Djengo: l’impératif de la masse critique

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Par · 09/04/2013

Djengo, jeune start-up qui a mis au point une plate-forme de promotion et de gestion de covoiturage, avait un temps envisagé de formuler une proposition dans le cadre de l’appel d’offres initié par la Région wallonne en vue du déploiement d’une solution territoriale de covoiturage dynamique (voir définition), impliquant un volet de multi-modalité.

La société a toutefois fait marche arrière estimant qu’il serait “très compliqué” de faire gérer par une plate-forme unique toutes les formes de covoiturage, pour tous publics, avec en plus une grande diversité de scénarios (avec ou sans lien avec les transports en commun, changements de covoitureurs, variabilité des trajets, demandes de dernière minute ou atypiques..).

“Cela signifiait aussi pour nous disperser nos efforts alors que nous avons au contraire décidé de nous focaliser sur un modèle et un créneau bien spécifique”, déclare Guillaume Verhaeghe, co-fondateur et directeur général de Djengo.

Miser d’abord sur la récurrence

Au lieu de s’aventurer sur le terrain du covoiturage dynamique, Djengo préfère en effet se concentrer, dans l’état actuel des choses, sur une forme de covoiturage plus “cadrée” et potentiellement plus porteuse. A savoir: les services destinés aux navetteurs professionnels, pour les besoins d’un public d’entreprises lui aussi bien balisé.

C’est là un tournant à 45° par rapport au scénario de départ.

A l’origine en effet, en 2011, le projet de Djengo visait deux contextes précis: des déplacements vers des événements (rencontres sportives, mariages, expositions…) et les trajets vers des destinations précises (lieu de travail, école…).

Assez rapidement, l’équipe a quelque peu changé son fusil d’épaule: l’événementiel ne garantissant pas un business model porteur, la cible s’est limitée essentiellement aux trajets domicile-travail.

“Nous nous sommes aperçus qu’il fallait avant tout travailler sur les comportements”, la récurrence des déplacements servant aussi à “enfoncer le clou”. Qui plus est, “les entreprises sont demandeuses. Notre vision première d’un covoiturage dynamique était utopique. Notamment parce que le réflexe de covoiturage spontané, via recours au smartphone, ne s’est pas encore produite chez nous”, estime Guillaume Verhaeghe. “Il n’est pas encore une réalité. Dans 5 ou 10 ans peut-être… Il y a encore trop de paramètres non maîtrisés. L’évolution, celle des smartphones, celle des réseaux sociaux, est en cours mais nous devions penser avant tout masse critique, faire avancer rapidement notre start-up.”

Pragmatisme

Djengo s’adresse donc désormais en priorité aux entreprises et plus encore aux sociétés employant plus de 150 personnes. Modèle économique privilégié: la société paie pour s’inscrire et enregistrer des employés (tarif unique par groupe d’employés, avec supplément pour l’organisation de campagnes, distribution de brochures…).

En se basant sur les premiers clients qu’il a pu convaincre, Guillaume Verhaeghe décèle de premières tendances dans les “profils” de sociétés qui se mettent plus volontiers au covoiturage: banques, secteur pharmaceutique, organismes publics. Analysées par zone géographique, les prédispositions se concentrent jusqu’ici essentiellement autour de Louvain-la-Neuve, de Bruxelles et de Braine-l’Alleud.

Parmi les premiers clients figurent ainsi notamment IBA, Pfizer, Cofinimmo, UCB, Decathlon, Mobistar, GDF Suez ou, au Luxembourg, PricewaterhouseCoopers.

Prochaines cibles géographiques de la société? Sans doute Liège, Malines, Anvers…

Le Grand-Duché apparaît comme un marché potentiel. Des tests de zones à couvrir seront effectués. Au-delà, Djengo ne se lance par encore dans les eaux internationales. “Nous voulons d’abord finaliser la région immédiate avant de nous expatrier. Mais des tests ont déjà lieu en Suède et au Brésil.” Pour ce dernier pays, si les développeurs et commerciaux sont brésiliens, la solution utilisée est bel et bien 100% Djengo.

