Infrastructure haut débit wallonne: j’ai mal à ma fibre

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Par · 27/09/2013

3.000 kilomètres de fibre optique “bradés” à 65 millions d’euros? 21,6 euros le mètre! La Wallonie va se mettre en quête d’un repreneur (plusieurs?) pour son réseau de fibre optique. Celui dont elle a fait tant de cas jusqu’à présent.

Si les temps (budgétaires) sont durs, on peut s’interroger sur le bien-fondé de cette mesure, discutée – et entérinée – en réunion de gouvernement wallon, ce jeudi 26 septembre 2013.

La Wallonie, en tant que propriétaire, jusqu’à présent, de ce réseau qui irrigue son territoire (connectant parcs d’activités, hôpitaux, établissements d’enseignement…) disposait en effet d’un atout non négligeable: outre l’infrastructure proprement dite, c’est l’unicité de décision et d’exploitation qui pouvait peser lourd dans la balance pour veiller au développement économique de la Région. En dehors également de considérations de mise à disposition potentiellement avantageuses pour tous les utilisateurs (finaux) intéressés.

Car les bénéficiaires du réseau fibre optique ne sont pas uniquement les administrations, OIP, hôpitaux, écoles ou les quelque 45 parcs d’activités desservis mais aussi un nombre appréciable de PME. Pour ne pas parler des destinataires futurs: tout citoyen, potentiellement, est concerné.

La vente devrait “idéalement” intervenir dans le courant 2014 – toujours pour des raisons de recherche de l’équilibre budgétaire que la présente équipe gouvernementale s’était engagé à réaliser d’ici 2015. La valeur “estimée” citée (elle a d’ailleurs été réduite en cours de journée puisque le premier chiffre évoqué par certaines sources était de 93 millions) pourrait par contre ne pas être définitive, une évaluation par un expert (à désigner par la Sofico) devra encore avoir lieu… Mais le principe de la vente, lui, semble bel et bien être définitivement entériné.

Décision qui ne manque pas d’étonner au moment-même où on n’a jamais pris davantage conscience de l’importance de disposer de nouveaux atouts pour ne pas rater une nouvelle étape numérique et faire de la Wallonie, comme l’ambitionnent ses dirigeants, un “territoire numérique.”

Le poids de la dette et les coûts étaient-ils à ce point abyssaux que les arguments de valorisation, avancés dès le début de la mission confiée à la Sofico, n’ont plus de prise? Aux “revenus intéressants sous forme de location de bande passante” (évoqués dans le temps), ne pouvait-on pas ajouter la perspective, comme certains le font remarquer, d’ajouter de nouveaux services à plus haute valeur ajoutée? A l’heure même où ces services, justement, se font plus nombreux, tout comme les besoins?

Trop coûteux

Le préfinancement, la gestion des opérations (en ce compris la pose des câbles) et la valorisation commerciale du réseau fibre optique wallon avaient été confiés voici 12 ans à la Sofico (Société wallonne de financement complémentaire des infrastructures) avec charge pour elle de la valoriser auprès des opérateurs, “en toute neutralité et transparence”, et à “des conditions attractives afin de stimuler l’utilisation de cette technologie”. L’une des motivations était aussi de garantir un réseau homogène, couvrant l’ensemble du territoire “sans trous ni coutures”, pour reprendre une expression utilisée lors d’une présentation de la Sofico en 2003.

L’exploitation technique du réseau, par contre, relève du SPW.

C’est apparemment les coûts de maintenance, d’aménagement et de gestion du réseau qui posent problème. Ou, à tout le moins, qui ont contribué à grever les comptes de la Sofico, dont le budget- et donc la dette- ont été intégrés au budget de la Région.

Des considérations budgétaires viennent aujourd’hui mettre à mal toute vue d’ensemble à moyen ou long terme. Le Master Plan TIC, présenté voici plus d’un an par le Ministre Marcourt, avait déjà été remisé dans les tiroirs, ne surnageant que par petits îlots thématiques (dont le projet Ecole Numérique). Aujourd’hui, il s’effiloche un peu plus puisque le haut débit- et les infrastructures qui le permettent- figuraient en première place dans ce Master Plan TIC.

On pouvait en effet y lire, comme “enjeux prioritaires pour une Wallonie digitale”: “développer les infrastructures digitales et les réseaux à très haut débit”. Avec un très haut débit qualifié de “véritable enjeu de société”. “Les réseaux à très haut débit doivent être envisagés au même titre que les autres services universels, comme l’eau ou l’électricité. Il s’agit d’un véritable enjeu de société, notamment en ce qui concerne les services à la personne [Ndlr: et là on touchait à la population en général, au concept de “fiber to the home”, et plus seulement à quelques points privilégiés sur le territoire] et l’émergence d’un nouveau modèle de croissance durable.”

