Enseignement de l’IT en Fédération Wallonie-Bruxelles? Peut mieux faire.

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Par · 21/11/2012

Depuis l’année académique 2010-2011, l’AEQES (Agence pour l’Evaluation de la Qualité de l’Enseignement Supérieur) réalise, pour les besoins de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une évaluation des formations IT dispensées par les universités, les hautes écoles et les établissements supérieurs de promotion sociale (EPS). Sont notamment évaluées les formations en sciences informatiques, e-business, informatique de gestion, informatique et systèmes (réseaux, sécurité…).L’objectif n’est pas de servir d’étalon selon lequel “juger l’aptitude de tel ou tel établissement à mettre en oeuvre des cursus IT, ou justifier des financements”, souligne Caty Duykaerts, directrice de la cellule exécutive de l’AEQES. Il n’est pas question non plus “d’attribuer des notes ou d’élaborer de classements entre établissements mais plutôt de formuler des recommandations afin de bâtir un esprit et enclencher des réflexions d’améliorations. Au travers de la formulation de quelques idées novatrices, l’espoir est de faire avancer les choses, de servir de levier de progrès.”

Les gros défauts

Au-delà de ce qui est souvent considéré comme une “illisibilité des formations” (voir plus loin), l’une des améliorations essentielles recommandées porte sur la manière dont le monde de l’enseignement s’adapte au rythme d’évolution des technologies, par ailleurs de plus en plus rapide. “Il lui faut suivre le rythme, pour rester en adéquation. Même si on ne demande pas aux écoles d’acquérir le plus rapidement possible les outils”, souligne Bruno Schröder, l’un des experts ayant participé à l’exercice d’évaluation. Il est essentiel, à ses yeux, d’améliorer le niveau de veille et de dynamiser les contenus.

“L’objectif est d’enclencher des réflexions en vue d’améliorer les choses, de formuler quelques idées novatrices, dans l’espoir de servir de levier de progrès.”

L’adaptation est également nécessaire- et peut-être encore plus fondamentale- dans le registre de la formation des enseignants. L’offre était déjà insuffisante. Pour diverses raisons, qui tiennent tantôt à la motivation des enseignants, tantôt à un manque de moyens (financiers et humains).

Les nouvelles restrictions budgétaires qui touchent les centres de compétences risquent fort d’aggraver encore la situation.

Des choses améliorables

L’un des constats de carence ou, tout au moins, de situation qui mériterait d’être améliorée, porte sur le manque d’implication entre les différents acteurs de l’écosystème. Ainsi, les experts ont souvent relevé “un déficit d’implication de deux publics pourtant utiles à l’efficacité de l’enseignement, qui seraient prêts à s’impliquer mais qui ne sont pas ou insuffisamment sollicités.” A savoir: les anciens étudiants de l’établissement et les entreprises ICT locales, “qui, pourtant, connaissent bien les problématiques et le contexte”, insiste Bruno Schröder.

La pédagogie demeure par ailleurs trop classique, organisée selon un mode transmissif. “Les nouvelles pédagogies sont peu utilisées.” A savoir: les modèles collaboratifs, la dimension des réseaux sociaux, les plates-formes en-ligne…

D’une manière plus fondamentale, les formations ne sont pas toujours en adéquation avec la demande. Ce qui n’a rien d’une révélation. Le rapport de l’AEQES souligne toutefois, de manière précise, le caractère très traditionnel des formations technologiques dispensées dans les hautes écoles et les EPS: “on y forme surtout des développeurs pour des compétences classiques. Le monde de la mobilité et du cloud en sont encore absents.” Un vide que tentent de combler, petit à petit, les centres de compétences. Ce qui n’est pas une solution suffisante.

Du côté des universités, l’inadéquation est d’un autre ordre: “on y forme plutôt des chercheurs qui iront alimenter des carrières académiques”, estime Bruno Schröder. Toutefois, tempère-t-il, “leurs aptitudes sont transférables au monde de l’entreprise, moyennant un petit temps d’adaptation.”

Il est aussi des compétences et des aptitudes auxquelles les études ne forment pas ou de manière trop rare et épisodique. Or, certaines sont essentielles à maints métiers et profils IT. Parmi ces formations aux abonnés absents: le travail en groupe (“alors qu’il est essentiel pour toute gestion de projet”), une formation aux arcanes de la sécurité, des tests, de la documentation ainsi que de l’évaluation d’une charge de travail (et on s’étonne qu’une majorité de projets ne respectent pas les agendas!?).

