Mons 2015: année-charnière pour l’ouverture des musées au numérique

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Par · 07/07/2014

2015 verra Mons devenir, pour un an, la “capitale européenne de la culture”. Thème choisi: “quand la technologie rencontre la culture.” Mons 2015 sera donc l’occasion pour les musées montois d’initier de nouveaux projets numériques. Mais l’expérience ne peut être suivie d’effets durables et probants que si d’autres éléments sont présents. Pour Xavier Roland, responsable du Pôle muséal de Mons, l’ouverture pérenne et réussie des musées aux potentiels technologiques requiert un “terreau – économique, politique et culturel – fertile”. Il s’agit de faire se combiner et interagir le monde de la culture (avec une nécessaire alliance objective entre musées), celui de la recherche (notamment représenté par l’Institut Numediart de l’UMons), une infrastructure “minimale” (réseau Wi-Fi urbain et Wi-Fi intra muros), les spin-offs locales, dont certaines se positionnent sur le terrain des technologies de l’image et du son, et la formation aux outils du numérique (par des acteurs tel que Technocité). Sans oublier la dimension purement économique.

A Mons, l’un des éléments-clé sera le projet de “hub créatif” auquel nous avons consacré un article dans un récent dossier. Initié cette année dans le cadre d’un programme subvention par Creative Wallonia, ce projet de hub créatif devrait se prolonger, à partir de 2015, par un projet à plus long terme sous l’égide des fonds Feder (programmation 2014-2020). “Le hub créatif sert clairement de déclencheur pour valoriser l’héritage”, estime pour sa part Xavier Roland.

Une année d’expérimentation

Dans la perspective de Mons 2015, il y a, selon lui, tout un phénomène d’expérimentation qui est à l’oeuvre dans ce microcosme. “Mons 2015 apporte une nouvelle pièce au puzzle par rapport à un héritage muséal qui reste encore hermétique aux nouvelles technologies. Il y a réellement là un potentiel économique phénoménal. 2014 sera une année pivot pour le tourisme et la culture. L’arrivée à maturité [numérique] de ces secteurs ouvre un énorme champ de développement économique.”

Dans le contexte général de Mons 2015, des hubs créatifs, des “smart cities”, le pôle muséal de Mons, avec son projet de valorisation numérique de l’héritage, fait figure de laboratoire d’expérimentation, dans un contexte d’ouverture au public et d’arrivée à maturité de différents environnement multimédia.

Mons 2015 et sa préparation sont évidemment l’occasion rêvée de procéder à certains choix technologiques. On retrouvera donc l’ICT et le numérique en filigrane – et parfois en exergue – de diverses réalisations.

Musée du Doudou

Le dispositif choisi pour le futur Musée du Doudou, qui scénarisera le rituel de la Ducasse “‘faisant le lien entre la mythologie et le quotidien”, peut sembler low tech et peu innovateur. Il s’agira en effet d’un audioguide, prenant la forme d’un casque baladeur, ne collant toutefois pas aux oreilles. “Nous voulons éviter que le visiteur fasse son parcours l’oeil rivé à un écran. Il doit garder les mains et les oreilles libres pour ressentir l’ambiance, l’atmosphère caractéristiques du Doudou.”

Particularité malgré tout de ce casque: c’est un casque “intelligent”, connecté en Bluetooth, qui via liaison avec les balises NFC (“beacons”) qui seront installés dans l’espace du musée “détectera et identifiera” le visiteur par géolocalisation. “Le casque en soi n’est en effet que le niveau 0 de ce que cette technologie permet de faire. Mais grâce à ce casque et à cette technologie, il est déjà possible de faire évoluer la scénographie au gré du parcours. A mesure que le visiteur avance, certaines choses lui sont distillées dans le casque, des choses apparaissent à proximité, le guident.”