“La Wallonie”, pouvait-on encore y lire, “doit donc se doter d’une véritable politique d’aménagement numérique du territoire, intégrant l’ensemble des paramètres politiques qui peuvent favoriser le déploiement et l’interconnexion des réseaux à très haut débit.” Ou encore ce petit bout de phrase un peu plus loin dans le texte: “La Wallonie doit aussi veiller à optimiser ses atouts existants…” Aujourd’hui, on semble dire que cette optimisation, ce n’est pas la Wallonie elle-même qui pourra (ou voudra) la prendre en charge.

Voilà donc une rêne de plus qui risque d’échapper à la Wallonie alors qu’elle a plutôt intérêt, comme toute région ou tout pays, à prendre son sort en mains.

Marche arrière toute?

La Wallonie s’inscrit ainsi à contre-courant de ce que veulent faire d’autres pays ou régions ou de ce que préconise l’Europe.

En France, par exemple, un méga-plan a été dévoilé avant l’été- en continuité avec ce qu’avait déjà entamé le gouvernement précédent. Le plan prévoit des investissements (en partenariat privé-public) à hauteur de 20 milliards pour le déploiement du très haut débit pour tous les Français d’ici 10 ans. La répartition des rôles entre privé et public est classique: aux opérateurs, les pôles et zones bien achalandées; à l’Etat, le soin de desservir des zones rurales “économiquement inintéressantes.”

Le Grand-Duché de Luxembourg, lui aussi, s’est doté d’une stratégie nationale du “très haut débit pour tous” (avril 2010). “Le développement des infrastructures de communication est l’une des priorités du programme gouvernemental dans le domaine ICT. […] Le succès de la diversification d’une économie de service dépend largement de l’accès à coût compétitif au ultra-haut débit.”

Les dorsales du réseau fibre optique Wallonie

Certes la Wallonie n’est pas le Grand-Duché mais ne peut-on s’en inspirer pour valoriser l’infrastructure locale?

En 2010, les autorités grand-ducales signalaient: “les investissements importants nécessaires pour le déploiement des réseaux de nouvelle génération demandent une période d’amortissement sur plusieurs décennies. Dans une économie de petite taille, comme celle du Luxembourg, il est difficilement possible de réaliser des économies d’échelle. Dans une telle situation, la construction de plus d’un réseau de fibre optique à couverture nationale n’est économiquement guère justifiable. Il est dès lors utile d’encourager l’utilisation des réseaux existants par des concurrents sur base de critères ouverts et transparents. L’exploitation d’une même infrastructure par plusieurs opérateurs devra permettre d’optimiser le rendement sur investissement et, en fin de compte, profiter à toutes les parties.”

Petit détour vers l’Allemagne qui s’est donnée pour objectif d’atteindre un taux de couverture ultra-haut débit de 50 Mbps pour 75% des ménages dès l’année prochaine. Que dire de la Finlande avec son objectif de service universel à 100 Mbps dès la fin 2015?

L’Europe (via sa stratégie Europe 2020 et l’Agenda numérique) et la Banque mondiale font souvent passer des messages similaires: “chaque accroissement de 10% du taux de pénétration du haut débit se traduit par une hausse du PIB de 1,3% en moyenne” (dixit la Banque mondiale).

En Wallonie, pendant ce temps, le haut débit avait également été présenté comme un axe majeur pour autoriser le déploiement et l’usage optimal du numérique au sein des administrations, des établissements scolaires… Le Master Plan TIC préconisait un “réseau scolaire haut débit… dimensionné, organisé et sécurisé de manière à mettre Internet à disposition de toutes les classes à l’horizon 2016.”

Si la Wallonie, par l’entremise de la Sofico, abdique son rôle de pourvoyeur d’infrastructure, quelle garantie d’universalité et de service public a-t-on encore?

Autre passage du Master Plan TIC qui risque bien d’être remis en question si la vente s’opère: “l’analyse d’impact et le placement de fibre optique lors des travaux effectués le long du réseau routier doit être étendu – par la Sofico – à l’ensemble du réseau routier. […] Profiter des travaux publics pour poser systématiquement les gaines de soufflage facilitera grandement l’installation d’un réseau fibre de grande ampleur et rapidement activable.” Cette “pose systématique” était planifiée à partir de… 2014.