Game Jam dédié aux jeux sérieux pédagogiques: rien qu’un début?

Pratique
Par · 14/10/2015

Le week-end dernier se tenait à Mons un “game jam”, autrement dit un concours-express de développement de jeux, en l’occurrence de jeux éducatifs. Objectif de ce “jam” baptisé Kiss Your Teacher: imaginer de nouveaux “matériels” pédagogiques, bousculer un peu les pratiques de l’école, envisager l’apprentissage de matières sous un jour nouveau.

Les organisateurs (AdN, MIC de Mons, centre de compétences Technocité, Fishing Cactus, SeriousGame.be et Ludobel) espéraient attirer des profils variés – depuis le pur geek jusqu’à l’enseignant classique, en passant par des étudiants ou des designers.

Pari réussi. Sur les 69 participants, un tiers, environ, étaient des pédagogues ou de futurs enseignants. Un regret toutefois qu’il n’y ait pas eu plus de jeunes (élèves du secondaire), même s’ils étaient bien présents. On dénombrait en tout cas des étudiants de l’UMons, de Hautes Ecoles mais donc aussi quelques élèves du secondaire, venus de l’Institut Jean Jaurès de Charleroi.

Autre petite satisfaction: pour une fois, le féminin était bien au rendez-vous (près d’un tiers des acteurs du week-end).

Ludique et pédagogie, même combat?

Yasmina Kasbi (SeriousGame.be) en tire des conclusions plutôt positives. “Ce fut une très bonne expérience dans la mesure où cela a amené les participants à travailler autrement, ensemble, entre codeurs et pédagogues ou futurs pédagogues. Pour beaucoup, c’était une première. Certaines équipes, au départ, ont eu quelques difficultés lorsqu’il s’est agi de déterminer ce qu’il fallait faire passer en premier. Les enseignants voulaient surtout mettre l’accent sur le côté pédagogique tandis que les codeurs ou designers voulaient mettre le gameplay en avant.”

Une équipe en plein travail. Avec une belle participation féminine…

Après quelques tiraillements, elle estime toutefois que “tous en sont sortis grandis. Ils ont notamment appris à travailler avec des contraintes nouvelles pour eux.”

Le concept de “gamification” a fait son chemin dans certains esprits, côté enseignants et futurs profs. “Certains ont revu leur façon de voir la pédagogie. Ils ont compris que la jouabilité faisait partie de l’avenir de l’éducation. Certains envisagent d’inclure, à l’avenir, une dose de gamification dans leur enseignement mais il est encore trop tôt pour savoir comment. Les choses doivent d’abord se décanter dans leur tête…”

Pascal Balancier, expert auprès de l’AdN, souligne pour sa part que ce Game Jam a permis de confirmer la recette essentielle d’un jeu éducatif: que cela reste un jeu, avant toute chose. “On a pu constater, à l’issue du Game Jam, que les jeux qui visaient un contenu, une matière étaient moins bons que ceux qui ont d’abord visé un processus d’apprentissage. La mécanique du jeu doit se mettre au service d’un processus, d’une stratégie pédagogique.”

Pascal Balancier (AdN): “les meilleurs jeux sont ceux qui ont d’abord visé un processus d’apprentissage.”

Ce qui lui fait dire que “pour la prochaine édition [les organisateurs veulent réitérer l’expérience], il sera sans doute plus intéressant de lancer au préalable une consultation parmi les enseignants afin d’identifier les vrais enjeux et les difficultés [pédagogiques], de leur demander de pointer des trucs et astuces permettant de surmonter ces difficultés. Cela permettra de challenger les participants au game jam…”

Autres leçons retirées de l’expérience, “plus une équipe est variée dans sa composition, plus elle fait se rencontrer divers points de vue, plus la créativité et l’efficacité du résultats sont au rendez-vous.”

Xavier Bastin, patron du MIC de Mons, en tire pour sa part la principale conclusion que l’événement a permis à des gens venus d’horizons très différents de se rencontrer et de collaborer. De quoi aussi “casser le tabou qui subsiste entre éducation et jeu. Les participants ont pu se rendre compte qu’il est possible d’apprendre en s’amusant. Et espérons que cela suscite des vocations de futurs entrepreneurs dans ce domaine du gaming pour l’éducation.

