CESW: des mises en garde à caractère essentiellement sociétal

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Par · 14/12/2012

Sollicité, au deuxième semestre 2011, par le Cabinet Marcourt pour donner son avis sur la teneur du Master Plan TIC, le CESW (Conseil Economique et Social de Wallonie) a préféré ne pas se prononcer sur les objectifs opérationnels ou sur l’agenda. Raison invoquée: “Sans indication sur la grandeur du budget, il nous était difficile de préconiser des priorités. […] Le Conseil souhaiterait connaître au moins l’enveloppe globale qui sera dégagée, en moyens d’action et de paiement, afin de se faire une idée des arbitrages nécessaires au sein même du Plan et entre celui-ci et d’autres politiques wallonnes.”

Renvoi de la balle à l’envoyeur, accompagné de cette petite phrase: “Nous réagirons à nouveau si le ministre Marcourt nous fournit un plan plus détaillé.”

L’avis rendu, en novembre 2011, s’est donc cantonné à certaines objections, pointant du doigt certains risques et lacunes, du moins perçus comme tels. A commencer par l’agenda, serré, de mise en oeuvre qu’il prévoyait au départ. D’autant plus qu’une “concertation citoyenne” avait été prévue (ou tout au moins évoquée) par le Cabinet. Or, l’agenda de départ prévoyait une seconde lecture au gouvernement avant la fin de l’année 2011 et la prise des premières mesures en 2012. Même si tout s’était déroulé dans les meilleures conditions possibles (et on sait ce qu’il en est advenu), c’était très court.

Les regrets

Si le CESW saluait le fait que le Plan ait été défini suite à une étude prospective et à la consultation préalable d’acteurs privés et publics (côté privé, citons notamment Microsoft, Cisco, KPN, Mobistar, HP…), il regrettait que d’autres interlocuteurs n’aient pas été sollicités: “une consultation élargie à l’ensemble des publics concernés (organisations syndicales, entreprises, milieux scientifiques, société civile…) aurait permis de prendre en compte non seulement le volet technologique mais aussi les questions liées à d’autres aspects”. Par exemple, l’impact sur l’emploi sur la sécurité sociale, sur la santé (les regards se tournent vers le Wi-Fi), l’acceptabilité sociale et les impacts environnementaux (déchets toxiques, recyclage…)

“Numérisation inconsidérée”

Le CESW formulait par ailleurs certaines craintes par rapport aux impacts et risques d’une “numérisation inconsidérée”. S’il s’agit en effet de dynamiser et de moderniser l’économie et le tissu local, trop de zèle et du suivisme aveugle par rapport à ce qui se fait ailleurs pourraient entraîner des effets néfastes, estime le Conseil.

CESW: “aucune étude ne s’est penchée à ce jour sur les causes de la fracture numérique.”

Il déplorait ainsi que le Plan n’ait pas été accompagné ou précédé d’une réflexion approfondie sur les possibles impacts sociétaux. Certes, reconnaît le CESW, certaines études ont été faites, telles les Baromètres traditionnels de l’AWT, qui prennent des clichés intéressants, notamment en termes de taux de pénétration des TIC dans les ménages, les entreprises, les communes, le secteur de la santé… “Mais, si ces études permettent de faire certains constats en matière de fracture numérique, aucune n’en analyse les causes. Or, l’un des buts du Master Plan TIC est de lutter contre cette fracture numérique. Mais comment pourrait-on le faire sans en connaître les causes et s’y attaquer?” En la matière, le CESW déplore un grand vide.

Rétrograde, le CESW?

A lire certains passages de l’avis émis en 2011, on pourrait le penser. Trois exemples.

Le Wi-Fi est vu comme une source potentielle de risques pour la santé “en particulier dans le cas des enfants et des personnes électrosensibles”. Conclusion: “vérifier avant d’envisager la généralisation de cette technologie dans les espaces publics”.

L’Internet des Objets. Le CESW voudrait ici freiner cette révolution en marche, invoquant les risques pour le respect de la vie privée. Les objets “intelligents” pouvant collecter des données personnelles, exploitables par des acteurs tant privés que publics, “il est indispensable de circonscrire précisément le champ d’application de cette technologie et d’en soustraire en tout cas les objets qui relèvent d’une utilisation privée.” Ce qui équivaudrait à amputer sérieusement le maillage en cours.

Par ailleurs, l’arrivée des écoles numériques n’est pas perçue comme un progrès en soi. En tout cas, le CESW s’interroge à ce sujet. Pour une raison assez basique: “on rappellera l’importance du contact enseignant/enseigné dans le processus d’apprentissage et le développement affectif de l’enfant.”

