Petite leçon de résilience et de réussite par Pierre De Muelenaere (IRIS)

Hors-cadre
Par · 03/09/2015

Quels furent les moments-clé de l’histoire de la société IRIS? Ceux qui lui ont permis de se développer, d’asseoir son succès, de devenir l’un des “grands” sur le marché de la reconnaissance et du traitement de documents (entre autres positionnements)? Ceux aussi où elle a peut-être frôlé le gros accident de parcours, voire plus?

Les erreurs, les embûches de parcours, les moments critiques n’ont pas été épargnés à IRIS. Et Pierre De Muelenaere le reconnaît bien volontiers. D’autant plus que les décisions prises ont permis d’éviter les pièges ou de s’en extraire pour mieux relancer la mécanique.

Quels furent ces “points d’inflexion” qui ont déterminé le parcours de la société?

D’un point de vue technologique, Pierre De Muelenaere en identifie trois en particulier.

Relire notre article sur les raisons de son départ.

“L’un des tout premiers moments-clé se situe en 1990, lorsque j’ai pris la décision d’accélérer tous les développements vers des versions purement logicielles de la technologie IRIS. Cela nous a permis de nous tourner vers des partenariats différents, avec des techniques de commercialisation différentes. Au début, en effet, nous opérions par vente de produits, y compris matériels, en vente directe. Passer à des versions purement logicielles nous a permis de signer nos premiers contrats de licence dès 1990. Sans cette décision, nous aurions loupé le bateau.

Le contrat de licence signé avec Primax a débouché, dès 1994, sur une co-entreprise pour le développement de l’IRIS Pen, notre premier produit qui avait réellement une chance de s’imposer sur la scène internationale. La solution Read IRIS, elle, devait faire face à de très nombreux concurrents OCR. Avec l’IRIS Pen, nous avons créé une niche.”

C’est cette même décision du “tout logiciel” qui autorisera l’accord avec HP, en 1997. “Cela aurait été impossible avec une approche purement matérielle.”

Autres points d’inflexion, au registre technologique: le lancement de la technologie de compression et – “chose surtout importante pour l’avenir” – la décision de “redévelopper complètement la technologie IRIS orientée vers les marchés asiatiques et de la doter de caractéristiques très spécifiques”. Sans cette décision, le tournant Canon [lisez: la décision de faire d’IRIS une filiale Canon à part entière] n’aurait sans doute jamais été pris. “Cette décision est à la base de tout ce qu’on peut faire désormais avec Canon en Asie.”

Le défi majeur pour de tels “points d’inflexion”? “Jouer ses coups plusieurs années à l’avance et, une fois que la technologie est disponible, concrétiser les ambitions commerciales… sans être jamais sûr que cela marchera.”

Négocier les trous d’air

Les moments-clé ont également concerné la société elle-même, confrontant IRIS à ce que Pierre De Muelenaere appelle des problèmes existentiels. Autrement dit, qui mettaient l’avenir-même de la société en question.

“La bonne nouvelle, c’est que le nombre d’acteurs, lui aussi, diminuait mais la raison était claire: un marché en souffrance.”

Premier écueil, en 1991-1992: le retrait d’Ackermans & van Haaren, partenaires financiers, en faveur d’un partenaire industriel. A savoir, Prodata. Mais cette société n’allait pas tarder à tomber en faillite… Résultat: en juin 92, Pierre De Muelenaere et son associé – Pierre Rion – procèdent à un management buy-out pour éviter à IRIS d’être engloutie dans la faillite.

1996-1998: nouveau passage difficile. “La société était sous-capitalisée et prenait du retard par rapport au marché.” D’autant plus que la “consumérisation” de l’OCR montrait plus que le bout de son nez et déclenchait un dangereux phénomène de chute des prix. “La bonne nouvelle, c’est que le nombre d’acteurs, lui aussi, diminuait mais la raison était claire: un marché en souffrance.”

D’où la décision de procéder à une opération de placement privé avant offre publique. Cela à permis à IRIS de se recapitaliser via des business angels et la Kredietbank. L’entrée en bourse, elle, se fera en 1999. “Cette opération de placement nous a permis de nous donner les moyens de concurrencer plus efficacement des concurrents tels que Kofax”, positionnés sur le terrain plus rémunérateur d’une clientèle d’entreprise.

Troisième moment-clé: 2008 et la crise. “Nous avons dû changer de stratégie et de tactique, sans quoi c’était la chute. Les secteurs bancaire et public [deux gros pourvoyeurs d’affaires pour IRIS] ont le plus souffert. Nous avons donc dû remplacer ces clients par d’autres…”

Le Petit Poucet patient

“Bien souvent”, constate Pierre De Muelenaere, “IRIS s’est retrouvé dans le rôle du Petit Poucet, loin d’être idéalement positionné par rapport à ses principaux concurrents.” Pour cause de ressources et moyens largement inférieurs à ce que des acteurs tels Kurzweil pouvaient aligner ou face à des projets financés par le gouvernement japonais. “Nous avons été plus souvent un challenger qu’un leader. Nous sommes néanmoins parvenus à devenir, dans certains secteurs, un leader, en termes de qualité et de taille de marché mais nous n’avons jamais démarré dans une position de leader. A l’exception toutefois de l’IRIS Pen.”