Les enseignants, quant à eux, ont pris conscience des possibilités. Ils seront désormais des ambassadeurs pour parler de ce concept autour d’eux et porter un regard nouveau sur les jeux éducatifs.” A titre personnel, il en a retiré la conviction que “le ludique permet d’aborder toutes les matières.”

Et la suite?

Faire se rencontrer et travailler de concert pendant 48 heures pédagogues, développeurs, designers, étudiants, sur des concepts et prototypes de jeux, est une chose. Faire perdurer l’étincelle, l’intérêt en est une autre.

Comment les organisateurs envisagent-ils la suite?

Une chose semble certaine, il devrait y avoir une nouvelle édition. “Tous les participants et les organisateurs en sont demandeurs”, déclare Yasmina Kasbi.
D’un point de vue personnel, en tant que cheville ouvrière de l’association SeriousGame.be, elle espère que ce week-end marquera le début d’une initiative à long terme. “Des jeux éducatifs existent mais ils sont trop peu nombreux. Nombre de thématiques spécifiques ne sont pas couvertes. Il manque des produits. Ce Game Jam est dès lors une bonne chose s’il permet, ne serait-ce que dans le cadre scolaire, de pousser des jeunes à créer des jeux sérieux, à renforcer leur propre apprentissage.”

Xavier Bastin (MIC): “Le vrai défi est maintenant qu’un marché se crée et qu’il se trouve suffisamment de professeurs et de pédagogues pour faire appel aux jeux sérieux pédagogiques.”

Elle espère également une “prise de conscience du rôle que peuvent jouer les serious games dans le monde scolaire. Nous n’en sommes qu’au tout début de l’aventure. Beaucoup de choses restent à faire…” En ce compris en termes de financement (création de jeux sérieux, financement de ce nouveau type de “matériel” pédagogique…). Des pistes, en la matière, sont à l’étude mais on attend – notamment – certains signaux de fumée du côté du futur Plan du Numérique.

Yasmina Kasbi (SeriousGame.be): “Ce Game Jam est une bonne chose s’il permet, ne serait-ce que dans le cadre scolaire, de pousser des jeunes à créer des jeux sérieux, à renforcer leur propre apprentissage.”

Autre idée émise pour promouvoir le secteur: imaginer un label pour les jeux éducatifs.

Pour ce qui est des prototypes de jeux imaginés lors de ce Game Jam “Kiss Your Teacher”, ils ne devraient pas rester lettre morte. Nombre de participants se disaient désireux de parachever le travail dans les mois à venir.

Et le fait est que certains ont continué sur leur lancée du week-end. Ainsi l’équipe “Flobby” (voir encadré en fin d’article) a développé, en ce début de semaine, une fonctionnalité qui permettra aux professeurs de récupérer la liste des bonnes et mauvaises réponses, sous forme de fichier texte, afin de compléter la séance ludique par un suivi pédagogique concret. “Pas question”, souligne Athena Brahy, membre de l’équipe et future enseignante, “de laisser l’élève seul avec ses réponses.” Le jeu est conçu dans un esprit de continuum: liste des réponses, correctifs, analyse et décryptage.

Le jeu Flobby, comme d’autres, sera présenté au public et aux enseignants dès cette semaine, à l’occasion du Salon de l’Education qui se déroule à Charleroi. “Nous irons sans doute ensuite le présenter dans des écoles afin de recueillir les réactions des enseignants et des élèves, adapter éventuellement le jeu.” Avec l’espoir aussi de l’étendre à d’autres matières.

Un suivi immédiat de l’expérience Game Jam est également prévu du côté de l’équipe lauréate “Curious Craft” (voir encadré ci-dessous) puisqu’elle envisage sérieusement de poursuivre l’expérience et de lancer une start-up. Les membres se connaissaient déjà, du moins en partie, puisque certains s’étaient côtoyé lors d’une formation à Technocité en conception de jeux. Ces derniers étaient venus au Game Jam en vue d’y faire une expérience supplémentaire. Pari réussi puisqu’ils ont constitué une équipe avec d’autres jeunes, fraîchement émoulu de l’UMons et de la Haute Ecole Albert Jacquard (Namur), Leur objectif désormais: lancer la start-up, finaliser et commercialiser le jeu (ou lui trouver un acquéreur).

