Débat UNamur: l’IT dans l’enseignement. Sait-on de quoi on parle?

Hors-cadre
Par · 27/01/2016

En marge de la conférence Didapro (“Quelles éducations au numérique, en classe et pour la vie?”) qui s’est tenue, cette année, dans ses murs, l’UNamur organisait ce mardi soir un débat public sur le thème “Quelle(s) place(s) pour l’informatique à l’école?”.

L’affiche était belle. Une ministre de l’enseignement obligatoire (Joëlle Milquet), le chef de cabinet adjoint d’Isabelle Simonis, ministre de l’Enseignement de promotion sociale (Fabian Martin), deux représentants de l’UNamur (Vincent Englebert, doyen de la Faculté d’informatique, et Marc Romainville, directeur du département Éducation et Technologie), ainsi que Serge Abiteboul, membre du Conseil national français du numérique.

Affiche alléchante mais d’office amputée puisque Joëlle Milquet s’était fait excuser et remplacer par un collaborateur de son cabinet. Si l’on avait espéré entendre un éventuel message clair, ou – pourquoi pas? – volontariste, du pouvoir politique de la Fédé, on est donc resté sur sa faim. Certes, le numérique figure parmi les thèmes de réflexion et même les pré-résolutions du Pacte de l’Excellence (comme du Plan du Numérique du gouvernement wallon) mais il faudra encore patienter “quelques mois” avant de connaître le fruit des réflexions du groupe de travail qui se penche, côté Fédé, sur la “transition numérique” au fondamental et au secondaire.

Notons les bonnes résolutions…

… ne fut-ce que pour les mesurer à ce qui en sortira réellement.

Ce mardi soir, on a par exemple pu entendre que le texte du Pacte d’Excellence, tel qu’il existe aujourd’hui, préconise “une compréhension logique minimale des outils numériques”, dès le primaire. Parce que l’école doit “apprendre à vivre”. Or ce vivre, aujourd’hui, ne se conçoit plus sans le numérique. Et Vincent Englebert de glisser cette mise en garde: “il est des choses qu’il n’est pas (ou plus) permis d’ignorer…”

Yves Poullet, recteur de l’UNamur, abondait dans le même sens lorsqu’il déclarait: “Il est urgent d’apprendre à nos enfants la “pensée algorithmique”, de leur apprendre à raisonner en algorithmique comme on le fait avec le calcul…”

Il tenait par ailleurs à souligner un autre besoin essentiel à ses yeux: il faut voir dans l’ICT “un outil de jeu collectif qui peut servir à apprendre à construire le savoir ensemble.”

Que décideront les responsables gouvernementaux?

Impossible de le dire dans l’état actuel des choses. Les deux représentants présents à Namur ce mardi ont simplement rappelé que des initiatives avaient déjà été prises (du genre projets Ecole Numérique ou les “Creative Labs” dans les Hautes Ecoles pédagogiques pour renouveler les concepts d’apprentissage). Le début d’un processus, rappelaient-ils.

Fabian Martin (cabinet de la ministre Isabelle Simonis): “Les travaux dans le cadre des Creative Labs ont déjà donné quelques résultats probants. Quelques mesures sont sur la table pour la formation des enseignants qui constituent une partie du socle nécessaire…”

Du côté du Cabinet de Joëlle Milquet, on se contentait de dire que rien n’empêche de commencer dès le primaire, voire dès la maternelle (pour de premières notions ou modes d’animation). Mais en précisant: “il faut savoir quelles compétences en veut en fin de chaque cycle…”

Combler le décalage

Aussi indissociable du quotidien soit-il, le numérique (et ses bras armés que sont, notamment, l’informatique et la programmation) est encore largement absent des lieux où les apprenants, de tous âges, se forment et engrangent connaissances et compétences.

Daniel De Luca, membre du comité de pilotage de Devoxx4Kids (événement de créativité IT/numérique pour les ados), rappelait un anachronisme: “un simple smartphone, aujourd’hui, est suffisamment puissant pour guider des centaines d’engins spatiaux vers la lune mais le premier usage qu’en font les jeunes est… le gaming. Il y a une énorme déconnexion entre le potentiel et l’usage.

Source: Daniel De Luca (Devoxx4Kids)

[…] Pour programmer, tout le monde se repose sur le travail d’un petit groupe de personnes – en l’occurrence, les informaticiens -, sans se préoccuper des possibilités qu’il y a pour chacun de le faire lui-même. Alors que tout un chacun est mieux placé que quiconque pour résoudre son problème spécifique…”

Il rappelait par ailleurs que l’enseignement de la programmation peut déboucher sur de multiples avantages pour les apprenants, pour leur procurer de nouvelles compétences “péri-informatiques” dont ils auront grandement besoin au quotidien. Du genre, découper un problème en de multiples composantes, travailler en équipe, apprendre à prendre des risques sans conséquences graves, mobiliser une pensée critique et analytique…

Pour sa part, Serge Abiteboul rappelait que l’enseignement de l’IT et du numérique est d’autant plus indispensable aujourd’hui que l’“IT permet de comprendre le monde et de travailler dans le monde actuel. Il est donc essentiel de faire découvrir la pensée IT, en ce compris l’algorithmique… parce que le monde est devenu trop complexe.”

