Parcours de start-up – Valérie Cuvelier: Un échec? Quel échec?

Hors-cadre
Par · 04/09/2013

La chose serait évidemment trop belle: tous les projets qui récoltent des prix ou qui sont salués à l’issue de programmes de stimulation ou d’accompagnement ne se transforment pas forcément en succès, en jeunes pousses vigoureuses et conquérantes. Même celles qui suscitent un buzz inhabituel, à qui tout le monde semble prédire un avenir prometteur, ne prennent parfois jamais leur envol. C’est le cas d’iTrustMyDriver, un projet qui avait reçu le Grand Prix du deuxième Startup Weekend de Bruxelles (à l’automne en 2011), qui avait les titres de l’actualité à l’époque, dont on jugeait l’idée séduisante et utile, qui avait même été approché par des investisseurs potentiels.

Deux ans plus tard, la start-up a arrêté sa course et le projet n’a jamais réellement démarré.

Que s’est-il passé? Où la belle mécanique a-t-elle coincé? Qu’est-ce qui a manqué pour en faire un succès?

Nous avons posé la question à celle qui fut à l’origine du projet, Valérie Cuvelier. Voici le récit d’un parcours pas banal. Un témoignage intéressant pour tous ceux qui veulent se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat.

L’envie de bouger et de faire bouger

A lire son curriculum vitae- juriste de formation, “Policy officer” lors de la Présidence belge de l’Union européenne, en 2010; conseillère légale et Affaires européennes auprès d’un grand groupe du monde de l’énergie-, on pourrait en conclure que rien ne la prédisposait en principe Valérie Cuvelier à se lancer dans ce genre d’aventure. Mais, c’est bien connu, les apparences sont souvent trompeuses.

Valérie Cuvelier (iTrustMyDriver): De retour au pays, j’ai été frappée par le dynamisme nouveau qui régnait à Bruxelles mais aussi par le fait que tant de choses restaient à faire.”

“J’ai toujours été attirée par la créativité. Mon cursus a certes été classique mais j’ai toujours été à l’affût de nouveaux endroits, événements, expériences”, explique-t-elle. “Par ailleurs, cinq ans passés à l’étranger après mes études- au Japon, à Genève, à New-York- m’ont permis de m’ouvrir à d’autres cultures, à d’autres façons de vivre et de travailler. A New-York, nombre de mes amis étaient des créateurs de boîte en série. Cela m’a donné le goût d’innover. De retour à Bruxelles, j’ai été frappée par le dynamisme nouveau qui en émanait mais aussi par le fait que tant de choses restaient à faire.”

Par ailleurs, son travail, dans l’univers des lobbys européens et plus particulièrement celui du lobby de l’électricité (elle était alors employée par Elia), ne la satisfait pas. “Je ne me sentais pas à ma place… et j’avais du temps pour penser.”

C’est à cette époque que l’idée du projet iTrustMyDriver a pris forme, ancrée sur certaines expériences vécues outre-Atlantique. Prendre un taxi, dans certaines circonstances ou dans certains quartiers, a parfois de quoi inspirer quelques inquiétudes. “Nous avions pris l’habitude, entre amies, de nous envoyer systématiquement par SMS le numéro du taxi qu’on prenait”, explique-t-elle. Juste au cas où…

Bruxelles n’a certes pas le même “exotisme” que New-York en la matière (tous ceux qui ont pris un jour un taxi new-yorkais “non officiel”, le soir, sous la pluie par exemple, dans des quartiers improbables, sauront à quoi il est fait allusion) mais l’idée qui allait germer consistait à proposer à certains publics-cible- parents inquiets, personnes âgées…- une solution qui garantisse un trajet en taxi sans souci. “Connaître à l’avance les coordonnées de la personne qui prend la personne en charge, payer la course d’avance- ce qui évite les possibles arnaques-, une notification par SMS de bonne prise en charge et de bonne arrivée… sont autant de choses qui rassurent.” iTrustMyDriver était sur les rails.

Reste à se lancer

Pour faire un premier test de validité de l’idée, Valérie Cuvelier a donc participé au premier Startup Weekend de Bruxelles. “Cet événement avait l’avantage d’être court, ne m’obligeant pas à bloquer trop de temps. C’était par ailleurs peu onéreux, promettait d’être bon enfant, tout en me permettant de toucher au monde de l’entreprise.”

Expérience couronnée de succès puisqu’elle allait y décrocher le premier prix et un ticket qui lui ouvrait les portes du Boostcamp du MIC (Microsoft Innovation Center).

