“L’école ne prépare pas au cloud”

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Par · 17/06/2013

Le cloud computing, tout le monde en parle et beaucoup en font. Parfois sans trop le savoir. Le grand péril est de croire que l’“informatique dans les nuages” est un concept qui se suffit à lui-même. Or, il suppose de nouvelles compétences de la part de ceux qui le proposent mais aussi de ceux qui l’utilisent. A cet égard, les nouvelles générations ne sont pas formées à appréhender les contraintes, réalités et “ficelles” de cette informatique désincarnée.

Gregorio Matias, associé-gérant et consultant chez MCG (Wavre), estime par exemple qu’il existe “un déphasage énorme entre l’enseignement de l’IT et l’évolution de l’IT. Les gradués, licenciés ou ingénieurs qui sortent des écoles ne disposent pas des compétences qui seraient nécessaires. On n’enseigne pas le cloud à l’école mais ce n’est pas non plus le rôle de l’université ou des années de bac de proposer ce genre de formations up to date”.

Selon lui, il revient plutôt à la formation continue de le faire. Il site par exemple les formations “spécialistes cloud” organisées par Technobel. Problème, comme on le verra dans l’article que nous y consacrons, la capacité de formation est encore très limitée. A mille lieues des besoins du marché.

Une toute nouvelle donne

Les différents organismes de formation (réseaux scolaires et professionnels) ont une responsabilité immense dans l’apprentissage de ces nouvelles aptitudes dont a besoin le marché. La formation sera essentielle pour permettre aux sociétés- mais aussi aux utilisateurs individuels- d’exploiter efficacement les potentiels du “cloud computing”.

Voici l’avis de Damien Hubaux, operations manager du CETIC. Selon lui, il s’agit non seulement de consolider les fondamentaux mais aussi de bien se rendre compte que le “cloud” implique une toute autre dimension de complexité, que ce soit aux stades du développement, de la migration, de la gestion ou de la maintenance des solutions informatiques. Et le client/utilisateur final ne pourra pas faire une impasse totale sur ces compétences.

Qu’un administrateur réseau soit interne ou externe à la société”, souligne par exemple Damien Hubaux, “s’il n’est pas formé spécifiquement pour le modèle cloud, l’approche conservatrice, inadaptée, risque de perdurer. […] Les étudiants ne sont pas formés à tirer parti des offres du cloud, de sa flexibilité.

Damien Hubaux: “En ne procurant pas aux étudiants l’aptitude à développer des applications et services hébergés, on rate des opportunités [en termes d’emploi, d’activités économiques, de compétitivité…].”Il est nécessaire d’inclure de nouveaux apprentissages dans les cursus: comment gérer une machine virtuelle dans le cloud, comment tirer parti du phénomène PaaS [platform-as-a-service] et des langages de programmation, savoir ce qu’implique de proposer une solution SaaS par rapport à du développement classique d’applicatif… En ne procurant pas aux étudiants l’aptitude à développer des applications et services hébergés, on rate des opportunités [en termes d’emploi, d’activités économiques, de compétitivité…].”

Concernant la situation dans l’enseignement, Damien Hubaux estime qu’un certain nombre de lacunes doivent impérativement être comblées.

Il est certes logique qu’il ne suive pas toutes les “modes” [ce buzz aux visages changeants que l’on ne connaît que trop bien] mais ceux qui forment par exemple des administrateurs réseau ne se rendent pas compte, aujourd’hui, des aspects applicatifs au-delà de la virtualisation. Dans les écoles qui forment des ingénieurs et des informaticiens, on en reste à l’idée d’un développement et d’un mode de mise en production classiques des applications. Or, nous n’en sommes plus à l’époque où il suffisait de développer une seule fois pour que le résultat soit valable pour les 5, 10 ou 20 années à venir.

Nous en sommes désormais à une époque de développement et de déploiement en continu. Avec les logiciels de productivité de Google, par exemple, les menus changent quasiment tous les jours. Il faut des compétences d’un genre nouveau pour maîtriser cet aspect des choses.

Damien Hubaux (CETIC): “La conscientisation des utilisateurs finaux, même des utilisateurs informatiques (gestionnaires IT, développeurs), est difficile. Disposer du bon savoir-faire va être capital!”

Il faut par ailleurs s’inquiéter, dès le départ, des plates-formes sur lesquelles les logiciels seront déployés. Il faut pouvoir intégrer des librairies de services.

Deux dimensions supplémentaires gagnent en fait en importance: la gestion du code dans le temps et dans l’espace. En effet, le code doit être de qualité et doit pouvoir évoluer et – aspect des choses complètement ignoré dans la formation – un logiciel peut être amené à être redéployé, par exemple d’un cloud à un autre. Ce qui constitue l’une des valeurs ajoutées du cloud risque d’être freiné si on ne maîtrise pas cette dimension des choses.

De plus, s’il faut bien apprendre les bases de la programmation, dans un contexte industriel, il est impensable, à chaque fois, de « réinventer la roue ». Parmi les bonnes pratiques, il faut apprendre à sélectionner, maîtriser et intégrer des librairies (framework) ou des web services (API web) existants. La valeur vient d’une intégration parfaite avec un minimum de programmation. Une sorte d’éloge de la paresse… mais aussi de la rapidité et de la productivité. Or, cet exercice bien réel est mal vu dans les travaux pratiques. A l’école, on n’apprend pas, ou trop peu, à optimiser les développements.

Par ailleurs, dans le cadre d’applications Web (SaaS), l’ergonomie gagne encore en importance, alors qu’elle reste un parent pauvre de la formation.

Au CETIC, nous pensons également que certains étudiants sont conscients de tout ceci, mais qu’ils vont se retrouver face à des professeurs, à des entreprises ou à des chefs de projets plus “traditionnels”. Être à l’écoute de ces porteurs d’idées nouvelles peut être un avantage…”