Clinique Sainte-Elisabeth: mieux gérer grâce aux données médicales

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Par · 27/02/2013

La Cellule Gestion du département de la direction générale de la Clinique et Maternité Sainte Elisabeth (CMSE) de Namur a notamment pour rôle de produire des rapports, de prodiguer des conseils et des indications prévisionnelles à l’usage de la direction, des responsables administratifs mais aussi des chefs de service (médecins) de l’institution. Elle a en outre pour mission de veiller à l’efficacité des processus internes. “Son rôle consiste notamment à développer des indicateurs permettant d’anticiper les stratégies et les orientations hospitalières”, soulignait Benoît Libert, directeur général de la CMSE, lors du séminaire Patient numérique, qui s’est tenu en octobre dernier. “La cellule de gestion a pour ambition, d’une part, de devenir un centre d’expertise et de référence apte à fournir des analyses fiables et pertinentes qui apportent une réelle plus-value aux décideurs et, d’autre part, de jouer un rôle essentiel dans la définition et le soutien de la politique de gestion menée par la direction de l’institution.”

Pour assumer ces diverses tâches, la cellule s’est engagée, depuis quelque temps, dans l’implémentation d’une solution de business intelligence (BI) qui va bien au-delà de la seule analyse des données financières et administratives pour y inclure également la dimension essentielle des données à caractère médical. La solution mise en oeuvre lui permet tout à la fois de visualiser et d’analyser les prestations facturées, de développer une comptabilité analytique, d’assurer le suivi des activités (évolution du nombre d’opérations, d’accouchements…), de surveiller l’évolution des ressources humaines et d’analyser le RCM (résumé clinique minimum).

“L’un des enjeux majeurs de l’analyse de données est de documenter les durées de séjour en hôpital. Le financement des hôpitaux dépend en effet, en partie, du nombre de journées [d’hospitalisation] justifiées”, explique Fabian Dehanne, analyste au sein de la Cellule de gestion.


Une petite explication préalable s’impose à cet égard. En vertu de la loi coordonnée sur les hôpitaux, datée de juillet 2002, le financement de chaque institution est calculé sur base de son taux et type d’activité (nombre de patients, type de pathologies traitées). L’“activité justifiée” est déterminée en fonction du “case mix” (nombre et type d’admissions) et des durées de séjour moyennes nationales classées par groupe de pathologies. Selon ce système, la durée de séjour justifiée est la durée de séjour moyenne standard du sous-groupe DRG (Diagnosis Related Group, groupe de diagnostics) auquel est rattaché tout patient.

Pour décider du financement à répartir entre les diverses institutions hospitalières, le SPF Santé a dès lors besoin de données factuelles qui lui sont fournies par les RCM (résumés cliniques minimum) qu’émettent les hôpitaux pour l’ensemble de leurs patients. On y retrouve à la fois des données administratives et médicales.

Si un hôpital ne documente pas correctement, ou pas suffisamment, ses RCM, si les justifications des traitements donnés n’expliquent pas correctement la durée de séjour, l’hôpital risque fort de voir ses budgets rabotés (BMF- Budget des Moyens Financiers, forfait pharmacie, honoraires biologie, honoraires imagerie médicale…).

Il a d’autant plus intérêt à justifier correctement les journées d’hospitalisation facturées (et donc remboursables) que le déficit chronique de la Sécurité sociale pousse de plus en plus les autorités à réduire les quotas de journées justifiées et donc le nombre de lits financés.

Eliminer les inconnues

C’est donc en partie dans la perspective d’une préservation de son financement que la CMSE a décidé d’opter pour une solution décisionnelle qui lui permette d’agir sur ses processus, de les rendre plus efficaces et de sensibiliser davantage le corps médical aux enjeux que représentent les données médicales.

“Si les séjours à l’hôpital des patients étaient qualitativement bien pris en charge dans notre institution, nous manquions d’outils pour anticiper les activités futures de l’hôpital”, souligne Fabian Dehanne. Pour ce faire, Sainte-Elisabeth avait besoin de renforcer ses mécanismes pour améliorer sensiblement la collecte et l’analyse de données pré- et post-séjour.

La Cellule de gestion a dès lors décidé de développer et de mettre en oeuvre plusieurs outils d’aide à la décision.

