’emplacement définitif du musée à créer, quoique cela soit largement préférable.”

L’ancêtre de nos mémoires miniaturisées: une mémoire de système Univac. Collection Unisys

Une première piste – namuroise – n’a pas abouti. Notamment parce que le scénario (en ce compris financier) imaginé n’a pas été accepté, ou jugé réaliste, par l’UNamur qui avait été approchée (à la fois comme partenaire potentiel et comme relais vers les responsables de la Ville de Namur).

L’idée, défendue notamment par Gilbert Natan, serait de trouver un espace qui puisse accueillir plusieurs collections. A savoir, celles de Bull, Unisys, Informatique & Bible (Maison des Écritures de l’Abbaye de Maredsous), et la collection Jean Lemaire (Bruxelles).

Les 4 collections ont d’ailleurs décidé, voici quelques mois, de faire cause commune: un collectif baptisé “Collections Informatiques en Belgique” (CIB), réunissant les responsables des 4 collections, a été constitué sous l’égide d’un nouveau fonds baptisé “Informatique Pionnière en Belgique”, lui-même relevant de la Fondation Roi Baudouin.

Un peu d’histoire…

Une première tentative de rapprochement et de mutualisation était intervenue en 2009, à l’initiative d’Informatique & Bible. A l’époque, un “Réseau de Préservation des Patrimoines Informatiques” avait vu le jour afin de veiller à la préservation des patrimoines informatiques. Sa gestion avait été confiée à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège (MMIL) qui avait elle-même déjà “récupéré” une partie des collections IBM.

Le “réseau” réunit la MMIL, les 4 collections citées ci-dessus, l’université de Namur, la Haute Ecole de la Province de Liège (HELP) ainsi que quelques personnalités, oeuvrant à titre personnel, tels que le professeur émérite Jean-Jacques Quisquater de l’UCL. Des relations ont en outre été tissées avec divers acteurs français, tels le CNAM (Centre National des Arts et Métiers de Paris), l’ACONIT (Association pour la Conservation Informatique et Télématique) de Grenoble et la Fédération des Équipes Bull (FEB-France).

Aujourd’hui, le nouveau collectif CIB (Collections Informatiques en Belgique) reste membre de ce réseau mais rêve donc de voir se réunir et se pérenniser des collections éparses, qui risquent d’être dispersées, voire d’être mises au rebut.

Reste… à trouver les financements et un lieu d’accueil pour ce qui devrait – pourrait – devenir un musée unique, dont l’inauguration est espérée intervenir en 2015.

Objectif du Fonds “Informatique Pionnière en Belgique”: “préserver des collections informatiques pionnières menacées de disparition et permettre ainsi de pérenniser la mémoire des débuts de l’informatique en Belgique en attirant l’attention sur l’urgence d’assurer cette préservation et cette pérennisation.” L’ambition est également de “mettre en évidence une Belgique pionnière dans de nombreux domaines de l’informatique naissance: un fait qui est trop peu connu”.

Un peu plus de répit

Jacques Laffut, au milieu de ses “vieilles bécanes”…

D’autres collections, telles celle d’Unisys, gérée par Jacques Laffut, ne risquent pas ce sort immédiat mais auraient néanmoins besoin de trouver des pistes garantissant leur pérennisation.

La collection Unisys est assurée du parrainage de la société pour deux ans encore. Au-delà l’horizon n’est pas forcément bouché mais, comme le souligne Jacques Laffut, qui saurait augurer du plus long terme?

Les initiateurs du collectif CIB font par ailleurs remarquer que les différentes collections sont gérées et préservées actuellement par des volontaires qui, malheureusement, prennent de l’âge “et que leurs savoir-faire et connaissances risquent de ne pas être transmis à temps aux générations à venir.”


Cahier des charges pour un espace muséal

Le cahier des charges rédigé dans l’espoir de trouver un nouvel espace d’accueil fait état d’une surface d’exposition de 750 à 1.000 m², à laquelle pourraient s’ajouter des espaces supplémentaires (pour un atelier de réparation, salle de réunion et de conférence), idéalement supérieurs à 500 m² et “qui devraient autoriser des extensions futures.”

