Un “Start-up Kingdom” hors de portée?

Tribune
Par Carl-Alexandre Robyn (Valoro) · 21/02/2020

L’écosystème belge d’accompagnement de jeunes pousses ne sera jamais le sésame d’un “Start-up Kingdom[par analogie au statut “Start-up Nation” auquel aspire la France].

Il ne s’agit pas de se montrer tendre avec la réalité actuelle, il est urgent de dresser le constat que, derrière l’utopie de toutes les promesses du dispositif public de soutien à la création et au financement d’entreprises, une autre réalité se fait amèrement sentir. Pour caractériser l’écosystème d’accompagnement des start-ups, je dirai ceci, il est:

Très bien doté et bien intentionné

Sur papier le dispositif public de soutien à la création et au financement d’entreprises est aussi bien, sinon mieux pourvu, que celui prévalant aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, toutes proportions gardées. 

Rien qu’en Wallonie, les aides aux entreprises avoisinent les 2,3 milliards d’euros, dont 33 % dévolus à la création d’entreprises (chiffres 2018-2019 du cabinet du ministre du Budget régional).

Excessivement politisé 

C’est la différence fondamentale (et colossale) par rapport au système de soutien aux entreprises des Anglo-Saxons.

Il est logique que le politique veuille garder un œil sur l’argent public qu’il distribue. Mais dans une particratie (1) comme la nôtre, un univers politique aussi éclaté engendre des coteries politiques (où chacun a ses domaines de prédilection, ses marottes et tiendra à les défendre…) et un interventionnisme souvent excessif dans le paysage économique. 

C’est contre-productif parce que le politique fait fuir le capital privé! Les capitalistes Anglo-Saxons abhorrent l’intervention de l’Etat et l’Etat les laisse tranquille.

Peu gouverné 

La politisation excessive des conseils d’administration (souvent pléthoriques) des structures publiques d’accompagnement des start-ups empêche toute gouvernance d’ensemble, puisque chaque parti (chaque politicien, même ignorant) veut marquer de son imprimatur le secteur d’activité qu’il affectionne et ne supporte pas qu’un autre parti lui impose des directives. 

Dès lors impossible pour une structure faîtière dirigée par un membre du parti X de même recommander un schéma d’action et un contrôle à des opérateurs dirigés par des membres d’autres partis. Ainsi l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation, aujourd’hui dissoute) n’a jamais pu imposer une discipline aux structures d’accompagnement qu’elle était censée coordonner et piloter.

L’écosystème de l’accompagnement entrepreneurial tourne donc en roue libre. Chaque opérateur ne dispose pas, ou peu, de comptabilité analytique sérieuse et/ou de procédures appropriées de reporting et chacun définit ses propres règles: méthodes d’appui, programmes de soutien, cibles privilégiées de bénéficiaires, objectifs quantitatifs et qualitatifs, modes de financement, etc. Chacun poursuivant des objectifs multiples, ce qui rend difficile de distinguer des priorités ou des stratégies claires.

Et force est de constater également l’effrayant désert statistique de l’écosystème (les opérateurs ne partagent pas leurs statistiques, quand ils en ont), ce qui est logique pour quiconque ne souhaitant ni être comparé, ni être évalué, et concomitamment sanctionné. 

Mais un autre effet de ce déficit d’informations est une grande méconnaissance par les pouvoirs publics du coût global de l’ensemble des dispositifs d’accompagnement entrepreneurial en activité.

Peu créatif 

Face au refus de l’imprévu, nos structures d’accompagnement sont en panne de créativité. Elles n’innovent en rien : elles sont toujours rattrapées par les schémas traditionnels de financement, d’autofinancement, d’organisation et de fonctionnement, de recrutement, de formation, d’évaluation, de récompense/rémunération, de gestion de compétences, de gestion des carrières (homologation des accompagnateurs, promotion, évolution, reconversion).

Elles sont censées faire éclore des start-ups faisant ce qu’elles-mêmes ne savent pas faire, en matière d’audace et de bon sens opérationnel notamment. 

Peu critiqué 

La particratie empêche l’éclosion d’une culture de l’évaluation. Malheureusement, cette lacune est désavantageusement compensée par une abondante culture de l’autocongratulation. 