D’une part, des rapports et cubes décisionnels qui permettent de suivre quasi en temps réel le séjour d’un patient [à condition, bien entendu, que ses données médicales soient disponibles] mais aussi d’anticiper le mieux possible sa prise en charge et d’exploiter, a posteriori, les données s’y rapportant.

D’autre part, une application d’estimation de durée de séjour. Cette estimation est générée sur base des données du dossier médical individuel, qui inclut le diagnostic principal, les procédures et les diagnostics secondaires qui révéleraient un degré de sévérité plus lourd. L’évaluation se base aussi sur des données statistiques, à savoir les moyennes nationales du même groupe DRG. Depuis l’été 2012, la Cellule de gestion est ainsi en mesure de fournir au médecin une durée de séjour estimée, qui correspond spécifiquement à chaque cas.

Fabian Dehanne (Clinique Sainte-elisabeth): “plus nous disposons d’informations, mieux nous pouvons justifier l’activité de l’hôpital.”

“Cela permet au médecin d’assurer une prise en charge optimale. En cours de séjour, il pourra réactualiser l’estimation sur base d’informations complémentaires (complications médicales, procédures supplémentaires…). Si une complication ou un imprévu se produit pendant le séjour qui risque de faire dépasser la durée “justifiée”, le médecin a la possibilité de documenter l’état de santé du patient en utilisant une simple boîte de dialogue dans l’application. Il y note ses observations en texte libre. Dès cet instant, un mail est envoyé automatiquement à la Cellule RCM qui sera ainsi avertie du changement de contexte. Sur base des données fournies par le médecin, une nouvelle codification ICD-9 sera effectuée afin de permettre éventuellement de changer le patient de catégorie et, dès lors, de justifier une durée de séjour différente.”

Feedback immédiat

Benoît Libert: disposer de données réelles très rapidement pour décider des pistes d’actions à prendre, quelques années à l’avance.”

Ce suivi temps réel de la situation présente d’autres avantages. “Nous pouvons suivre les séjours afin de déterminer s’ils respectent les normes. Depuis février 2013, des rapports sont automatiquement générés par spécialité médicale. Ces rapports tiennent compte de 5 indicateurs: la répartition des patients traités par spécialité (taux de “sévérité économique”), le nombre d’admissions, le nombre d’admissions en hôpital de jour, le rapport entre facturations et justifications, et la durée moyenne de séjour.”

Ces rapports, destinés à la direction- et bientôt aux médecins-, sont présentés sous forme graphique. Depuis peu, une fonction de drill down a été ajoutée afin de permettre aux destinataires de découvrir les données auxquelles correspondent les courbes: classification des patients par DRG, proportion des sévérités (économiques), proportion de durées de séjour dits “en différence de justification favorable” (durée inférieure à la moyenne), groupes DRG prédominants, diagnostics, etc.

“Cette production immédiate de données (encodées par la cellule RCM), de rapports et de cubes présente l’avantage essentiel, pour la CMSE, de nous procurer un feedback immédiat sur nos activités. Les moyennes nationales que génère et fournit le SPF le sont toujours avec un délai de 3 ans. [Ndlr: Autrement dit, le financement qu’a reçu un hôpital en 2012 était basé sur des données de référence de 2009. Il y a donc un décalage important entre les financements estimés et la réalité.] Nos cubes, par contre, nous fournissent informations et indications avec un décalage maximal de deux mois. Nous pouvons dès lors réajuster nos stratégies institutionnelles, anticiper la prise de mesures afin de mieux répondre aux contraintes et aux défis futurs.” Notamment la diminution sensible- et régulière- des financements.

“Si on se fie uniquement aux données du SPF, on pourrait en conclure que notre activité justifiée est très favorable. Mais ce serait là une perception trompeuse, non représentative de la réalité. Disposer de données réelles très rapidement nous permet de mieux estimer notre budget ainsi que les pistes d’actions à prendre, quelques années à l’avance.”

Démarche participative

Si les rapports et cubes ne sont destinés qu’au comité de direction et aux responsables de services (direction nursing, direction médicale…), les estimations de durée de séjour intéressent exclusivement les médecins. “Plus tard, elles pourraient également être un outil intéressant pour le personnel infirmier afin qu’il puisse mieux préparer les sorties et assurer une meilleure gestion logistique des ressources.”