Le CESW serait-il en train de remettre en doute la nécessité de doter les élèves et étudiants des moyens nécessaires à leur apprentissage de la réalité numérique ambiante? Ou de critiquer la manière dont les plans d’équipements ont été pensés jusqu’à présent? Pas tout-à-fait, rassure Dominique Graitson, porte-parole du CESW. “Nos réflexions se portent exclusivement sur ce qui a été annoncé. De manière plus précise encore, ce sont les scénarios d’utilisation pédagogique des TIC qui soulèvent des questions. Dans la proposition d’action, il est fait référence à un futur système d’enseignement où l’élève va chercher lui-même l’information dont il a besoin, reléguant le professeur à un simple rôle d’encadrement. Or, l’enseignant doit rester l’acteur-clé de l’apprentissage. Il est le symbole de beaucoup de choses. Présenter la relation élève/enseignant comme la scénarise le plan est réducteur…”.

Se donner les moyens de ses ambitions

Le Conseil souligne notamment le fait que la Wallonie n’est pas forcément maître du jeu dans tous les domaines concernés par le Master Plan TIC. “A l’exception de certains chapitres dans des domaines tels que l’enseignement, l’environnement ou la santé, la Région ou la Fédération Wallonie-Bruxelles n’ont pas toutes les rênes en mains. Il serait dès lors utile de développer une concertation avec les autres niveaux de pouvoirs- non seulement belges mais aussi européens.”

Et là où des décisions et interventions autonomes sont possibles, comme dans le secteur de l’environnement, une réflexion doit s’instaurer sur les dispositions à prendre. Un exemple: le recyclage d’équipements IT. “Vis-à-vis d’une société spécialisée en recyclage, il faudra veiller à ce que le permis d’environnement comporte les clauses nécessaires de protection des travailleurs et du voisinage.”

Si la Région ne dispose par ailleurs pas de moyens financiers suffisants, il serait utile d’envisager des solutions de remédiation. Le Conseil estime que l’idée d’appels à projets orientés ICT est “peu présente dans le plan du ministre contrairement à des concepts davantage mis en valeur, tels la créativité ou les espaces de travail en commun.” Le CESW ne remet pas en doute le constat que le secteur ICT wallon, “composé principalement de petites entreprises, pourrait difficilement s’inscrire dans un pôle de compétitivité compte tenu du caractère transversal de ses activités”. Il a toutefois besoin d’être dynamisé et, avec lui, l’économie locale. Le CESW recommande dès lors de procéder à des “appels à projets spécifiques dans le cadre des 6 pôles de compétitivité existants en vue de promouvoir le développement de ces technologies dans les différents domaines couverts” et ce, “selon des axes définis au moyen d’une analyse SWOT du secteur”.

Qui dit appels à projets, sous-entend moyens budgétaires à mobiliser. “Bien entendu mais il y a bien eu des appels à projets dans le domaine du développement durable, pourquoi pas pour les TIC?”

Et si les moyens publics sont limités, il s’agit de mobiliser des ressources alternatives, souligne le CESW. Lisez des moyens mis en oeuvre par le privé ou via des partenariats privé-public.

Mais attention, relève dans la foulée le CESW, il faut “préserver la qualité et l’indépendance des services publics, en particulier dans le domaine de l’éducation.” Pas question de soumettre, voire d’inféoder, ce secteur à des intérêts privés. “Il faut notamment préserver les principes d’égalité de traitement.”

La même mise en garde est faite concernant le domaine des soins de santé. “Les technologies ICT risquent [le mot n’est peut-être pas des mieux choisis!] de rendre certains services rentables, d’en faire des sources de profit et, donc, d’attirer l’intérêt du privé. Il ne faut pas perdre de vue, dès lors, le risque de dangers pour les plus faibles.”

Outre les moyens réglementaires et financiers, le CESW pointe aussi un risque de carence du côté des moyens humains. “On relève une importante problématique en Wallonie. Si la Région se positionne très bien par rapport à la moyenne européenne, en termes de pourcentages de titulaires de diplômes de l’enseignement supérieur, le pourcentage des nouveaux diplômés en sciences et technologies est très bas. Le dernier chiffre (2009) est de 12% contre plus de 20% sur l’ensemble de l’Union. Cela signifie que le renouvellement du stock de compétences n’est pas garanti, notamment pour la population des chercheurs ou des personnes à mettre en oeuvre dans le domaine des TIC. Lorsque l’on déploie une ambition telle celle qui sous-tend le Master Plan TIC et le déploiement des TIC qu’il veut dynamiser en Région wallonne, il faut aussi s’assurer qu’on a les moyens de le faire.”

Là encore le CESW émet une critique sur l’absence d’un constat documenté sur les causes- en d’autres termes, sur les raisons de la désaffection des études en sciences et technologies.

Pour séduire à nouveau les jeunes, il faudrait notamment leur démontrer l’intérêt de ces études et des débouchés qu’elles portent en elles. Las! Les informations manquent pour le faire- par manque de richesse statistique.