Il faut faire l’effort de lire les rapports d’activités des principaux opérateurs publics de soutien aux entreprises: c’est comme aller au festival de Cannes puisque tout le monde se félicite mutuellement, sur l’excellence du travail accompli. L’establishment produit des rapports dithyrambiques, mais au-delà du discours marketing bien rôdé, la qualité informative de ces rapports d’activité laisse vraiment à désirer. 

Comme tout le monde veut bénéficier du ruissellement de la manne publique qui se déverse dans l’écosystème de l’accompagnement des start-ups, personne n’ose en faire la critique. Pas même les médias, qui eux aussi bénéficient indirectement de cette manne au travers des “infomerciaux” régulièrement publiés, participant ainsi au phénomène artificiel de la “start-up ovation”, sans aucune prise de recul et sans aucune réflexion d’ensemble sur le bien-fondé de cet écosystème si “prodigue”. 

Participer à la glorification de l’écosystème de l’accompagnement start-ups, c’est la garantie d’articles faciles, rémunérateurs, où ne joue que la fibre émotionnelle : il ne faut surtout pas ennuyer le bon public avec des analyses critiques. Pourtant, les observateurs internationaux (Eurostat, EVCA, Start-up Genome: Global Start-up Ecosystem Report, etc.), ceux qui établissent des comparaisons internationales, ne sont pas dupes.

Peu performant et peu schumpetérien

Fabriquer de toutes pièces une “start-up ovation” alors que pratiquement toutes les comparaisons internationales montrent que nous sommes à la traîne partout en matière de création et de financement d’entreprises ne construit rien de plus que des châteaux de sable.

Si nous voulons qu’un jour la Belgique abrite des licornes, il faut impérativement que le dispositif public ne soit plus une démocratie du saupoudrage de fonds publics mais une technocratie qui laisse tourner la lessiveuse darwinienne (les subsides doivent être réservés à des politiques ciblées : start-ups de la biotechnologie, du digital/numérique ou de l’économie circulaire…). 

Les pouvoirs publics ont certes bien compris que l’innovation portée par les entrepreneurs est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Mais paradoxalement, par calcul politique (les bénéficiaires de rentes de situations, ou de monopoles sont des électeurs bien plus nombreux que les pionniers de l’innovation de rupture), ils refusent la “destruction créatrice” (2) qui habituellement accompagne les nombreux types d’innovation.

 

Carl-Alexandre Robyn: “Si nous voulons qu’un jour la Belgique abrite des licornes, il faut impérativement que le dispositif public ne soit plus une démocratie du saupoudrage de fonds publics mais une technocratie qui laisse tourner la lessiveuse darwinienne.”

 

C’est une des raisons pour lesquelles maints innovateurs pionniers ont des difficultés à éclore dans une “démocratie corporative”, comme la nôtre, où l’esprit des guildes d’antan est toujours bien prégnant. 

Les start-ups technologiques – plus spécifiquement les fintechs, les legaltechs, les biotechs, les activités de transport de personnes et de livraison à domicile – sont régulièrement contrées par les corps établis (Fédération des banques et des institutions financières, Institut des comptables et des réviseurs d’entreprise, ordre des avocats, ordre des médecins, des pharmaciens, fédération des taxis, fédération des déménageurs, etc.).

Chez les Anglo-Saxons, l’intervention de l’Etat est bien plus chétive que chez nous, et ils ne sont pas encombrés par les traditions moyenâgeuses des corporations de toutes sortes. Dès lors les flux de capitaux ont moins de contraintes et jouissent d’une plus grande liberté de mouvement.

Carl-Alexandre Robyn

associé-fondateur du Cabinet Valoro
évaluateur de start-ups

 

(1) Particratie: un terme dont l’acception dans le langage courant a largement dépassé sa signification politologique pour désigner une dérive de la démocratie représentative, quand les partis politiques en arrivent à substituer leur propre intérêt à l’intérêt général. 

La particratie étant la version la plus radicale de la démocratie des partis, dans un tel système le clientélisme est la manière la plus poussée d’être à l’écoute de ses électeurs.

On peut définir la “particratie” comme un système où la décision politique revient aux partis plutôt qu’aux institutions. Un gouvernement par les partis en quelque sorte.

(2) Dans la vision de Joseph Schumpeter, la “destruction créatrice” désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.