Trop peu d’étudiants

En Fédération Wallonie-Bruxelles, seuls 3,95% des étudiants se lancent dans une filière IT. Trop peu, estime Bruno Schröder, surtout si on fait une petite comparaison avec des pays tels que l’Allemagne (moyenne de 6,18%), le Grand-Duché de Luxembourg (au-delà de 6%) ou encore… l’Estonie qui atteint les 6,32% “notamment grâce à l’impact de son programme Tiger qui consiste à instaurer une première introduction à l’IT dès l’école primaire.”

Pas assez d’implication du monde de l’entreprise et des anciens étudiants.

Agoria, notamment, s’est souvent fait l’écho d’un manque de diplômés en IT. Parmi des pistes possibles de remédiation, il serait par exemple intéressant, en promotion sociale, d’offrir davantage de masters en horaires décalés. Mais on ne semble pas en prendre le chemin, notamment à la lumière de la menace qui plane au-dessus des programmes VAE (Valorisation des Acquis de l’Expérience) dont le financement pourrait bien s’arrêter l’année prochaine.

Autre aspect du problème: le taux élevé d’abandons en cours de première année. Pour des raisons qui n’ont pas encore été identifiées. L’une des explications parfois proposée est l’erreur d’aiguillage. Un “manque de lisibilité” des programmes (autrement dit, une formulation obscure des thèmes de cours et des compétences qui peuvent en être la résultante), qui attire les mauvais profils. S’y ajoute une mauvaise perception de ce à quoi peuvent servir les études IT. Pour cause de problème d’image du secteur.

Les abandons sont également nombreux en EPS. L’une des explications se trouve bien évidemment du côté de la charge de travail que représentent des études pour des personnes ayant par ailleurs un travail. En la matière, les experts ayant oeuvré pour l’AEQES recommandent de mieux exploiter des outils nouveaux permettant de répartir cette charge de travail. En l’occurrence, une utilisation plus intensive des plates-formes électroniques (e-learning).

Constats divers

Le panachage des lieux d’enseignement résulte en un paysage qui pourrait être rendu plus cohérent. Il arrive par exemple que des formations similaires soient données dans des établissements géographiquement voisins les uns des autres, sans qu’aucun d’eux ne parvienne à rassembler un nombre d’élèves suffisant pour justifier le cadre.

Bruno Schröder: “Tous les éléments sont présents dans l’écosystème mais ils sont mal exploités et ne sont pas intégrés.”

Une réflexion allant dans le sens d’une mutualisation des moyens et ressources pourrait avoir des résultats positifs, à condition de réussir à éliminer les obstacles et réticences (concurrence inter-réseaux, résistance des pouvoirs organisateurs…).

De même, il serait utile de tirer parti de ce qui est perçu comme une richesse. A savoir, la co-existence de 4 systèmes d’enseignement: établissements de promotion sociale, hautes écoles, universités, centres de compétences (dépendant du Forem). “Dans un contexte de flexibilisation croissante des carrières et des connaissances et de formation tout au long de la vie, l’apprentissage constant devient une nécessité. Les centres de compétences, notamment, sont bien placés pour détecter les besoins. L’existence de ces 4 systèmes avec, chacun, leurs forces et leurs complémentarités, est potentiellement une bonne chose mais on constate qu’ils sont fort peu interconnectés.”, souligne Caty Duykaerts.


Méthodologie de l’AEQES

L’évaluation des formations a envisagé divers critères et dimensions: mode de fonctionnement de l’institution, finalité des programmes, satisfaction des besoins du marché, progrès notés, mesures d’amélioration, mode d’évaluation des étudiants, organisation du travail de fin d’étude, ressources humaines et matérielles, articulation entre monde professionnel et académique, plan d’action stratégique…

46 établissements ont été évalués: 12 hautes écoles, 5 universités et 29 établissements de promotion sociale (EPS). Au total, ils enseignent l’IT à quelque 6.279 étudiants.

Pour ce travail, l’AEQES a fait appel à 39 “experts” venus de divers horizons. On dénombre ainsi 19 professeurs, 9 professionnels de l’IT et 11 personnes portant la double casquette. 23 de ces experts étaient de nationalité belge. Les autres venaient de pays tels que les Pays-Bas, la France, l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Dans la mesure du possible, afin de “favoriser la transversalité et le croisement des conclusions”, les experts ont visité des établissements relevant de différents réseaux et niveaux d’enseignement.