Moins de moyens, une position initiale moins avantageuse que les concurrents. Comment IRIS a-t-elle survécu et, surtout, comment a-t-elle réussi à s’imposer?

Pierre De Muelenaere: “Nous ne sommes pas dans un contexte américain où il s’agit de grandir très vite, sinon les responsables se lassent, jettent l’éponge, où il faut faire de l’argent rapidement. Après tout, si la société disparaît, ce n’est pas grave… C’est la philosophie du capital-risque.”

“Etre le premier dans une nouvelle sous-catégorie permet parfois de gagner. Face à des gens qui ne sont pas malins, on peut également être le meilleur avec moins de moyens. Mais nos concurrents n’ont jamais été mauvais, avaient aussi des gens très malins et étaient des pointures en matière de technologie…”

Donc… où est la recette magique? Réponse de Pierre De Muelenaere: la ténacité et une certaine vision du management et du financement de la société.

Explication.

“Si IRIS figure aujourd’hui dans le Top 3 de l’OCR, c’est parce que tous les autres ont disparu”, déclare-t-il sans broncher – et sans ironie. “Le fait est que l’OCR est un marché qui a une longue durée de vie. Mais beaucoup lui ont prédit une vie courte et ont précipité leur propre perte.

 

En 1987, on dénombrait une cinquantaine de sociétés sur le marché de l’OCR (reconnaissance de caractères). Toutes des sociétés proposant des solutions de reconnaissance multi-caractères. Il n’en reste plus aujourd’hui que… trois: IRIS, Nuance (d’origine américaine) et Abbyy (de nationalité russe).

Le secteur a été marqué par de nombreuses faillites. Les sociétés se sont mangées entre elles. La stratégie d’IRIS, par contre, a été de survivre. Nous ne sommes pas dans un contexte américain où il s’agit de grandir très vite, sinon les responsables se lassent, jettent l’éponge – par manque de patience. Leur raisonnement est qu’il faut faire de l’argent rapidement et qu’après tout, si la société disparaît, ce n’est pas grave… C’est la philosophie du capital-risque.”

Or, poursuit-il, dans un secteur (quel qu’il soit), tout le monde ne peut pas devenir un Google ou un Facebook.

Outre la volonté de survie, en misant aussi sur le temps et la patience, l’une des autres règles appliquées par IRIS fut de “ne pas investir au-delà de ses moyens. Ce que d’autres faisaient en un an, nous le faisions en trois. Cela nous poussait aussi à optimiser nos moyens.”

“Vendre davantage de valeur, dans une niche clairement définie et, lorsque cela marche, s’orienter vers des marchés plus horizontaux.”

Certains concurrents ont disparu pour avoir littéralement brûlé leurs ressources, pour avoir voulu aller trop vite, réussir toute suite – quitte à maquiller les comptes et à vendre du vaporware – Pierre De Muelenaere rappelle ici ce qui s’est passé sur le marché de la reconnaissance vocale (les déboires et déclins de Dragon, Kurzweil ou encore d’une certaine Lernout & Hauspie). “Ils auraient dû être patients. Ils auraient sans doute été devancés par d’autres mais ils existeraient toujours. Si IRIS existe encore, c’est parce que nous ne nous sommes jamais trop excités…”

Autre défi de taille: maintenir les prix et se différencier. “Vendre davantage de valeur, vendre moins de produits mais plus chers [dans une niche clairement définie] et, lorsque cela marche, s’orienter vers des marchés plus horizontaux.”

Et là, le virage vers le tout-logiciel et les partenariats a également joué un rôle majeur, souligne Pierre De Muelenaere. “Si nous avions été seul à l’assaut d’un marché horizontal, nous n’existerions plus. Mais, par exemple via le partenariat avec HP, nous avons pu créer ensemble le meilleur produit. Nous avons joué l’équipe.” Ce qu’il allait reproduire, à une toute autre dimension, en acceptant d’intégrer le groupe Canon. Mais en prenant soin de choisir le partenaire industriel qui ne signerait pas l’arrêt de disparition effective de la marque et de la valeur IRIS à court ou moyen terme. Voir notre autre article au sujet des garanties (relatives) qu’offre la stratégie Canon pour la préservation d’IRIS en tant que société. 

Autre élément aux yeux de Pierre De Muelenaere qui explique, pour partie, la longévité de la société: la diversification des activités à laquelle elle a procédé au fil du temps. Vendeur de produits mais aussi prestataire de services, intégrateur systèmes, consultance IT pour de grandes sociétés… “Notre business est ainsi devenu moins exposé à l’obsolescence technologique. Nous avons créé une certaine taille qui présente une certaine sécurité.”