Ecosystème entrepreneurial local? Un besoin de stabilité et de rigueur

Hors-cadre
Par · 29/04/2016

Cette semaine, l’UNamur organisait, en collaboration avec InvestSud, une conférence sur le thème de la dynamique entrepreneuriale en Wallonie. L’occasion pour les deux organisateurs de braquer les projecteurs sur la nouvelle “Chaire d’Excellence pour la Recherche et l’Expertise en Entrepreneuriat” (Cheree) inaugurée cette année à l’UNamur sous l’égide du CERPE (Centre de Recherche en Économie Régionale et Politique Économique). Le Cheree vise à devenir “un point d’ancrage pour la recherche en entrepreneuriat et une interface entre la recherche et le public.”

Charles Van Wymeersch, professeur émérite de l’UNamur. Spécialité: entrepreneuriat et gestion financière de l’entreprise. Il est également Professeur invité à la Albert-Ludwigs-Universität de Freiburg et à la Louvain School of Management (UCL). Il fut aussi pendant 5 ans président du conseil d’administration d’InvestSud, poste qu’il a récemment cédé à Laurent Levaux, patron d’Aviapartner.

Parmi les orateurs de la conférence, on relevait, en invité-vedette, le professeur Charles Van Wymeersch (voir son portrait-minute dans l’encadré ci-contre) et, comme débatteurs, des représentants de l’économie, tant traditionnelle que numérique.

Parmi les constats et petits messages qu’on a pu relever à cette occasion, nous commencerons par citer quelques éléments exposés par le professeur Charles Van Wymeersch qui y discourait à la fois en sa qualité de professeur en entrepreneuriat et d’acteur du monde de l’investissement.

Modèle à 3 facettes

Au fil de son exposé, le Prof. Charles Van Wymeersch a démontré tout l’intérêt de combiner divers facteurs pour faire émerger un entrepreneuriat viable, parlant des conditions d’un écosystème stable, soulignant les qualités essentielles d’un starter, mettant aussi à mal ce qui parfois n’est qu’un miroir aux alouettes – à savoir la Silicon Valley.

Il se livrait par exemple à un petit jeu de blocs de construction, avec ce que certains (tels Nicolas Colin, “accompagnateur” français de start-ups numériques, créateur de l’incubateur The Family) considèrent comme les trois leviers indissociables de l’entrepreneuriat (réussi). La suite de l’article est réservée à nos abonnés Select et Premium.

Trio de facteurs de l’équation ? Le savoir-faire, le capital et… la rébellion.

Détricotage par le Prof Charles Van Wymeersch.

Charles Van Wymeersch citant Marc Andreesen (ex-Netscape et désormais venture capitalist de renom): “L’effet “réseau de talents” veut que plus il y a de personnes de talent à un endroit, plus nombreux seront ceux qui auront envie d’y aller.”

Si on ne combine que le savoir-faire et le capital, on évolue dans le monde de l’optimisation, du renouvellement de quelque chose qui existe déjà. “C’est surtout le contexte dans lequel évoluent les grands groupes établis.”

Si on marie savoir-faire et rébellion, on se retrouve dans “une économie de bac à sable”, avec des néo-entrepreneurs qui s’amusent beaucoup à créer des choses amusantes mais dont ils se fatiguent vite parce qu’elles n’aboutissent pas.

Pour que cela marche, il faut en fait combiner les trois ingrédients.

L’une des causes des ratages et difficultés est, à ses yeux, l’instabilité – celle de l’écosystème ou encore, de manière plus large, celle des conditions que créent les acteurs publics.

Le défi, pour le législateur – “énorme et bien réel en Belgique” -, est de développer un cadre normatif efficace, lisible et stable et de faire en sorte qu’il soit respecté. C’est ce qui fait défaut aujourd’hui et les entrepreneurs en souffrent beaucoup. Le plus important n’est pas de développer de nouveaux incitants. Il faut avant tout simplifier, rendre compréhensible, stabiliser. C’est là qu’il faut notamment voir les raisons qui expliquent que les Pays-Bas ou le Grand-Duché de Luxembourg [Ndlr: qui “performent” très bien selon les indicateurs du Global Entrepreneurship Monitor mis au point par le Babson College et la London Business School] sont devenus des havres pour entrepreneurs – en ce compris IT. Le jeu de règles y est constant…” Alors que dans le même temps, si l’on s’en réfère au modèle GEM la dynamique du marché interne grand-ducal n’est pas meilleure que la nôtre…

Pas d’écosystème-miracle

“Cela ne sert à rien de vouloir recréer la Silicon Valley ou son écosystème. Cela ne marche pas parce que nous n’y vivons pas”, estime Charles Van Wymeersch. “Le fait est, par contre, qu’un entrepreneur peut s’épanouir dans tout écosystème, selon le principe de darwinisme. L’entrepreneur peut s’adapter aux circonstances.

En réalité, ce sont les modifications de l’écosystème qui ont surtout un effet perturbateur, pas l’écosystème lui-même.”

