Les étudiants liégeois imaginent des solutions e-santé pour handicapés

Pratique
Par · 02/05/2016

L’une des activités organisées à Liège dans le cadre de la Semaine de la Créativité avait pris pour thème le développement de solutions (logicielles et/ou matérielles) pour l’e-santé. Et, plus spécifiquement, à destination des personnes souffrant de handicaps (déficience visuelle, auditive, mentale ou problèmes de mobilité).

Le concours de développement, qui s’est déroulé sur deux jours, était réservé aux étudiants en ingéniorat et design ainsi qu’à des personnes en formation auprès du Centre de Compétence Technifutur (développement de sites, d’applis mobiles…). Plus de détails sur le profil des participants et la méthode d’encadrement du concours, dans notre encadré en fin d’article.

Contrairement à d’autres concours-flash de développement qui se déroulent sur 2 ou 3 jours (les hackathons et autres Startup Weekends), l’expérience s’accompagnait de formations, en amont, et d’une imprégnation du thème des développements via confrontation avec les utilisateurs visés. L’objectif, par ailleurs, n’était pas de faire naître un projet de start-up ou un “minimum viable product” mais plutôt, comme le précise David dalla Vecchia, business et technology manager aux WSLlabs, de “susciter une dynamique multidisciplinaire entre étudiants venant de divers horizons, de leur faire apprivoiser un parcours de “maker” (formulation d’une idée neuve, conception de logiciels et matériels, production en 3D, design, création d’un prototype…).

David dalla Vecchia (WSLlabs): “L’objectif n’était pas de créer des produits viables mais certains prototypes sont tellement aboutis qu’il serait dommage de ne pas pousser plus loin…”

Objectif couronné de succès, estiment les organisateurs, mais qui a débouché sur des prototypes dont certains sont tellement aboutis qu’il serait dommage d’en rester là.

Les prototypes et idées se verront donc offrir une chance de poursuivre leur petit bonhomme de chemin. Plusieurs participants étaient d’ailleurs tellement satisfaits de leur travail qu’ils pourraient tenter de pérenniser l’effort – même s’ils sont encore aux études.

Du côté des organisateurs (living lab WeLL, ID Campus, Technofutur TIC…), on estime aussi qu’il serait dommage de ne pas pousser certaines idées plus loin et on promet d’ailleurs de recontacter les étudiants afin de proposer un accompagnement par le WeLL, les WSLlabs ou le VentureLab de l’ULg si le coeur leur en dit…

Les prototypes réalisés iront par ailleurs s’exposer, d’ici quelques semaines, au… Canada à l’occasion d’une conférence organisée par l’association de living labs Enoll (European Network Of Living Labs).

6 projets, 2 lauréats

Six équipes, formées d’étudiants aux profils volontairement disparates et complémentaires, ont imaginé et développé 6 prototypes de solutions numériques destinées à aider le quotidien de personnes souffrant d’un handicap (moteur, visuel, auditif ou mental).

Le prix du jury a couronné l’équipe Banana’s qui a imaginé une application mobile dont l’interface s’adapte aux caractéristiques du handicap de l’utilisateur pour lui permettre d’effectuer efficacement ses courses, de manière autonome, dans n’importe quel magasin.

La solution se compose, d’une part, d’une appli mobile pour smartphone ou pour montre connectée et, de l’autre, de balises Bluetooth.

 

Le prix du jury consistait en un viatique de 2.000 euros à dépenser sous une forme qui se voulait, elle aussi, originale. A savoir que l’équipe gagnante devait revenir vers les organisateurs avec une idée de projet répondant à des critères de “dynamique créative”. Par exemple, une nouvelle création à réaliser ou un voyage-découverte dans un laboratoire lié à la créativité technologique… Sans obligation de lien direct avec le prototype développé.

La nature de ce prix a été imaginée spécifiquement pour encourager les membres de l’équipe à rester une équipe, à pousser plus loin leur potentiel collaboratif (et complémentaire).