La disponibilité rapide des données “permet aux médecins de suivre leurs propres activités mois après mois. Ils peuvent ainsi procéder à des analyses plus pointues: nombres de procédures par type de pathologie, diagnostic les plus fréquents, statistiques de traitements donnés…”

Fabian Dehanne: ”Moins on montre [d’informations], plus on cache, moins les médecins participent.”

Le développement de l’application d’estimation de durée de séjour avait une autre finalité dans le chef de la Cellule de Gestion. En l’occurrence, favoriser davantage de communications grâce à une meilleure visibilité sur les données. “Cette solution renforce leur appropriation de la gestion de l’institution, renforce leur démarche participative dans l’analyse et, dès lors, améliore la collecte de données.”

Si l’objectif est de fournir davantage d’informations au médecin et, en retour, de lui permettre de mieux documenter le RCM, il serait aussi contre-productif de le bombarder d’informations, de lui forcer en quelque sorte la main et d’alourdir ses propres modes de fonctionnement. D’autant plus, indique Fabian Dehanne, qu’un médecin ne verra pas la nécessité de demander une estimation de durée de séjour pour une procédure habituelle, qu’il évalue parfaitement de lui-même. “Sainte-Elisabeth a privilégié un consensus entre la disponibilité médicale du médecin et la diffusion d’information. L’apport d’une estimation n’est préconisé que pour les patients les plus difficiles à évaluer, dont le séjour risque de comporter des dépassements.”

Prévenir pour mieux guérir

Pour gérer au mieux les séjours de ces patients “à risque”, la Cellule de Gestion opère désormais en mode “monitoring temps réel”. “Dès l’instant où les données médicales du patient et sa pathologie sont connues (motifs d’hospitalisation, historique…), nous pouvons, notamment sur base de statistiques et de moyennes du SPF, déterminer le profil d’évolution du séjour, les  risques de dépassement éventuels. Nous pouvons ainsi, anticipativement et à titre indicatif, prévenir le médecin de telle sorte qu’il intègre le scénario dans sa prise en charge thérapeutique.” Et qu’il produise dès lors les informations ad hoc que la Cellule RCM pourra encoder conformément aux critères à retenir.


Maîtrise interne de la business intelligence

La gestion des données médicales à la Clinique & Maternité Sainte-Elisabeth de Namur repose notamment sur les éléments suivants:

Logiciel de gestion médicale: OmniPro de MIMS. Logiciel de codification RCM: WebRHM.

Solution de business intelligence:

– Microsoft SQL Server

– génération de cubes et rapports: Microsoft Analysis, Reporting & Integration Services

– visualisation des données: TM1 Executive Viewer

– solution d’évaluation de durée de séjour: développement interne, couplé à l’outil 3M.

La CMSE a fait le choix de développer sa propre solution d’aide à la décision pour des raisons de maîtrise, de réactivité et de transparence sur les données. “Nous voulions favoriser l’autonomie des experts institutionnels, renforcer et assurer le développement durable des compétences des ressources de l’institution avec, pour effet, la proactivité, l’adaptation et la maîtrise des systèmes”, indiquait par exemple Benoît Libert, directeur général de la CMSE, lors du séminaire Patient numérique organisé en octobre dernier. “La dépendance envers l’informatique nous ralentit dans les processus dès lors que des bugs ou des modifications apparaissent dans nos environnements. C’est donc la maîtrise interne des environnements informatiques omniprésents dans les hôpitaux qui permet de traiter ces difficultés sans attendre l’intervention de sociétés extérieures et d’adapter les modifications journalières que vit un hôpital. Cela permet d’anticiper les actualisations potentielles des sociétés informatiques. Cette anticipation se traduit par l’innovation d’outils et l’influence des prédispositions stratégiques à prendre avant de subir les effets d’une vague.”

Fabian Dehanne confirme: “Nous avions clairement une volonté d’autonomie en termes de réalisation et d’utilisation d’un outil BI. A mesure qu’un hôpital multiplie le nombre de logiciels qu’il utilise, la situation et leur gestion se font plus complexes. Nous ne voulions pas dépendre d’un tiers chaque fois que nous devions faire face à une nouvelle demande de développement. Le fait de maîtriser nous-mêmes les données et les processus est également important dans le cadre d’exercices d’analyses comparatives, dans la mesure où nous savons ainsi avec précision quelles données sont utilisées pour les comparaisons.”