Xavier Damman (Storify): “être libre de penser et d’avancer de nouvelles idées”

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Par · 28/06/2013

Xavier Damman (voir sa bio) est l’un de ces expat’ belges qui commencent à faire figure de modèle, dans le monde de l’IT. Nous l’avons contacté afin qu’il explique les raisons de son choix de s’expatrier, sa vision- très critique- du rôle des pouvoirs publics dans l’aide aux entreprises et aux starters, ses conseils aux (jeunes) entrepreneurs qui rêvent de réussite- locale ou internationale.

Pourquoi avez-vous décidé de vous expatrier?

La réponse tombe, limpide. “Parce qu’en tant que start-up positionnée sur des solutions Internet, il n’était pas possible de lever des fonds. Le seul moyen pour convaincre des investisseurs locaux est de démontrer qu’on a un business model viable. Or, dans de nombreux cas, les projets orientés Web sont des projets d’innovation. Et, par définition, l’innovation est quelque chose qui n’existe pas encore. Il n’est donc pas possible au porteur de projet de prouver la viabilité du business model puisqu’il n’existe pas encore d’exemple concret auquel le comparer… Je n’ai donc pas pu trouver, en Belgique ou en France, des investisseurs prêts à financer le projet. J’ai pris mon sac à dos et je suis parti dans la Silicon Valley parce qu’on y trouve nombre de sociétés similaires et tout un écosystème nettement plus favorable.”

Voyez-vous une évolution dans la manière dont les porteurs de projets locaux sont perçus et accueillis par l’écosystème local? Le fait qu’un certain nombre d’entrepreneurs aient, comme vous, décidé de partir et aient réussi ne fait-il pas évoluer les mentalités?

Oui et non. Oui, en ce sens, qu’on constate une multiplication des initiatives par des starters. Non, pour ce qui est de l’évolution de l’écosystème. Il y a une différence fondamentale entre la Silicon Valley et l’Europe. La Silicon Valley est un marché de start-ups. Avec de nombreuses grandes sociétés dans la région qui ont choisi de ne pas investir leur R&D en interne mais plutôt via des start-ups. Parce qu’elles savent que l’innovation ne se trouve dans leurs murs mais bien dans de petites structures qui n’ont pas les contraintes d’une société plus ancienne, qui sont libres de penser et d’avancer de nouvelles idées. Résultat: les gens qui ont récolté de l’argent pour créer une start-up ont trois possibilités qui se présentent à eux: soit ils échouent, soit ils réussissent, soit ils se font racheter par une plus grosse boîte.

Cette troisième option n’existe pas en Europe. En Belgique, une start-up n’a que deux destins: échouer ou réussir. Et réussir uniquement à long terme. Idem pour les investisseurs, soit ils perdent leur argent, soit ils le rentabilisent… à long terme. Mais ils doivent attendre peut-être 10 ou 20 ans pour que l’argent investi porte des fruits. Avec le même argent injecté dans une start-up dans la Silicon Valley, ils ont la perspective, en cas de rachat, de récupérer leur mise de fonds plus rapidement avec en plus un effet multiplicateur…

Xavier Damman: “La motivation première d’un starter dans la Silicon Valley n’est pas de trouver le business model le plus intéressant mais de créer de nouveaux marchés, de concrétiser une innovation qui améliorera la vie des utilisateurs.”

Cela signifie-t-il par ailleurs que la mentalité des starters de la Silicon Valley est différente et qu’ils se lancent davantage dans l’entrepreneuriat avec l’idée voire l’intention, dès le départ, de se faire racheter?

La motivation première d’un starter dans la Silicon Valley n’est pas de trouver le business model le plus intéressant mais de créer de nouveaux marchés, de concrétiser une innovation qui améliorera la vie des utilisateurs. En Europe, il doit se concentrer sur la démonstration qu’il a des clients, qu’il a un business modèle. Ses priorités se situent donc à un tout autre niveau.

Que proposeriez-vous pour résoudre cette situation?

La première chose à faire est de motiver de grandes boîtes telles que Belgacom, Mobistar, Telenet, Voo ou Electrabel à investir dans l’innovation. De leur faire comprendre qu’elles ne doivent pas investir en R&D interne mais plutôt acheter une start-up par an. Cela leur permettra aussi d’attirer des talents qui les aideront à innover. Cela générera aussi un effet d’appel puisque les jeunes identifieront davantage de possibilités de pouvoir innover…

En dehors de l’impossibilité que vous avez rencontrée à récolter des fonds, quels autres obstacles vous ont incités à vous expatrier?

L’un des obstacles est culturel. L’Europe protège les employés et pas l’employeur. Aux Etats-Unis, c’est l’inverse. Cela signifie qu’un entrepreneur peut se concentrer sur son job qui est de développer un produit qui intéressera l’utilisateur. Il y a peu d’overhead en termes d’administration, de gestion des employés. Un chef d’entreprise peut par exemple engager et virer rapidement son personnel. Je ne suis pas opposé à la notion de protection des travailleurs mais il faut se rendre compte que ce qui peut s’appliquer à une entreprise déjà bien établie n’est pas valable pour une start-up.

Xavier Damman: “On dirait parfois que les gouvernements n’ont pas envie qu’il y ait des entrepreneurs… parce qu’il est plus facile, au niveau sociétal, de “gérer” des employés que des entrepreneurs qui veulent sans cesse changer le monde.ï

Quand on est une start-up, on n’a pas encore réalisé de bénéfice. Et la seule façon de réussir est de se donner les capacités de bouger rapidement, d’engager les bonnes personnes, de rectifier rapidement les erreurs commises, en ce compris dans le recrutement de profils qui ne conviennent pas… En Belgique, on est ainsi parfois bloqué pendant trop longtemps avec des personnes qui ne conviennent pas. En Europe, l’overhead pour créer sa boîte est énorme. On dirait parfois que les gouvernements n’ont pas envie qu’il y ait des entrepreneurs… parce qu’il est plus facile, au niveau sociétal, de “gérer” des employés que des entrepreneurs qui veulent sans cesse changer le monde.

