Dossier Données médicales – Droit d’accès: A l’insu de mon plein gré

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Par · 27/02/2013

Quel est l’intérêt d’un patient d’autoriser un accès non limitatif de ses données de santé à tout acteur opérant dans le secteur des soins de santé? A priori, chacun a intérêt à ce qu’en toute circonstance, il puisse recevoir les meilleurs soins ou conseils possibles. Mais, l’ouverture de données personnelles à tout vent, même lorsqu’il s’agit de santé, peut avoir des effets non souhaités, voire pervers.

Le législateur l’a bien compris, lui qui a décidé d’imposer un consentement préalable du patient avant que ses données ne puissent être accédées et échangées en acteurs des soins de santé. Ce qui, par parenthèse, implique potentiellement une grande diversité de “métiers”: généralistes, chirurgiens, infirmières, pharmaciens, psychiatres, gynécologues, alcoologues, kinésithérapeutes, médecins-conseil…

Oui, nee, ou “p’têt ben”

Si le principe général est celui de l’opt-in, la manière de ce “consentement préalable et éclairé” est interprété et appliqué diffère, actuellement, selon qu’on soit un patient wallon ou flamand.

En effet, la méthode pour obtenir le consentement initial au niveau national (via la plate-forme eHealth), par ailleurs adoptée par les trois hubs flamands, est moins souple que celle préconisée au niveau du Réseau Santé Wallon (RSW).

Un exemple. Un patient ne désire pas que ses données pharmaceutiques (consommation de médicaments) soit accessibles à certaines catégories d’acteurs. Il peut certes refuser mais les implications seront différentes selon le hub sur lequel il enregistre son consentement.

Àu niveau fédéral (via la plate-forme eHealth) et en Flandre, son refus implique qu’il rejette tout échange de données, quelles qu’elles soient, quels qu’en soient les utilisateurs potentiels. Aucun médecin n’aura dès lors accès à quoi que ce soit.

En Wallonie, la procédure via le RSW est plus granulaire. Un patient peut ainsi interdire l’accès à son dossier médical pour un ou plusieurs médecins, moduler les droits d’accès aux documents, signaler à un prestataire qu’il ne désire pas que tel ou tel document soit rendu accessible. Ces mécanismes d’exclusion ne sont pas prévus en Flandre.

La différence? Via eHealth et les hubs flamands, le consentement est global: le patient donne une fois pour toutes son consentement à l’échange et à la mise à disposition de ses données médicales informatisées.

Frank Robben: “aussi longtemps qu’un individu ne rencontre pas de problème avec les échanges de données médicales le concernant, il n’a aucune raison de bloquer le processus.”

Il le donne donc potentiellement à tous les prestataires- présents ou à venir- qui auront avec lui un lien thérapeutique.

Pas question de lui permettre de restreindre l’accès à une certaine catégorie de prestataires ou de moduler les droits d’accès en fonction du “profil” métier de chacun (comme le permet davantage le RSW).

“Un patient”, explique Frank Robben, directeur général de la plate-forme fédérale eHealth, “n’est pas en mesure de déterminer si un ophtalmologue, par exemple, peut accéder à un document mentionnant une prescription de médicament pour l’estomac. Comment, en effet, ce patient pourrait-il juger des contre-indications potentielles, des effets d’une nouvelle molécule…? Interdire à la catégorie Ophtalmologue d’accéder aux données pharmaceutiques peut comporter un risque pour ce patient. Il est impossible de prédire les circonstances futures et il est impossible de tout expliquer au patient.”

D’où la volonté, côté eHealth et hubs flamands, de n’autoriser qu’un consentement global.

Du genre tout ou rien.

Mais quid si un patient interdit tout échange de données entre prestataires? Frank Robben n’y voit aucun souci potentiel, convaincu qu’un patient ne refusera pas ce consentement. “Aussi longtemps qu’un individu ne rencontre pas de problème avec les échanges de données médicales le concernant, il n’a aucune raison de bloquer le processus.”

L’argument utilisé par Frank Robben d’un patient qu’il faudrait protéger contre lui-même pour des raisons de non compréhension des enjeux est décrié par d’autres acteurs. Notamment par les associations représentant les patients ou encore par des observateurs tels Jean-Marc Van Gyseghem du CRIDS qui estime qu’il s’agit là d’une “infantilisation du patient » et d’un “paternalisme désuet”. “Le patient”, déclare-t-il, “doit être informé des risques de ses décisions et les professionnels de la santé doivent être prévenus de ces décisions afin de pouvoir les prendre en compte.”

Simpliste et démagogique

La façon de voir de Frank Robben (et des réseaux hospitaliers flamands) est également critiquée du côté des responsables du RSW. “Je défie quiconque de trouver dans la littérature du RSW la moindre objection à ce qu’un ophtalmologue accède aux données pharmaceutiques d’un patient”, déclare André Vandenberghe, responsable du Département d’Information médicale du CHU Charleroi, et cheville ouvrière du Réseau Santé Wallon (RSW). “Bien au contraire, un ophtalmologue peut déjà aujourd’hui consulter le schéma de médication de son patient pour autant que le généraliste ait publié son Sumehr (dossier résumé) dans Inter-Med. C’est totalement faisable et en production aujourd’hui dans le RSW. Le RSW a fait une étude détaillée (mais non encore publiée) sur les accès différenciés dans le cadre multi-disciplinaire. Je pense que nous sommes les seuls à l’avoir fait en Belgique. Je peux garantir, que de manière assez surprenante, les modalités de partage des données entre tous les acteurs de soins, envisagées dans cette étude, sont très audacieuses et vont vers une ouverture très large, y compris vers le patient. Exactement le contraire des affirmations de Frank Robben.”

