“Agenda numérique” européen: quel “agenda” pour les régions?

Hors-cadre
Par · 01/08/2013

Début juillet, le Comité des Régions (CoR) de l’Union européenne organisait une conférence théoriquement placée sous le thème des “digital cities”.

Si certaines villes avaient en effet été invitées pour venir présenter l’un ou l’autre projet (parmi elles, Gand et Amsterdam), il y fut surtout question de thèmes et d’interrogations génériques tels que le rôle des régions (comparé aux prérogatives nationales en matière d’économie numérique), la fracture numérique entre rural et métropolitain, les lourdeurs administratives, ou encore le manque d’homogénéisation des efforts au sein d’un même pays.

Ce que devraient être les priorités

Au printemps de cette année, la “Europe 2020 Monitoring Platform” du CoR a mené une enquête auprès des décideurs des régions européennes (on en répertorie plus de… 250 au sein des Etats-membres de l’UE) afin d’évaluer la perception qu’ont les responsables locaux et régionaux du programme “Agenda numérique 2020”.

Au rayon défis, la préoccupation qui semble récolter une majorité de suffrages reste le déploiement de l’Internet haut débit et la modernisation des infrastructures réseau existantes. Vient ensuite l’interopérabilité, autrement dit “l’interconnexion des différentes plates-formes déployées par les instances publiques, qui doit favoriser l’émergence d’une administration et de services publiques électroniques efficaces.”

Autres défis et carences pointés du doigt: l’acquisition et la maîtrise de compétences numériques, et des efforts de recherche et innovation jugés insuffisants dans le secteur ICT.

Une critique revient souvent dans les commentaires émis par les participants à l’enquête. A savoir: une nécessaire simplification des procédures pour pouvoir participer aux projets financés par l’Europe.

A chacun son rôle

L’un des sujets qui a régulièrement fait surface au cours de cette conférence, que ce soit dans les exposés ou lors des ateliers, fut celui de la répartition des rôles entre autorités nationales et entités ou structures régionales ou locales.

Aux yeux de Robert Madelin, directeur général de la DG Réseaux de communications, Contenus et Technologies de la Commission européenne, il ne fait aucun doute que le pouvoir central, a fortiori si on pense à l’Europe, ne peut être le seul levier de l’action. “Le slogan majeur de l’Agenda numérique [européen], à savoir “every European digital”, ne peut être implémenté à partir de Bruxelles. Le Comité des Régions est un partenaire-clé de sa concrétisation.”

Un autre orateur, Jan van Dijk, directeur scientifique du Centre for E-Government Studies de l’Université de Twente aux Pays-Bas), émettant un avis fort semblable lorsqu’il militait pour une “pression venue d’en-bas.” “Les autorités locales devraient résister à la tentation d’interférer dans des domaines qui relèvent des autorités nationales. Par contre, elles devraient faire peser davantage les demandes qu’elles relaient vers les gouvernements nationaux.”

Autrement dit, les autorités qui sont le plus proche du terrain sont, par nature, les mieux placées pour détecter les besoins et les faire connaître. Elles doivent donc servir de relais et de porte-voix pour les projets à mettre en oeuvre pour les citoyens et les entreprises. Notamment en matière de services “e-government”.

Innovation, spécialisation régionale, start-ups, smart cities…: “les régions sont les laboratoires de l’Europe.”

“Etant donné que les services e-gov évoluent vers des services interactifs, intégrés et complexes, se muant progressivement en e-participation, les niveaux locaux et régionaux sont les mieux équipés pour communiquer avec les citoyens et les entreprises”, soulignait-il.

Cela semble d’ailleurs être la conviction de Neelie Kroes, Commissaire européenne chargée de l’Agenda numérique. Son chef de cabinet, Constantijn van Oranje-Nassau, déclarait, lors de cette conférence CoR, que “la réactivité des régions, l’énergie qu’elles déploient et les défis auxquels elles sont confrontées en font un partenaire naturel pour le déploiement du haut débit et la diffusion de services à la personne.”

Parmi les matières que les régions devraient donc prendre à bras-le-corps, selon lui, figurent par exemple les politiques d’innovation et de spécialisation régionale, les villes intelligentes, les start-ups et l’intégration des big data, dans des domaines tels que les transports ou la santé. “Pour ce genre de développement et d’applications, les régions sont les laboratoires de l’Europe.”

Il leur revient aussi, selon lui, de jouer un rôle actif dans l’optimisation compétitive de l’Europe. “Régions et grandes villes doivent former et attirer des talents.” L’Europe, elle, a pour rôle d’aménager un cadre favorable. Mais c’est aux régions qu’il revient de servir de laboratoires vivants, de démonstrateurs de bonnes pratiques.

Des régions bien inégales

A entendre certains des intervenants à la conférence, régions et autres structures locales n’auraient quasiment qu’à tendre la main pour cueillir les multiples promesses de (re)développement économique que fait miroiter l’âge numérique. Un discours que n’ont pas manqué de challenger certains acteurs de terrain qui constatent au quotidien combien le chemin est encore long et les moyens difficiles à mobiliser.

Source: www.neiu.edu

Dans le camp des optimistes, on retrouvait par exemple Arijandas Šliupas, vice ministre lituanien des Transports et des Communications pour qui la concrétisation de l’agenda numérique offre des chances égales à toutes les régions, quelles qu’elles soient.

Son raisonnement? “L’économie numérique ne connaissant, par nature, pas de frontière, elle ne peut que permettre d’effacer les différences entre régions et être source de cohésion sociale et économique.” Il ajoutait toutefois: “bâtir une économie de marché numérique réellement opérationnelle d’ici 2015 demeure un défi en raison d’un manque d’interopérabilité trans-frontières et de carences en matière d’infrastructure technologique.”

Sage prudence dans ces derniers propos tant les chiffres et statistiques, dans l’état actuel des choses, ne supportent guère une vision optimiste.

Lors de la conférence, un chiffre, par exemple, a été mis en exergue: en 2011, 73% des citoyens européens (contre 72% des ménages américains et 74,9% des ménages de l’OCDE) bénéficiaient d’un accès haut débit à Internet à leur domicile.

Mais ce score global masque de grosses inégalités entre les privilégiés et les démunis. Aux deux extrêmes, 95% des citoyens des provinces hollandaise du Flevoland et de l’Overijssel disposaient de ce genre d’accès. A contrario, le pourcentage n’était que de 26% dans les régions bulgares du Severoiztochen et du Severozapaden.