 

L’appli est dotée d’une interface paramétrable. Selon le type de handicap, elle peut afficher ou énumérer à haute voix les produits que doit acheter la personne et qui se trouvent à proximité immédiate. Utile pour les malvoyants mais aussi pour les personnes souffrant de déficience intellectuelle. Au fil du parcours en magasin, l’appli reçoit des “messages” des petites balises Bluetooth, disséminées dans les rayons, qui identifient le rayon et déclenchent dès lors l’accès à la liste des articles qui s’y trouvent. “Vous êtes au rayon légumes, achetez vos pommes…”

L’interface affiche, au choix, présente les produits sous forme de textes grossis ou sous formes de symboles simples ou les lit à haute voix. Il suffit à l’usager de toucher l’écran pour passer au produit suivant. Et pour les personnes ne disposant pas d’un smartphone, l’équipe a imaginé d’intégrer l’interface dans une simple montre connectée (système Arduino embarqué), munie d’un seul gros bouton à la place du cadran. La montre sert de guide oral (connexion possible à des oreillettes Bluetooth pour plus de discrétion). Une pression sur le bouton et l’achat est confirmé et l’annonce du produit suivant déclenchée.

Le cas échéant, la liste de courses peut être préparée et téléchargée par un tiers via accès au serveur qui héberge l’application dans le cloud.

 

L’équipe Keep in Touch a imaginé une surface tactile, composée de 6 “pads”, qui est directement intégrée à un vêtement ou à un petit fourreau textile (pouvant être produit en 3D) que la personne handicapée fixe sur son abdomen.

Utilisateurs visés: les personnes ayant perdu l’usage normal de leur main voire la maîtrise d’un membre (par exemple personnes souffrant de sclérose en plaque ou ayant subi un AVC). Les “pads” tactiles sont en fait des capteurs de pression et reconnaissent le toucher, même imprécis ou tremblotant, et font dès lors office de pointeur ou interface de commande. Par le tracé de mouvements, l’usager peut ainsi commander des PC, des systèmes domotiques…

La surface tactile imaginée est divisée en 6 pavés. Quatre d’entre eux gèrent la direction, les deux derniers servent de sélecteurs haut / bas. L’équipe a l’intention de présenter sa petite invention à une société spécialisée dans la domotique.

Eric Carat (Pixome, membre du jury): “Mixer les compétences, décloisonner les écoles débouche sur quelque chose de magique.”

 

T!CAP (Team pour une Conception d’Autonomie de la Personne) a imaginé une télécommande, baptisée OneButton, produite en 3D et découpe laser, qui permet à une personne handicapée de contrôler, via un seul dispositif, toute une série d’appareils et systèmes. Depuis un PC ou lecteur DVD jusqu’aux lumières ou aux équipements ménagers.

Le bouton de la télécommande se manipule par simple rotation, par exemple pour sélectionner une chaîne de télévision. Une pression normale valide le choix. Une pression prolongée déclenche une navigation dans le “menu” de dispositifs télécommandés, de quoi passer au pilotage d’un éclairage ou de la machine à laver…

Le tout fonctionne sur base d’un système Arduino (pour le pilotage de PC, DVD…) et de micro-modules Arduino qui intègrent des modules de communications (pour le pilotage à distance d’équipements domestiques via radiofréquences).

La télécommande a été conçue et produite de telle façon à pouvoir se fixer sur le bras d’un fauteuil roulant. “Et les fab labs pourraient aisément en produire sur mesure, selon les besoins spécifiques de chaque personne.” Le tout pour un prix abordable, souligne l’équipe: de l’ordre de 30 euros pour l’électronique de la télécommande, moins de 20 euros pour le boîtier et environ 30 euros de plus pour les modules de communications.

 

HelpConnected (projet de l’équipe Development Medical & Design) est un bracelet connecté qui, grâce à trois boutons habillés de trois couleurs différentes (rouge, orange, vert) permet à une personne moins valide de signaler un éventuel problème. Ce projet a décroché le Prix du public.

Le bracelet, doté d’un potentiel de géolocalisation, est équipé d’une carte SIM, d’un accéléromètre (permettant par exemple de détecter une chute) et d’un capteur cardiaque. En cas de problème, il suffit à la personne d’appuyer sur le bouton rouge pour envoyer un message d’alerte (par SMS) à un ou plusieurs destinataires préencodés.

La géolocalisation permet d’alerter les gens en cascade: le plus proche d’abord, un autre ensuite ou le centre de télésurveillance s’il n’est pas disponible.

En cas de chute, le bouton rouge active lui-même le message d’alerte – avec possibilité pour la personne d’annuler l’alerte en poussant sur le bouton vert. Autre fonction “tampon” prévue: en cas de chute, le bracelet émet un message vocal à la personne qui peut donc stopper l’alerte soit en répondant oralement, soit en activant le bouton vert.

Le bouton orange, lui, émet un signal – sonore et lumineux – pour signaler un problème aux personnes se trouvant à proximité de l’usager.