Pendant un temps, Djengo avait imaginé évangéliser son service du côté des parcs d’affaires et des zonings. “Mais on s’est aperçu qu’il était difficile de travailler sur cette cible”, déclare Guillaume Verhaeghe, “essentiellement pour des raisons de communications. Un parc d’activités ne communique en effet pas aisément vers les petites sociétés qui y sont implantées.” Un constat qui sonne aussi comme un appel du pied à développer une réflexion en la matière…

Parcs d’affaires et zonings, “trous noirs” du covoiturage? “On s’est aperçu qu’il était difficile de travailler sur cette cible. Un parc d’activités n’assure pas une communication (d’informations) suffisante à destination des petites sociétés qui y sont implantées.”

La société a essuyé une autre déception du côté des campus universitaires. “Nous avons tenté de les approcher mais avec des succès variables. Nous sommes particulièrement déçus par l’accueil que nous ont réservé deux universités wallonnes.” Guillaume Verhaeghe n’en dira pas plus pour l’instant, espérant toujours un changement de cap. Il relève par contre que l’ULB a adopté l’idée: Djengo y a convaincu 500 personnes en l’espace de 3 mois.

Le fait de se concentrer sur les trajets domicile-travail, qui plus est essentiellement pour de grandes sociétés, présente un autre avantage pour une jeune start-up. Cela simplifie en effet les éléments et contraintes à prendre en compte: trajets réguliers et récurrents entre deux points connus, peu de variance, conventions entre “habitués”, possibilité de réserver ses places longtemps à l’avance et pour potentiellement de longues durées sans risquer de devoir faire faux bond… Une régularité qui explique aussi, comme on le verra plus loin, que la nécessité d’inclure l’outil smartphone (et sa réactivité) dans le scénario s’est quelque peu estompée.

Séduire. Attirer. Fidéliser.

En 2013, le gros du travail portera sur la communication afin de promouvoir au maximum cette forme de “mobilité douce” auprès des employeurs mais aussi afin de motiver et de convaincre les employés.

Guillaume Verhaeghe (Djengo): “Nous nous sommes aperçus qu’il fallait avant tout travailler sur les comportements.”

“Il n’est pas évident de changer les comportements. Nous nous sommes donc engagés dans une grosse réflexion sur notre outil. Objectif: renforcer le volet communication. Mettre davantage l’accent sur le collaboratif, tant à destination des employés que des employeurs. Progresser dans la voie des incitants…”

Djengo mettra en oeuvre de nouveaux outils et fonctions destinés à faciliter le matching entre covoitureurs, l’organisation des réservations et trajets. Quelques exemples? La visualisation immédiate des covoitureurs “compatibles”, la génération de déclarations fiscales préformatées, le calcul automatique des frais entre covoitureurs, la possibilité de réserver sa place dans un agenda en-ligne pour des périodes plus ou moins longues…

Une certaine dose de socialisation, voire une touche de gamification, fait également partie de la recette Djengo. La société mise ainsi sur le principe des incitants qu’offrent les entreprises à ceux de leurs employés qui pratiquement le covoiturage. A chaque entreprise de déterminer ce qu’elle propose.

Autre fonction nouvelle: un système d’information et d’alerte qui se plie à l’actualité. Ainsi un envoi d’alertes (via mail) à tous les inscrits de la base de données peut être effectué en cas de conditions météorologiques difficiles, de grève, voire de pic de pollution.

Une société peut également créer un événement et envoyer une invitation à ses employés les enjoignant de faire du covoiturage (par exemple, à l’occasion d’une fête de l’entreprise).

L’appli au frigo

Une partie de la réorientation qu’a subie le projet initial de Djengo porte sur la partie mobile. Au départ, en effet, le projet reposait sur deux axes: une plate-forme Web et une appli smartphone. Seule la première a été exploitée jusqu’ici. “Nous n’avons pas encore intégré la dimension du smartphone à notre modèle B2B parce que la demande n’en a pas encore été ressentie. Nous ne l’excluons pas mais une solution mobile, dans l’état actuel des choses, n’est pas ultra-nécessaire pour les trajets domicile-travail”. Les raisons? Régularité, peu d’écart dans les habitudes, inutilité de devoir prévoir les choses en dernière minute…

(1) Pour être qualifié de “dynamique”, le covoiturage doit pouvoir s’organiser de manière quasi-immédiate, sans programmation, sans réservation de service effectuée à l’avance par le conducteur et les passagers. En cela, il s’oppose au covoiturage dit planifié.