Le MIC, par la bouche de son directeur, Xavier Bastin, a déjà laissé entendre qu’il pourrait apporter son soutien à la jeune pousse si elle prend vie.

Une étape d’un plus long parcours

L’équipe de l’Institut Jean Jaurès de Charleroi (élèves en informatique, techniques artistiques et audiovisuel) s’en retourne elle aussi lauréate. Avec, en poche, la promesse de voir s’organiser au sein de l’établissement une journée de sensibilisation et de formations au numérique éducatif, aux jeux sérieux et à l’e-learning.

Le fait est que le Game Jam constituait pour cette école secondaire une étape dans un processus déjà engagé. En septembre, un atelier de remédiation a été organisé sur le thème du Game Jam et a débouché sur un travail transdisciplinaire et sur un début de jeu qui, à l’occasion du Game Jam, a donc quelque peu évolué.

Lahcen Boukhoubza, élève de 6ème en sciences informatiques à Jean Jaurès: “Apprendre via un jeu vidéo est plus captivant que de lire un texte ou de devoir retenir une matière. Cela permet aussi d’interagir inconsciemment avec la matière. C’est un autre type de motivation. On veut finir le jeu mais on est aussi limité par la nécessité d’apprendre de nouvelles choses pour pouvoir progresser dans le jeu…”

Et ce jeu viendra s’insérer, demain, dans le cadre d’un projet de plus longue haleine. A savoir, une thèse d’Alexandre Brzozowski, coordinateur pédagogique à Jean Jaurès. Sur base de recherches antérieures sur la place que peut avoir la gamification dans la pédagogie appliquée aux jeunes à haut potentiel, ce professeur en psycho-pédagogie travaillera sur un Math Game destiné à tester le rôle pédagogique du jeu pour l’enseignement des maths de premier degré auprès des jeunes éprouvant des difficultés d’apprentissage et vérifier son bien-fondé pour réconcilier les jeunes actuels avec l’école, en tenant compte de “la réalité cognitive qui est la leur en raison de l’environnement technologique dans lequel ils baignent au quotidien.”

“Il n’y a pas, en matière de nouvelles technologies, de bonnes pratiques absolues”, souligne Alexandre Brzozowski. “En la matière, tout reste à faire. Le travail consistera pour partie à concilier nouvelles technologies et de la personnalité et des préférences pédagogiques de chaque enseignant. Sans rien leur imposer.”

Le Game Jam en quelques faits et chiffres

69 participants

9 équipes formées pour porter 9 projets

Eventail des générations présentes: de jeunes adolescents (14-18 ans) jusqu’à des personnes de 45 ans ou plus (on notait notamment la présence d’un professeur de 58 ans)

Equipe lauréate: “Curious Craft”, un jeu conceptuel d’apprentissage des couleurs où les joueurs doivent créer de nouvelles couleurs à chaque niveau.

Flobby: Engranger un maximum de “baies” bien orthographiées…

2è lauréat: “Flobby”, un jeu dédié aux compétences de base apprises au primaire (calcul, orthographe…). Fil rouge ludique: 2 joueurs qui sont lancés dans une course contre la montre et doivent faire gober des baies par une limace. La règle pour le jeu d’orthographe: la limace ne peut manger que les baies sur lesquelles figurent un mot correctement orthographié. Or, il y a deux fois plus de “mauvaises” baies (erreurs typiques) que de bonnes.

3è lauréat: “Immune War” pour comprendre l’immunothérapie et le mécanisme des défenses immunologiques du corps humain.

Quelques autres thématiques des jeux éducatifs imaginés:

  • apprentissage des langues… en devant nommer des animaux en plusieurs langues pour les libérer ou les sauver
  • philosophie, exploration des différentes époques de l’histoire…  [  retour au texte  ]