La légende des anges de Mons

L’idée, à terme, est d’exploiter davantage la technologie des balises géolocalisantes pour en faire par exemple bénéficier le Mons Memorial Museum (voir ci-dessous) et d’autres sites. Le but est à la fois de rendre la “technologie la plus collective possible, partageable entre diverses institutions muséales et, de l’autre, de s’inscrire dans le contexte global qu’autorise le déploiement du Wi-Fi et des balades numériques dans la ville. Ce projet, piloté par la société Anaïs (voir l’article que nous y avons consacré), permettra aux visiteurs et touristes de préparer leur séjour à Mons, en sélectionnant les événements et pôles d’intérêt qu’il désire. Naîtra ainsi un “profil” de chaque visiteur qui déterminera le type d’informations qu’il se verra spontanément proposer. “Pour le Mons Memorial Museum, par exemple, si le visiteur est anglais, nous pouvons prévoir que deux choses plus spécifiques l’intéresseront: le côté mémorial et le volet consacré à St-Georges, saint patron protecteur de l’Angleterre. Il peut dès lors préprogrammer sa visite, sur sa tablette ou son smartphone, sur base de ces deux concepts.”

Au Musée du Doudou, le visiteur pourra prolonger l’expérience dans la ville, s’en aller sur les traces du combat et de la procession. “L’idée est ainsi de casser les murs entre musée et ville, de fluidifier l’expérience”.

Trois sites-piliote sont concernés par cette continuité nouvelle: le Beffroi, le Musée du Doudou et le Mons Memorial.

Le nombre de bornes et balises dépendra de la scénographie de chaque site et du parcours imaginé par chaque musée.

Mons Memorial Museum

Mettre les nouvelles technologies à l’honneur sans tomber dans le sensationnalisme et – dimension fondamentale dans le cadre de Mons 2015 – ne pas exposer les budgets et permettre de pérenniser les investissements, sont une équation pas forcément aisée à réussir.

PopMaton

Une autre réalisation que l’on pourra voir à Mons en 2015 adoptera le principe du photomaton mais en lui donnant une nouvelle tournure. Le PopMaton permettra à chaque visiteur de se faire tirer le portrait qui serait automatiquement “warhollisé”, selon les couleurs choisies par chaque personne, envoyé en temps réel pour affichage quelques minutes au musée, et rendu ensuite disponible pour téléchargement via le site du musée.

 

Les choix posés pour le Mons Memorial Museum sont un exemple de cette recherche d’équilibre. Le scénario muséal a été choisi et imposé via le cahier des charges. La forme qu’il prendra réellement n’est pas encore déterminée (elle devrait l’être en principe au début de l’automne). Elle dépendra de la désignation du prestataire. Parmi les candidats, des sociétés françaises et britanniques, chacune ayant ses spécificités technologiques.

Le scénario? “Nous avons choisi le principe de l’hologramme 3D, sans lunettes, afin d’obtenir un effet d’immersion. Et ce, afin de donner au parcours muséal, en particulier pour la figuration de la légende des Anges de Mons, un côté mystique, irrationnel.”

Côté choix purement technologique, l’hologramme est quelque chose qui a déjà fait ses preuves dans le monde du spectacle ou des parcs d’attractions, souligne Xavier Roland. On ne peut donc pas parler de pari risqué. “De même, tables multi-touch et écrans kinétiques sont des technologies arrivées à maturité. Ce serait, dans notre chef, pure folie que de prendre un risque, tant en termes de financement que de renouvellement et maintenance. Ces technologies ne seront pas démodées à court terme.”

“Les objets témoignent”

Dès le mois d’août de cette année, le Musée des Beaux-Arts de Mons accueillera un événement dans le cadre des commémorations de la Grande Guerre, retraçant la bataille de Mons.

Opposition, voire confrontation brutale de deux mondes, estime Xavier Roland: celui de l’histoire militaire et celui du musée des Beaux-Arts. “Installer l’histoire militaire dans un musée était à nos yeux chose impossible. Nous avons donc décidé de présenter un certain nombre d’“objets” comme des oeuvres.”

11 objets emblématiques de cette période (casque à pointe, bombe incendiaire, mittrailleuse, fusil…) ont été numérisés et reproduits par impression 3D “dans un blanc neutre, vierge de toute histoire, mais texturés de manière réaliste.”

L’histoire, explique Xavier Roland, est inscrite dans une puce insérée dans cet objet rematérialisé. “L’objet – ainsi connecté – exprime quelque chose. Déposé sur l’un des trois socles interactifs (tables numériques) installés dans le musée, il génère de manière aléatoire une courte phrase poétique, de type haïku. Selon l’endroit où il est positionné sur le socle, le message est différent, unique. Le visiteur peut ensuite télécharger ce message-témoin et le ramener chez lui. C’est l’usager qui se compose à chaque fois une histoire différente.”