“J’ai en fait eu la chance de proposer un produit facile à comprendre, là où les autres venaient parfois avec une appli super compliquée. Deuxième chance? L’équipe qui s’est constituée pendant le week-end: 9 personnes aux profils et compétences complémentaires. Une graphiste, deux profils marketing, deux développeurs, un juriste, un spécialiste des réseaux sociaux…”

Le “Weekend” est un concentré de folie: “on passe du découragement total à la conviction, deux heures plus tard, que l’idée est géniale et peut marcher. Les critiques- constructives- des mentors pleuvent. Nous avons fait une brève étude de marché à la sauvage, sur un parking de grand magasin.” L’idée prend forme. En ce compris dans ses différentes composantes de concrétisation: ce sera une plate-forme et pas une appli; le modèle financier passera par un surcoût de 15% pour chaque course; les chauffeurs seront cotés…

“Un Startup Weekend a ceci d’intéressant qu’il est un lieu d’intense dynamisme, d’enthousiasme. Avec comme leitmotiv que tout est possible; il suffit d’y croire. Très américain en somme…”

La semaine suivante, Valérie Cuvelier entre au Boostcamp. Sans avoir le temps de souffler ou de réfléchir. “Cela aussi, c’était un peu fou mais je ne le regrette pas et si c’était à refaire, je le referais.” Le côté fou vient bien entendu du fait que pour y participer, elle a purement et simplement lâché son boulot.

Valérie Cuvelier: “Un Startup Weekend a ceci d’intéressant qu’il est un lieu d’intense dynamisme, d’enthousiasme. Avec comme leitmotiv que tout est possible; il suffit d’y croire. Très américain en somme…”

Ce que cela lui a apporté de plus durable? Une formation orientée communication, réseaux sociaux, création de business plan, et… pitching.

“J’ai vécu 6 mois intenses. Avec une grosse médiatisation” qu’elle attribue notamment à l’engouement pour le phénomène des start-ups, à la nature du projet “qui semblait correspondre à une demande”… Cela lui permet d’entrer en contact avec le réseau Entreprendre, au sein duquel son “parrain” et coach sera Jean-Guillaume Zurstrassen (celui de Skynet, de VMS Keytrade, de Tunz…), avec le BetaGroup, d’être invitée à un séminaire organisé par la Commission européenne (DG Innovation) au cours duquel elle participe à une table ronde aux côtés d’un entrepreneur millionnaire de la Silicon Valley. De nouveaux horizons à répétition. Autant de pistes et contacts prometteurs.

Mais où est donc le “mais”?

“La visibilité était excellente mais le contenu du projet s’avérait moins facile.” Embûches, défis et questions s’empilaient: création d’une plate-forme électronique, constitution d’un “réseau” de taxis, budget et prise de responsabilités nécessaires en cas de création d’une sprl, conditions de rentabilité… “La demande existait, j’en suis convaincue. J’avais même été approchée par des écoles… Mais la mise en place s’avérait compliquée. J’aurais dû, en fait, créer ma propre compagnie de taxi qui se serait positionnée vers un public spécifique et aurait fonctionné certains jours et/ou selon certaines plages horaires. J’ai mis un an à m’en rendre compte…” Voir notre article Fin de course pour iTrustMyDriver pour découvrir ce qui est arrivé, ces dernières semaines, au projet.

Valérie Cuvelier: “J’avais envie, à ce moment-là de ma vie, de me stabiliser.”

Pendant ce laps de temps, Valérie Cuvelier en vient par ailleurs à la conclusion qu’elle n’a “pas envie de faire cela toute la vie. J’avais envie, à ce moment-là de ma vie, de me stabiliser. Porter une start-up à bout de bras ne correspondait plus à mes attentes. Mais je ne voulais pas laisser tomber l’idée.” Elle a donc accepté la proposition de reprise que lui faisaient deux de ceux qui avaient fait équipe avec elle lors du Startup Weekend, à savoir Joris Roesems et François Hoc.

Au-delà de considérations ou motivations purement personnelles, l’autre pierre d’achoppement, côté mise en oeuvre, a été le volet “prise de responsabilités”: “quid si le taxi ou le chauffeur a un problème?”. Elle se voyait mal s’embarquer dans une société qui assumerait ce genre de risque. “A cet égard aussi, une appli a plus de chances de réussir parce qu’on évite le volet responsabilité.”

“J’ai également reculé devant une autre responsabilité. A savoir, celle qui me serait tombée dessus dès l’instant où j’aurais accepté l’argent d’un investisseur.”

Pour tous ceux qui le veulent…

Quels conseils Valérie Cuvelier donnerait-elle aux porteurs d’idées et de projets pour éviter certains des écueils qu’elle a elle-même connus?

Quelques conseils qui transparaissent au cours de la conversation.

“Il ne suffit pas de construire une plate-forme, un site, en restant derrière son PC. Il faut aller chercher les clients, un par un.”

“Eviter d’avoir la folie des grandeurs. Il faut avoir une idée business raisonnable, savoir dans quelle direction on veut aller, vers quel public, pour répondre à quelle demande, savoir quelle est la rentabilité potentielle du projet, savoir répondre aux neuf questions du business model canvas: quels sont les coûts, par quel réseau me faire connaître, etc.”