“Pourquoi ne pas mettre en pratique ce qu’on a appris au cours de trigonométrie pour calculer l’angle de tir dans un jeu sur mobile?”

Il prenait l’exemple d’un aéroport. “C’est le siège d’une multitude de flux et interactions que l’on ne résout pas en trois équations. Il y a là quelque chose de profondément algorithmique.”

Et, embrayait-il immédiatement, il ne faut pas que cette notion d’algorithmique effraie. “Il est parfaitement possible de commencer par ce qu’on appelle l’“IT débranchée”, c’est-à-dire l’apprentissage algorithmique sans ordinateur. Pourquoi pas via des jeux? Cela permet d’acquérir de multiples notions, en ce compris le séquencement, la réflexion algorithmique…”

Attention au ventre mou du “transversal”

Une contradiction s’inscrivait en filigrane du débat, reflet éloquent du dilemme que pose le numérique. Il est tellement devenu un élément essentiel de notre vie, privée ou professionnelle, indissociable de toute activité, qu’on le perçoit comme naturel, automatique. Quelque chose dont on ne doit pas se préoccuper.

Or – et c’est tout le coeur du débat actuel -, nombre d’observateurs et d’acteurs militent pour une reprise en mains des tenants et aboutissants de ce numérique par un apprentissage – de tous – de ce qui le rend possible. Ce qui passe par des notions, voire une maîtrise, de la programmation et par l’apprentissage de la “pensée algorithmique”.

La contradiction était flagrante entre divers intervenants. Certains estimant par exemple qu’en ajoutant des compétences nouvelles à leur bagage, les professeurs pourraient quasi indifféremment, quelles que soient leurs disciplines, “enseigner le numérique”, guider leurs élèves dans l’appropriation des connaissances nécessaires.

Cette vision des choses a provoqué une véritable levée de boucliers du côté d’autres intervenants mais aussi du côté de l’auditoire. Attention à ne pas confondre enseignement de l’informatique et du numérique et enseignement par le numérique.

L’IT, un outil parmi d’autres, une discipline en soi, voire une science, ou un mode de pensée? Les tenants de chacune de ces thèses ont encore de beaux débats devant eux…

L’IT ou le numérique est une discipline spécifique. De vrais cours, dispensant de vraies connaissances, ne peuvent dès lors être donnés que par des professeurs dédiés. Ce qui n’empêche évidemment nullement que tous les professeurs, toutes disciplines confondues, doivent s’approprier de nouvelles compétences, pour rendre leurs cours plus actuels, intéressants, dynamiques, pour se plier aux réalités de leurs élèves (pardon! de leurs “coachés”) et de la société actuelle.

Mise en garde de Serge Abiteboul: attention au concept fourre-tout de “culture numérique”. C’est une notion trop floue, trop molle, et conduit à des élèves qui ne possèdent pas les bases nécessaires pour bien comprendre les choses.

Serge Abiteboul résumait la chose comme suit: “Certes, des outils existent pour transformer les apprentissages et il faut que tous les enseignants soient formés au numérique mais saupoudrer un peu d’IT partout équivaudrait à ce qui se serait passé au 18ème siècle si on avait décidé que l’enseignement des sciences n’était pas une spécificité et que le professeur d’histoire pouvait en intégrer un bout dans ses cours…

Si tous les enseignants doivent se former aux nouvelles technologies, ce n’est pas pour autant qu’ils enseigneront tous les arcanes des moteurs de recherche. Il faut des professeurs spécialisés en IT, en programmation… C’est nécessaire pour avoir de vrais bons cours.”

Et si on s’entendait d’abord sur…

… primo, la définition; deuzio, le périmètre.

Plusieurs personnes dans l’auditoire – mais aussi sur les réseaux sociaux – n’ont pas manqué de faire remarquer que les termes utilisés par les intervenants mêlaient allègrement informatique, programmation, numérique… Or, bien entendu, ce n’est pas tout-à-fait la même chose, que ce soit en termes d’usage, de contexte, de compétences, de rôle dans la société…

Plusieurs personnes dans l’assistance relevaient à cet égard qu’il serait peut-être intéressant d’organiser de petites formations (ou initiations) à la réalité de l’IT et de la programmation pour les responsables politiques eux-mêmes et les collaborateurs des cabinets ministériels… Histoire de leur faire mieux découvrir les défis et les objectifs.

Daniel De Luca, membre du comité de pilotage de Devoxx4Kids: “J’imaginerais bien un Devoxx4Politicians !”

Quid du cadre de compétences nouvelles que devront acquérir apprenants mais aussi professeurs chargés de leur enseignement? En la matière, on attend notamment les “référentiels”. Et plusieurs cénacles s’en occupent. En ce compris au niveau des universités francophones qui ont constitué un groupe de réflexion (informel) devant imaginer un référentiel de compétences numériques/IT qui seront nécessaires à travers tous les cycles d’enseignement.

Mais, d’ores et déjà, des mises en garde s’élèvent: il faudra éviter de couler dans le bronze un texte ou un référentiel listant des compétences qui sont immanquablement appelées à évoluer au gré de la mouvance des technologies, de la société et des pratiques.