Marcus Dejardin (professeur d’économie au CERPE de l’UNamur): “Il faut voir l’entrepreneur dans un contexte de post-matérialisme. Ses valeurs sont désormais davantage l’autonomie, l’estime de soi, l’épanouissement personnel. Il est important d’en tenir compte pour soutenir le nouvel écosystème entrepreneurial.”

“Ma conviction profonde”, embrayait Charles Van Wymeersch, “est que l’entrepreneur doit avant tout faire preuve de trois grandes qualités: compétence, rigueur et passion. Des qualités difficiles à combiner, ce qui induit la rareté. Mais c’est là que réside la “culture entrepreneuriale” et c’est là qu’est le défi.”

Un défi qui doit être relevé, sous divers aspects, par plusieurs acteurs indispensables, aux yeux du professeur Charles Van Wymeersch, au phénomène de l’entrepreneuriat: les formations (“éducateurs”), les financeurs et les législateurs.

“Le défi pour l’éducateur [lisez: le monde de la formation supérieure et universitaire] est triple. Etre celui qui fait se développer les compétences mais aussi les capacités à en acquérir de nouvelles. Instiller de la rigueur. Préserver et stimuler la passion, la créativité, l’audace.

Or, la créativité de l’entrepreneur baisse après 5 ans il faut donc l’entretenir.

Au fil des ans, j’ai pu constater que la passion des étudiants augmente. La volonté de créer une entreprise gagne du terrain. Mais, dans le même temps, la rigueur est en baisse. C’est donc l’un des points essentiels sur lesquels travailler.”

Parmi les débatteurs de la soirée se trouvait Olivier de Wasseige, directeur de Defimedia et administrateur délégué du fonds Internet Attitude. Questionné sur la manière de “produire” de bons entrepreneurs, il citait comme éléments décisifs non seulement le cadre éducatif mais aussi l’environnement familial, source de valeurs à inculquer, de vision formatrice par rapport à la prise de risque.

A ses yeux, il y a encore un gros travail à fournir afin de mieux mesurer les facteurs de développement. “L’intervention des acteurs publics n’est pas tout. Le plus important, c’est l’entrepreneur et son accompagnement par des entrepreneurs.”

Il est toujours possible de faire ‘pivoter’ un produit, une idée, ajoutait-il, mais c’est autre chose de faire ‘pivoter’ un entrepreneur s’il n’en a pas l’étoffe dès le départ. Mais il ajoutait aussi qu’il y a chez nous “beaucoup de bonnes idées dont beaucoup resteront dans les tiroirs. Il reste un important décalage entre la recherche – fondamentale et appliquée – et la concrétisation en start-up ou spin-off.”

La raison ? “Nous n’avons pas encore suffisamment étudié le potentiel.”

Agir sur nos faiblesses

Terminons par la partie la plus aride – et scientifique – de la soirée organisée par l’UNamur et InvestSud.

Marcus Dejardin, professeur d’économie au CERPE de l’UNamur, et le Prof Charles Van Wymeersch ont ainsi passé en revue les performances affichées par la Wallonie et, plus globalement, par la Belgique vues au travers d’une série d’outils d’évaluation internationaux qui tentent de mesurer et de comparer la qualité et l’efficacité des écosystèmes entrepreneuriaux – tels que le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) ou la méthodologie du GEDI (Global Entrepreneurship Development Institute).

Ces outils s’appuient sur une série d’indicateurs tels que le taux de création d’emplois ou d’entreprises mais aussi des paramètres tels que la “culture” entrepreneuriale ambiante, les aides publiques, la motivation pro-entrepreneuriale qu’inculque l’enseignement…

Charles Van Wymeersch: “Au fil des ans, j’ai pu constater que la passion des étudiants augmente. La volonté de créer une entreprise gagne du terrain. Mais, dans le même temps, la rigueur est en baisse.”

L’analyse varie quelque peu d’un modèle à l’autre mais dans l’ensemble, notre pays ne s’en sort pas si mal. Même si les paramètres de mesure donnent des résultats souvent contrastés.

Parmi les traits caractéristiques qui se dégagent, citons par exemple:

  • un support politique supérieur à la moyenne (selon le prisme d’analyse GEM) mais de mauvais points au registre formation à l’entrepreneuriat à l’école et dynamique du marché interne
  • une mauvaise performance en termes d’“absorption technologique” mais une bonne qualité des ressources humaines (étude GEDI)
  • au niveau wallon, un taux satisfaisant d’“aspiration” à l’entrepreneuriat mais des faiblesses en termes de capacités de mise en oeuvre, un manque de réseautage et un handicap tenace en termes de “culture entrepreneuriale” (analyse REDI – Regional Entrepreneurship and Development Index de l’Union européenne ; à noter toutefois que ce rapport date de 2013 et été rédigé sur base de chiffres remontant à 2011). A la même époque, Bruxelles péchait par “manque d’opportunités pour les start-ups” et des lacunes en matière de culture entrepreneuriale.