“Il s’agit, en fait, pour que cela marche, d’être à la bonne place, au bon moment, et avec les bonnes personnes… et d’y consacrer du temps.” Beaucoup de temps.

“Si c’était à refaire, je le ferais avec quelqu’un. Pour iTrustMyDriver, je l’ai fait seule. Cela confère une totale liberté mais cela implique aussi un plus grand degré de difficultés. Etre deux apporte déjà plus de solidité, sans être forcément plus facile, et on perd un peu de liberté…”

“Il faut bien s’entourer, choisir des profils différents- le profil IT est toujours le plus difficile à trouver… Mais il ne faut pas trop s’entourer. Par contre, il faut pouvoir accepter la critique, tant qu’elle est constructive. Rentrer dans un réseau d’entrepreneurs est toujours intéressant parce que cela permet de ne pas être seul, seul dans sa bulle.”

“Oser parler de son projet. Cela permet de l’améliorer. Je ne crois pas à cette idée que le porteur de projet risque de se faire voler son idée. Bruxelles, ce n’est pas la Silicon Valley… [sous-entendu, il n’y a pas des fanas de l’entrepreneuriat à chaque coin de rue, prêt à sauter sur toute idée qui germe]. Le porteur de projet conserve de toute façon une longueur d’avance en termes de réflexion…”

“Etre entrepreneur, c’est partager avec des gens qui sont sur la même longueur d’onde que vous. J’ai par exemple toujours trouvé plus facile de parler avec des gens qui avaient fait le Boostcamp, par exemple, qu’avec mon entourage, qui ne pigeait pas ce que je faisais.”

“Essayer et réessayer. Si votre projet ne marche pas, ce n’est pas grave. Il faut avoir cette mentalité US qui veut que si l’on rate quatre fois, cela veut dire qu’on en aura tiré les enseignements pour la cinquième. Un ratage peut permettre de construire et d’arriver à quelque chose. Si, personnellement, j’ai arrêté, c’est parce que je ne le sentais plus, à ce stade de ma vie. Mais cela n’a rien d’un échec pour moi. Je n’en ai tiré que du bénéf’.”

Il est un autre aspect qui la fait bondir en matière de regard que l’on jette, chez nous, sur les entrepreneurs: “on a trop tendance à mettre des gens dans des cases et à ne pas les laisser en sortir. Moi-même, avec ma formation de juriste, mon passage par le secteur public et les milieux européens, et ensuite le lancement du projet, je faisais tache. On ne savait plus trop bien dans quelle “case” me mettre. Par la suite, un cabinet d’avocats a même refusé de m’engager parce qu’ils craignaient que je ne les quitte un jour pour lancer une nouvelle start-up!”

Ce qui l’amène à cette supplique: “laisser leurs chances aux jeunes. Ils ont plein d’idées et il y a encore tellement de choses à faire. Et ce n’est pas parce qu’ils se planteraient à deux reprises qu’il faut pour autant les bannir de la vie professionnelle. Il faut au contraire encourage les start-ups, les entrepreneurs… pour que les choses bougent.”

Le virus de l’entrepreneur

Même si elle a choisi, pour l’instant, une carrière plus “pépère”, Valérie Cuvelier ne bride pas totalement son envie de créativité. “J’ai lancé deux ou trois idées avec des amis [dont un projet de “réseau de tables de conversation” pour l’apprentissage de langues, ou encore un projet de service similaire aux Responsible Young Drivers mais qui fonctionnerait toute l’année, pour raccompagner des fêtards du samedi soir ou des invités à un mariage qui en sortent un rien trop imbibés]. Je reste proactive. Je conseille, à l’occasion, des personnes qui se demandent comment faire, qui contacter pour lancer un projet, qu’est-ce qui marche, etc. Le réseau que j’ai construis me permet de les aider. Et je suis toujours avec intérêt ce qui se passe lors des Startup Weekends.”

L’envie lui viendra-telle éventuellement un jour de se relancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat? La réponse ressemble beaucoup à un “pourquoi pas?” mais sans précision par rapport à une ligne de temps.

Qu’est-elle devenue?

Après avoir confié l’idée iTrustMyDriver à deux de ses anciens équipiers, Valérie Cuvelier s’en est retournée vers des activités plus stables, dans les sphères publiques.

En 2012, lors des élections communales, elle s’est présentée sur les listes du MR à Uccle pour remplacer un candidat qui s’était désisté. Son score fut loin d’être ridicule. L’exercice de la campagne fut d’ailleurs l’occasion pour elle de tester ses capacités de “pitching”, explique-t-elle dans un sourire. “L’expérience acquise en médias sociaux, en aptitude à pitcher efficacement m’ont permis de transformer des acquis de business marketing en marketing de campagne électorale…”

Aujourd’hui, Valérie Cuvelier est employée comme conseillère au SPF des Affaires étrangères.