« e-manuels »: la Belgique francophone en retard d’une guerre?

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Par · 01/07/2013

“Les éditeurs belges en sont encore largement à l’ère du média imprimé”, témoigne Saskia van Uffelen, désignée comme représentante de la Belgique pour intégrer le cercle des “Digital Champions”, sortes d’ambassadeurs-évangélisateurs du numérique.

“Certains éditeurs ont fait un premier pas et proposent aux écoles une méthodologie alliant écrit et virtuel mais, dans l’ensemble, quand on leur demande “quand serez-vous prêts?”, il est clair que l’échéance est longue. Du genre 5 ou 10 ans. Autant dire que la génération actuelle d’élèves peut faire une croix sur ces potentiels. Or, ce sont chez eux, entre 11 et 17 ans, que l’on peut créer une motivation pour le numérique, les métiers et les compétences qu’il requiert. Ce sont en effet les plus ouverts, les plus participatifs, les plus inventifs…”

Michel Roiseux (Association des Editeurs de Belgique): “Dans nos sociétés où le numérique s’est tout de même installé de façon importante, comment peut-on envisager que des élèves pour qui l’écrit se conjugue avec l’image, le son, le mouvement, la communication… puissent encore et toujours apprendre avec du papier et un crayon?”

Les priver dès lors de manuels numériques est une carence dont on pourrait se mordre les doigts à l’avenir, selon elle. Pourtant, ajoute-t-elle, il serait facile aux éditeurs de commencer d’ores et déjà leur transition, ne serait-ce qu’en exploitant les contenus sous forme PDF. “Ce serait déjà là un type de contenus dans lesquels les élèves pourraient aller piocher les exercices qui leur conviennent, selon le rythme de chacun, sans par ailleurs que le professeur doive s’ingénier à aller faire des photocopies personnalisées…”

Thibault Léonard, patron de la start-up Primento, spécialisée dans l’édition numérique, abonde dans ce sens. Pour lui, “le temps du manuel scolaire classique est révolu. L’enseignant a coutume de créer son propre programme de cours, d’aller puiser dans des ressources pédagogiques les modules qui répondent aux besoins de ses élèves.

Thibaut Léonard (Primento): “L’avènement des manuels numériques est l’occasion de réfléchir en termes de modules, de mieux adapter le support et le contenu à l’utilisation qui en sera faite, de faire en sorte de laisser à l’enseignant la liberté d’adapter sa formation à chaque environnement de classe.”

Il ira prendre un chapitre chez un éditeur mais si le 3ème chapitre du même manuel ne lui convient pas, il photocopie le contenu qui l’intéresse dans le manuel d’un autre éditeur. C’est encore plus vrai dans le monde numérique qui lui permet de créer le cours le plus adapté à sa manière d’enseigner. L’avènement des manuels numériques est dès lors l’occasion de réfléchir en termes de modules”, de mieux adapter le support et le contenu à l’utilisation qui en sera faite. “C’est également l’occasion de faire en sorte de laisser à l’enseignant la liberté d’adapter sa formation à chaque environnement de classe.”

Thibault Léonard n’en est pas pour autant un adepte du tout-numérique. “Le numérique est quelque chose en plus, qui permet notamment de maintenir l’intérêt de l’élève. Il est utile de mener 4 ou 5 modes d’apprentissage en parallèle: papier, ordinateur, iPhone, radio, Facebook… Nous vivons à une époque de stimuli permanents. Ne pas reproduire ces stimuli via les technologies à l’école risque d’avoir un impact sur les taux de réussite.”

Et d’ajouter: “L’enseignement ne se pose pas les vraies questions au sujet des jeunes. IL faudrait davantage coller aux nouvelles méthodes d’apprentissage qui sont de plus en plus fragmentées. Un jeune passe d’un support à l’autre- livre, Internet, vidéo sur YouTube… C’est, chez lui, un comportement normal. Et la génération Z est déjà à nos portes.”

Changer les habitudes

Comme dans tout ce qui touche au numérique, la formation des enseignants à ce nouveau support sera essentielle à la fois pour le degré d’adoption des manuels et pour obtenir des résultats pédagogiques tangibles. Au-delà de compétences purement pédagogiques remises à niveau, il leur faudra aussi maîtriser un minimum de compétences techniques afin de résoudre d’éventuels problèmes (informatique, Internet…).

Or, en la matière, les formations des futurs enseignants (pour ne pas parler de la formation continuée) ne se sont pas encore mises au goût du jour.

Soulignons au passage qu’il serait néanmoins malvenu de la part des éditeurs d’arguer que les enseignants ne sont pas prêts pour ne pas se lancer dans le bain du numérique…

Quand aux pouvoirs publics, ils devront, eux aussi, faire quelques efforts et démarches. A commencer par une concertation fructueuse entre Région et Fédération, la première étant aux commandes pour ce qui est des équipements, la seconde étant responsable des ressources pédagogiques et des formations des enseignants. Autre dossier à régler: les critères établis par la Commission d’Agrément des ressources scolaires (manuels, logiciels scolaires, outils pédagogiques). Ces critères et la procédure d’agrément sont jugés dépassés par nombre d’acteurs de terrain. Du côté des éditeurs, l’une des positions adoptées est de considérer qu’il revient plus logiquement aux enseignants eux-mêmes de déterminer quelle ressource choisir. Pour beaucoup, l’octroi de subsides ne devrait plus être lié aux recommandations émises, exclusivement, par la Fédé Wallonie-Bruxelles. “Une école n’est pas l’autre”, relève par exemple Thibault Léonard. Comment comparer une école de la capitale à une autre au fin fond d’une province, une école bien dotée de moyens financiers et une autre qui vise un public défavorisé? “Tout gérer en centralisé n’est pas efficace.”