Le Beffroi et les “Fenêtres du Temps”

Remplacer ces “bonnes vieilles cartes” par de la réalité augmentée, pour se rappeler le passé. Carte de Mons à l’époque médiévale du Comté de Hainaut.

L’idée est d’installer au sommet du Beffroi quatre grands écrans tactiles au travers desquels le visiteur pourra visionner le paysage environnant en réalité augmentée, une application surimposant une représentation des paysages passés – au 17è et 18è siècles, guerres mondiales… – sur celui d’aujourd’hui, en conservant comme repères les principaux bâtiments emblématiques de la ville. “La visualisation passive fait place à un renvoi dans un parcours historique.”

Cette application ne sera pas disponible tout de suite (sans doute en septembre 2015). Mais elle n’est, déclare Xavier Roland, qu’une première étape. “Le cahier des charges stipulait que la société qui emporterait le marché – nécessairement une jeune entreprise – s’engage dans un programme de recherche à long terme [Ndlr: jusqu’en 2017] pour faire évoluer la solution” et l’ouvrir à d’autres réalisations.”

Visites thématiques

Musée et parcours culturels extra muros s’interpénètrent. C’est le principe que veut mettre en oeuvre Mons l’année prochaine. Grâce notamment à l’appli mobile Balades thématiques. Le visiteur pourra télécharger des programmes de visites thématiques, correspondant à ses préférences. Via géolocalisation, l’information adéquate lui sera fournie à chaque visite. “Mais l’application permettra aussi de réorganiser dynamiquement son parcours, par exemple, en cas de pluie ou de file d’attente trop longue sur un site. Il y aura une fluidité entre extérieur et intérieur du musée. Et ce, afin de convivialiser l’expérience. “Notre réflexion ne s’arrête pas aux murs du musée mais elle se veut intégrée. L’un des éléments importants est la ville. Il faut renouer le lien au-delà de l’intra muros, vers les différentes entités de la ville…”

La société Anaïs, qui a été choisie comme partenaire dans le cadre du Wi-Fi urbain (aux côtés de WIN), a dès lors vu son rôle étendu à l’équipement de musées.

“Smart Heritage”

Installée à la Chapelle des Ursulines, l’Artothèque consacrera tout le premier étage aux nouvelles technologies et au patrimoine virtualisé. “Plusieurs modes de virtualisation ont été utilisés: numérisation 3D, à plat, en infrarouge…”, indique Xavier Roland. “Cela permettra au visiteur de découvrir et de voyager dans l’oeuvre à plat, mais aussi autour et dans le volume et ce, afin d’appréhender l’objet d’une toute nouvelle manière.

Artothèque – Un futur espace dédié aux nouvelles technologies. Source: atelier d’architecture Gigogne

Divers dispositifs – “interactifs, immersifs, ludiques, pédagogiques” – seront réalisés et installés par la société française In Situ (Chalon-sur-Saône) qui a déjà réalisé le programme numérique du Louvre (antenne de Lens).

Un autre projet pourrait voir le jour (son inauguration dépendra de l’obtention d’un financement Feder, à décider en novembre). L’idée: aménager, au sein du musée, un laboratoire de recherche qui collaborera avec les universités, centres de compétences et des partenaires privés afin d’“explorer de nouveaux usages des nouvelles technologies, de tester de nouveaux moyens de revaloriser le patrimoine. “Mais toujours dans une philosophie de médiation. Le but est que le public et, en particulier, les jeunes s’approprient le patrimoine.”

“Le champ de la recherche de ce que pourrait permettre de réaliser le numérique est un domaine qui n’est pas présent, jusqu’ici, dans le monde des musées”, poursuit-il. “Nous voulons donc donner une nouvelle mission au musée: expérimenter, découvrir, débroussailler la manière dont les nouvelles technologies peuvent lui ouvrir de nouveaux champs de diffusion.”