Budget évoqué (pour l’installation et les 3 premières années de fonctionnement): “de 800.000 à un million d’euros”.

Tel qu’esquissé, le projet de futur musée inclut aussi des activités et animations: sensibilisation des jeunes générations “qui se servent des technologies sans savoir d’où elles viennent”, source d’informations pour la réalisation de mémoires et thèses ou pour supporter le travail d’historiens, tourisme culturel… Retour au texte.

En deuxième partie de cet article, réservée à nos abonnés Premium, un petit descriptif des collections qui attendent donc une solution de pérennisation… Et quelques photos d' »ancêtres ».

Les collections

Unisys

Créé en 1989, le “Unisys Computer Museum Belgium” comporte des pièces rares. C’est un véritable archéo-site informatique puisque l’ancienneté de certaines pièces remonte aux années 60. La collection, gérée par Jacques Laffut, comporte environ 150 pièces.

Remember the ENIAC?

Parmi lesquelles la première machine à calculer imprimante (37 kilos!) inventée en 1886 par William Seward Burroughs; la première calculatrice “portable” datant des années 20 (7-8 kilos); la “Moon Hopkins” de 1921, première machine comptable et à facturer utilisant la multiplication directe. Le musée propose “un parcours chronologique retraçant l’histoire des ordinateurs et de leurs accessoires depuis le fameux ENIAC jusqu’à la fin du 20ème siècle.”

On y trouve aussi un exemplaire de tambour magnétique ainsi que l’ordinateur qui a servi au chanoine et astrophysicien belge Georges Lemaître (une pièce qui fut prêtée au Mundaneum de Mons).

Site Internet: http://www.acbm.com/inedits/reportage-musee-unisys.html

Bull

L’histoire de l’informatique au travers de celle de Bull et de ses produits. De 1920 à nos jours.

La collection inclut des matériels et logiciels informatiques, mais aussi des équipements électromécaniques antérieurs à l’ère de l’électronique, ainsi que leurs documentations. On y trouve aussi des équipements télécom et diverses documentations, archives et photos (environ 2.500).

Clou de la collection: un atelier à cartes perforées, datant des années 1960.

Petite visite virtuelle de la collection via ce lien.

Maison des Ecritures, Informatique & Bible, Abbaye de Maredsous

Le projet “Informatique et Bible” a eu pour but, dès le départ, d’illustrer l’influence des mutations de l’écriture- depuis l’adoption de l’écriture alphabétique jusqu’à l’écriture électronique- sur le développement de l’humanité.

“La collection retrace en fait le parcours d’informatisation des publications de la Bible. Et ce, depuis la publication, encore classique à l’époque (1950) de la “Bible de Maredsous”. Le recours à l’informatique a ensuite été motivé par des projets d’enregistrement de la Bible en plusieurs langues (français, grec, hébreux). Au début des années 70, cela passait encore par un encodage sur cartes perforées. Dès 1974, l’abbaye passait aux productions à partir de bandes magnétiques. Depuis la numérisation de certains fonds d’archives s’y est ajoutée, via des technologies plus récentes.”

Sites Internet: http://www.knowhowsphere.net et http://www.cibmaredsous.be

Collection Jean Lemaire

Calculatrice mécanique Melitta construite en RDA en 1946. Collection J. Lemaire.

Collection privée de “systèmes de calcul” qui rassemble différents instruments ayant servi de support au “calcul”, depuis des bouliers compteurs, règles de calcul en tous genres ou abaques jusqu’aux ordinateurs (desktop ou portables), en passant par des machines à calculer mécaniques et électromécaniques et des calculatrices électroniques (les plus anciennes proposant encore un affichage à tubes).

IBM

IBM a confié, en dépôt, au musée de la Métallurgie et mécanographie de Liège, quelques pièces d’une collection qui fut par le passé exposée aux Galeries Anspach. Pour ceux qui s’en souviennent encore. Quelques exemples: l’un des trois exemplaires connus de la première machine

Hollerith (1890), des équipements IBM cédés par Cockerill Sambre.