Quels remèdes proposez-vous?

Il faudrait changer les politiques. Les start-ups devraient bénéficier d’une plus grande flexibilité pour embaucher et licencier des gens que les grandes sociétés. Il faudrait aussi disposer d’un système fiscal beaucoup plus simple. Actuellement, les pouvoirs publics défendent le système en place en disant: oui, il y a beaucoup de taxes mais nous octroyons aussi beaucoup d’aides et de subsides pour la création de sociétés. Et nous finançons largement l’embauche d’un chômeur de longue durée… Ce n’est pas la meilleure manière de permettre à une société de trouver les meilleurs employés possibles. A priori, une start-up est même la dernière à avoir intérêt à engager quelqu’un qui est au chômage depuis de longues années. Le système est totalement biaisé. Résultat: personne ne réussit.

Je milite donc en faveur d’une suppression de tous les subsides qui, en soi, sont anti-démocratiques. Ce n’est que du bruit, une distraction pour l’entrepreneur, chaque fois qu’il doit remplir des formulaires pour obtenir des subsides. L’argent serait mieux utilisé s’il n’y avait pas ces subsides. Le même budget pourrait servir à réduire les taxes ou à financer l’engagement des trois premiers employés, par exemple. Est-il logique, par ailleurs, pour une société qui n’a pas encore engrangé le moindre bénéfice de devoir déjà payer des taxes?

L’intérêt des gouvernants ne correspond pas à l’intérêt du pays. Ce dernier a intérêt à créer le plus de valeur possible. Il s’agit de favoriser les citoyens à créer cette valeur. Il faudrait augmenter les taxes sur le profit sharing et diminuer les taxes sur la création d’entreprises.

Pour en revenir à l’opportunité que représente l’expatriation pour des entrepreneurs locaux, encourageriez-vous des starters à s’engager dans cette voie?

Cela dépend de leurs objectifs. Si l’idée d’un entrepreneur est d’avoir un impact maximal, de créer un produit destiné à un marché à grand échelle, il ne faut pas rester en Belgique. Mais le raisonnement n’est pas neuf. Déjà, à l’époque de nos parents, ils allaient travailler à Bruxelles plutôt que de rester à Bastogne par exemple. La différence, c’est que le contexte a changé. Aujourd’hui le monde est devenu un village.

Pour répondre à la question, je dirais que tout dépend de l’impact espéré et du target market. Si vous voulez que l’impact de votre projet soit au niveau local, vous pouvez vous contenter de Bastogne. Si l’impact voulu est celui du pays, visez par exemple Bruxelles. Si vous visez l’Europe, ce sera peut-être Londres ou Berlin. Il faut aller vers ce qu’on pourrait appeler la “capitale du marché”. Si vous voulez lancer une boîte dans l’aéronautique, vous irez plutôt à Toulouse plutôt que de rester à Ostende ou d’aller à Berlin. Mais si vous ne visez que les commerces locaux, rien ne sert de s’expatrier à San Francisco….

Pour le reste, le conseil que je donnerais à tous les jeunes diplômés, à tous les ingénieurs est de ne pas se couler directement dans le carcan de l’employé, d’un cadre où il n’y a pas de création de valeur mais, au moins pendant un an, de vivre une expérience plus riche. Les jeunes doivent profiter du fait qu’ils viennent de terminer leurs études, qu’ils n’ont pas encore de charges financières importantes, pour créer une boîte ou pour aller dans la Silicon Valley, pour y faire un post-sup dans une société afin d’apprendre le marché.

Quel rôle voudriez-vous voir les pouvoirs publics locaux jouer?

Pour qu’un entrepreneur réussisse, il doit pouvoir se concentrer sur son produit et sur son marché. Les pouvoirs publics font pire que mieux en voulant promouvoir l’entrepreneuriat. C’est de l’argent jeté par les fenêtres. Cela fait bien à la télé mais cela ne sert aucun résultat. Bien sûr, il n’est guère populaire de supprimer les subsides…

Le rôle des pouvoirs publics? Get out of the way, laissez les entrepreneurs innover. Chaque politicien veut créer une loi au lieu d’en supprimer. Le rôle des pouvoirs publics, en fait, est plutôt de supprimer les lois afin de simplifier la vie. Les entrepreneurs passent 40% de leur temps en paperasserie administrative. Le vrai travail des pouvoirs publics est de réduire cela par deux.

Bio-minute

Xavier Damman est le co-fondateur de Storify, société dont la solution permet de faire de la curation de contenus à partir des publications des internautes sur les réseaux sociaux. Son départ de Belgique remonte à 2009. Il est aussi l’un des fondateurs du groupe de réflexion HackDemocracy, qui se penche sur les possibles impacts positifs de la technologie sur la démocratie.

Sa première société, créée à Nivelles, remonte à 2002 et s’appelait Dynasite, spécialisée en CMS (content management system). Il fut ensuite l’un des initiateurs du média participatif Tribal, avant de créer Tweetag.com (tagging automatique de “gazouills”), de rejoindre ensuite les rangs de Skynet, pour lequel il a réalité le portail vidéo.

Autre création de société à son actif: ListiMonkey, solution de création d’alertes Google pour listes de “suiveurs’ Twitter.