 

Se repérer dans un espace via des capteurs ultra-sons et alertes par vibrations.

L’équipe TIM (Technology Ideas Makers) a planché sur une solution permettant aux malvoyants de se repérer dans l’espace à l’aide de capteurs à ultra-sons placés à divers endroits du corps (l’un étant par exemple fixé sur des lunettes – réelles ou factices, produites sur mesure par impression 3D – et un autre à hauteur de la ceinture). Les capteurs repèrent les obstacles et envoient des signaux vers un petit dispositif que tient l’usager dans la main et qui vibre en réponse aux signaux des capteurs. Les vibrations s’intensifient à mesure qu’il se rapproche de l’obstacle. Le placement de plusieurs capteurs permet de différencier le type d’obstacle (mur, armoire, table, chaise…).

Le prototype fonctionne encore avec des câbles mais l’idée est de faire communiquer les différents capteurs via Bluetooth.

 

L’équipe Focus a imaginé un système de détection permettant à une personne malvoyante de jauger le degré de chaleur d’une boisson ou de l’aider dans la préparation de ses repas. Le petit dispositif de “détection de remplissage” peut avertir, oralement (via connexion à une tablette par exemple), qu’une casserole risque de déborder ou guider une personne dans le processus de cuisson. “L’appli prend alors la forme d’un tutoriel qui distille les indications, message par message, à un rythme adapté à la circonstance et au déficit de l’usager, sachant par exemple qu’un déficient mental ne peut gérer qu’un ou deux messages à la fois.”

Moins abouti, ce projet devait encore résoudre nombre d’obstacles: utilisation d’un capteur de chaleur sans contact (par ultra-sons), adaptation aux différents types de matériaux des récipients…

Les ingrédients du Cocktail Challenge

Ce concours d’idéation et de création dédié à l’e-santé avait reçu le sobriquet “Cocktail” parce que la manière dont il s’est déroulé a mêlé plusieurs ingrédients. Non seulement, une partie création accélérée, en mode hackathon ou Startup Weekend, mais aussi – en amont et en aval – un accompagnement qui a consisté dans des formations et des échanges avec les usagers potentiels, dans un esprit “living lab”. Avec aussi une mise en situation de handicap pour les participants eux-mêmes.

Un total de 20 heures de formation ont été données: conception électronique sur Arduino ou Raspberry, impression 3D, usinage, formations à diverses “techniques” de création pour du prototypage rapide.

Côté “formation” aux problématiques visées, des contacts ont été organisés avec des associations pour une mise en situation (explication concrète des contraintes vécues par les patients ou handicapés) mais aussi des contacts directs avec des patients et utilisateurs potentiels des produits imaginés. Des personnes à mobilité réduite membres de l’asbl Altéo ont par exemple participé à la phase de conception et de prototypage. Une fois les prototypes conçus, un retour d’expérience a également été prévu pendant une semaine, avec possibilité de faire tester les protos par les usagers concernés en environnement réel.

Profil des participants – au nombre de 31: des étudiants des filières Ingénieur de la Fac des Sciences Appliquées de l’ULg et des Hautes Ecoles HELMo Gramme et HEPL ISIL, des étudiants en design de l’ESA Saint-Luc, ou encore des personnes suivant des formations en développement d’applications mobiles chez Technifutur (4 d’entre elles s’étaient jointes aux étudiants).

A noter aussi une proportion inhabituelle de participantes féminines. Près d’un tiers de la cohorte…

Emilie Vanenborne (ID Campus):  “La méthode choisie pour faire émerger les projets mise sur le collectif et la complémentarité.”

Les équipes ont été constituées par les organisateurs eux-mêmes afin de former des équipes complémentaires en termes de compétences. Ce qui laisse moins de place au hasard – et aux carences en compétences – qu’on retrouve parfois dans les hackathons ou Startup Weekends. L’implication de chacun(e) est en outre favorisée par le fait que tous les membres imaginent conjointement le projet, sans qu’il soit proposé, dès le départ, par un “leader” auquel les autres se rallient.

Partenaires de l’événement: le living lab WeLL, Technifutur, l’ULg (Faculté des Sciences Appliquées), IDcampus. Partenaires formations: Technifutur, IDcampus, Vigo Universal.

Associations qui ont procuré guidance et accompagnement concret en fonction des usagers visés: Altéo, Passe Muraille et Accessplus. [ Retour au texte ]