André Vandenberghe: “un consentement global doit être correctement balisé. Aujourd’hui, on le collecte en Flandre alors que les règles d’accès aux données ne sont même pas encore écrites, ni au niveau flamand, ni au niveau national.”

Et de poursuivre: “le désaccord entre nous et Frank Robben sur la portée d’un consentement global est que les limites de celui-ci ne sont pas définies et que nous ne pouvons pas garantir au patient quel usage sera fait de ses données, notamment par les organismes assureurs (par exemple, refuser le remboursement de vos médicaments parce que vous êtes fumeur). Frank Robben a toujours refusé de préciser explicitement les limites du consentement global. Nous ne sommes pas les seuls à nous méfier de son interprétation des réglementations. Les pharmaciens eux-mêmes ont refusé d’utiliser le consentement global dans le cadre de leur dossier pharmaceutique (ils collectent un consentement propre). Son exemple d’accès aux données pharmaceutiques est donc peu judicieux!”

André Vandenberghe ajoute: “Nous ne sommes pas opposés à un consentement global, mais il doit être correctement balisé. Aujourd’hui, on collecte ce consentement en Flandre alors que les règles d’accès aux données ne sont même pas encore écrites, ni au niveau flamand, ni au niveau national.”

Et de prendre un autre exemple de droit potentiellement outrepassé: “Après un accident de ski, votre kiné va avoir accès à vos rapports médicaux, images, etc. Doit-il pour autant voir combien de boîtes de préservatifs le pharmacien vous a délivré? Selon certains scénarios envisagés, c’est ce qui va se passer en Flandre. Nous pensons qu’un stratégie “tout ou rien” risque finalement d’avoir l’effet contraire sur l’adhésion au système.”

60.000 patients wallons répertoriés

“Il y a aujourd’hui 60.000 patients wallons qui ont signé (électroniquement ou manuellement) leur adhésion”, indique André Vandenberghe. “Il s’agit donc d’un opt-in explicite, le seul valable jusqu’à l’adoption récente de l’opt-in light par la Commission Vie privée.”

En Flandre, les chiffres sont d’un tout autre ordre. Frank Robben affirme par exemple qu’“un million de patients qui dépendent du réseau louvaniste VznKUL sont déjà référencés dans le MétaHub”.

Un chiffre qui, estime André Vandenberghe, “doit correspondre à la totalité de leur population de patients.” Ce qui l’amène à s’interroger: “ces patients sont sensés avoir été informés correctement des tenants et aboutissants du projet hub/méta-hub. Ce dont je doute. Au CHU de Charleroi, nous inscrivons 1.200 patients (hospitalisés) par mois, en prenant la peine de les informer individuellement, de leur donner une brochure explicative et de collecter leur consentement écrit. 60% des patients adhèrent après explications. Si nous devions inscrire 333.000 patients par mois, nous ne pourrions le faire qu’à leur insu, après avoir peut-être pris la précaution d’inscrire une mention en petits caractères en bas d’une facture, ou je ne sais quel document qui pourrait servir de prétexte à une soi-disante information. Par ailleurs, nous ne voyons pas tous nos patients sur un délai de 3 mois.

La différence de chiffres reflète à mon avis simplement la différence de prise en compte du libre arbitre des patients. Je crains que le VznKUL et Frank Robben ne prennent un peu à la légère les recommandations de la Commission Vie privée qui prêche pour une information effective des patients. Ou alors, j’applaudis la performance extraordinaire de ce réseau d’avoir pu informer valablement et convaincre 1.000.000 de patients en 3 mois.”

Nous avons posé la question de la méthode à Frank Robben mais n’avons pas reçu de réponse à l’heure où nous publions ce dossier.

Reste à savoir si 60.000 patients wallons inscrits après consentement est un score honorable ou ridiculement bas? Réponse d’André Vandenberghe: “On peut nous comparer à la France où le respect de la vie privée des patients est effectivement prise en compte. Les chiffres du DMP [Dossier Médical Personnel] sont disponibles, comme les nôtres, sur Internet et démontrent qu’au prorata des populations respectives, le RSW inscrit 4 fois plus de patients, pour des investissements 8 fois inférieurs, et une mise en production plus récente, sans le support politique et médiatique dont le DMP a bénéficié.”

Sur le RSW, un patient peut:

– déclarer ou couper un lien thérapeutique avec un médecin,

  • interdire l’accès à son dossier médical pour un ou plusieurs médecins,
  • se désinscrire
  • consulter la liste des documents médicaux référencés (sans en voir le contenu)
  • moduler les droits d’accès aux documents,
  • voir l’historique des accès à un dossier ou à un document
  • signaler à un prestataire qu’il ne désire pas que tel ou tel document soit rendu accessible
  • limiter l’accès à chaque document médical référencé sur le Réseau Santé Wallon.

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