L’un des premiers projets de ce laboratoire sera la mise en oeuvre, pour le Dynamusée, d’un “caisson sensoriel” destiné aux plus petits. Son but: autoriser une transition douce entre l’univers extérieur et celui du musée “qui impressionne toujours les jeunes enfants.”

Ce “musée dans le musée” sera comme un cocon (parents admis) où les enfants pourront, grâce aux nouvelles technologies et au numérique, s’acclimater à ce qui les attend plus loin au travers d’activités touchant aux cinq sens.”

Donner vie à l’explosion des données

La réouverture, d’ici environ un an, du Mundaneum (aujourd’hui en travaux) sera l’occasion d’ouvrir de nouveaux espaces de type muséal en faisant appel à quelques nouvelles technologies.

L’un des thèmes d’exposition choisis sera la visualisation des “big data”, “comprendre le monde par les données”, dans une tentative de donner une dimension visuelle aux réservoirs de connaissances et d’informations que produit l’homme et cartographier en quelque sorte les sources de connaissances.

Un phénomène qui n’est évidemment pas nouveau mais qui s’est accéléré depuis quelques années, sous l’effet de l’explosion des technologies numériques. Parallèlement, les modes de représentation des connaissances a évolué – “depuis les cartes et hiéroglyphes jusqu’aux visualisations contemporaines” – et achoppe d’ailleurs sur un défi de taille, aujourd’hui, pour représenter utilement les “big data.”

Vincent Delvaux (Mundaneum): “La technologie à utiliser doit donc permettre une sorte d’enchantement, qui est nécessaire pour faire passer efficacement le message, tout en évitant le simple effet waouw”.

“Nous voulons nous insérer dans une démarche d’info design, entre recherche scientifique – pour la compilation de jeux de données complexes – et le storytelling”, explique Vincent Delvaux, commissaire de l’exposition. “Voilà pourquoi nous faisons appel à des designers et à des artistes, afin de pouvoir mettre les données mais aussi les technologies en forme.” Dans une forme qui soit accessible au public le plus large.

C’est là l’un des leitmotiv de Vincent Delvaux. “Ma préoccupation première dans le recours aux nouvelles technologies dans un contexte culturel et muséal est de conserver un point de vue grand public, de mettre en oeuvre des choses qui soient assez simples. Des choses que le visiteur puisse “capter” en deux minutes, le temps de son passage. Le défi réside dans le fait que la thématique que nous traiterons [Ndlr: le big data ou encore la classification décimale universelle – voir ci-dessous] est loin d’être simple. Elle implique une résonance scientifique et abstraite. La technologie à utiliser doit donc permettre une sorte d’enchantement, qui est nécessaire pour faire passer efficacement le message, tout en évitant le simple effet “Waouw”. Le big data implique un enjeu scientifique et économique. Pour communiquer, il faudra toucher la corde sensible, émotionnelle. Voilà pourquoi les artistes sont précieux dans la mise en oeuvre. Ils apportent une autre dimension, plus intuitive, au sujet.”

“Morpher” les données

Les choix définitifs n’ont pas encore été posés mais parmi les technologies qui seront probablement utilisées citons le mapping 3D, afin de projeter des graphiques animés représentant des données statistiques, ou encore une dalle tactile sur laquelle se matérialisera le réseau des intellectuels, contemporains de Paul Otlet (l’un des deux fondateurs du Mundaneum), avec qui il entretenait des relations.

“La table permettra de générer une carte dynamique, thématisée, grâce à laquelle le visiteur pourra “naviguer” dans ce réseau social avant l’heure. Il pourra ainsi voir comment des relations s’étaient tissées à travers le monde.” Le côté dynamique de la carte viendra probablement de sa réactivité aux divers objets “pucés” que le visiteur placera à sa surface, faisant surgir des thèmes, des connexions…

La projection holographique en 3D devrait aussi être utilisée en mode “data-morphose” pour visualiser les données sous forme de sculpture.

Un autre projet, encore au stade de la conception, devrait déboucher sur le développement d’une interface nouvelle permettant d’expliquer le principe du système de classification décimale universelle (CDU), inventé par Paul Otlet et Henri La Fontaine et qui a tellement servi aux bibliothécaires et archivistes du monde entier. Partenaire du Mundaneum pour ce développement: le CETIC.