Cinéma, serious games, jeux vidéo: quel financement et quel “ROI” pour le transmédia?

Tribune
Par François Delpierre · 23/01/2013

Mais, au fait, de quoi parle-t-on? Nous ne jouons pas dans la même cour lorsque l’on parle de jeux vidéos, de cinéma et de serious game, dans la mesure où le “transmédia” n’est pas un support ou un mode de communication/média, mais plutôt une technique de communication basée sur la multiplicité des supports et leur interactivité interdépendante.

Le mot lui-même n’est que l ‘évolution du “multi média”, au même titre que le serious game est l ‘évolution logique du terme ludo éducatif, devenu désuet.

Les modèles de productions, de financement et de rentabilité de ces trois secteurs d’activité, ainsi que leur modèle de diffusion et de rentabilité, sont diamétralement différents et opposés.

Cependant, tous trois se sont retrouvés, cette année encore, au Forum Blanc afin de débattre de l’avancement des techniques de transmédia.

Pourquoi alors rassembler aujourd’hui les acteurs de ces secteurs économiques au sein du Forum Blanc?

C’est tout simplement évident: au même titre que nous sommes tous des utilisateurs du Web, ces trois secteurs de l’image et de l’histoire racontée ont, en ce sens déjà, de solides points communs.

Cependant, gérer, via le principe du transmédia, un projet dans ses différents supports artistiques, impose une connaissance de tous les marchés de distribution et de tous les modèles économiques et il me semble aujourd’hui impossible de se spécialiser de façon exhaustive, en tant qu’auteur, créateur, ou réalisateur, dans tous ces domaines.

Un nouveau métier voit le jour ou devrait voir le jour: celui d’intégrateur de produit.

L’intégrateur de produit se chargera de lier le “produit” (qu’il s’agisse d’un jeu, d’un serious game ou d’un film) au support- existant et à venir- et de gérer pour le client sa réalisation sur mesure, conformément aux désidératas du commanditaire.

Cette fonction devra activer non stop une veille mondiale et proposer ses services à tous les créateurs multi média. En effet, l’évolution est constante et beaucoup trop rapide pour qu’un producteur ou réalisateur reste au courant des nouveautés en permanence et, surtout, en devienne expert.

Transmédia–Cinéma

Dans le cas du cinéma, les besoins sont complexes et varient selon l’intérêt des acteurs-créateurs d’un film. Il est évident que l’attente du réalisateur, du producteur et du distributeur n’est pas la même et que toutes ne se manifestent pas en même temps.

Réussir une action Transmédia-Cinéma exige une réunion rassemblant ces trois acteurs afin de bien sérier les demandes et préparer le plan transmédia global.

Cependant, un intégrateur de produit sera indispensable pour porter cette action et ce, dès le premier jour de tournage ou d’écriture du film afin de :

  • faciliter la production en diffusant des images du tournage auprès des financiers potentiels
  • accompagner le réalisateur en créant du buzz pendant le tournage (images d’acteurs, de décors, interviews live etc.) via les réseaux sociaux notamment
  • aider le distributeur à poursuivre l’accompagnement du film sur base des mêmes médias et dialoguer avec les spectateurs, critiques, à annoncer les avant-premières etc.

Nous le voyons aujourd’hui, peu de films européens considèrent le transmédia comme un ensemble cohérent d’outils de promotion, dès la première ligne d’écriture. C’est pour cela que le rôle et la création du métier d’intégrateur de produit sera indispensable et rassurante, si on lance un véritable financement transmédia.

Transmédia–Jeux vidéo

Les  jeux vidéos sont, dans leur toute grande majorité, des produits à risques, financés par le privé et les auteurs eux-mêmes.

La réussite du projet dépend essentiellement de la réussite de la distribution et impose un plan marketing approprié au support.

Les supports étant sans cesse en mutation, cela ne simplifie pas du tout la simplification et la pérennité de modèles d’exploitation, comme nous le vivions il n’y a pas si longtemps dans l’édition papier, le cinéma ou la musique.

Les marchés implosent, la fin des jeux, musique, films, vendus en magasin est clairement programmée au profit de supports virtuels alors que le modèle économique de ces nouveaux marchés n’est pas du tout stabilisé – et il ne le sera plus jamais selon moi !

Dans le cas du jeu vidéo, les besoins sont tout autres. Il ne s’agit aucunement de promotion mais de multiplier les supports, de retrouver son jeu produit sur tous les supports en utilisant les spécificités propres à chacun.

Le besoin d’un intégrateur-Jeu de produit y est également évident, mais son rôle sera fort différent car lié directement à la connaissance du marché financier des divers supports.

Se retrouver sur Apple ou Microsoft et Android demande des connaissances spécifiques de rentabilité et de coût d’intégration, voir de complexité technique.

Les choix seront déterminants pour la réussite financière du projet.

Le cinéma n’est pas du tout concerné encore à ce stade par ce facteur-là.

Transmédia–Serious game

Le cas du serious game est encore un peu différent. Le financement est prioritairement issu de commandes publiques avec une forte croissance actuelle du secteur privé.

Il y a quatre grand secteurs différents dans ce domaine.

Le secteur privé, qui recherche des outils de formation interne , on parlera là de learning games.

Il touche tous les secteurs économiques et sa cible est la plupart du temps interne et donc peu visible pour le grand public. Il n’y a pas besoin de retour sur investissement, sinon une amélioration de la condition des travailleurs ou une meilleure rentabilité ou efficacité ce qui n’est pas forcément lié. Ce secteur aura très peu d’exigence en matière de transmédia.

Le secteur public, qui désire communiquer vers une frange de la population, voire toute sa population. Chaque support sera le bienvenu. Un intégrateur sera indispensable pour constituer le cahier des charges de ce serious game.

Les “school learning” qui seront des initiatives privées, souvent des produits proches de l’e-learning, utilisant le modèle économique de ce dernier.

Nous retrouverons là des produits dont le contenu d’apprentissage est beaucoup plus important, et constitue pour l’acheteur un véritable outil d’apprentissage au même titre qu’un bouquin, un cours ou un besoin de formation professionnelle.

Ces serious games ont très peu recours aux multi-supports qu’offre le transmédia.

Les advergames, les jeux liés aux events et à la promo-pub.

Financièrement parlant, ces jeux ne recherchent pas non plus de rentabilité immédiate et s’apparentent au coût d’une action publicitaire ou de mise en valeur d’une “marque”.

Par contre, ce secteur sera très demandeur d’outils transmédia et un intégrateur de produit aura un rôle de tout premier plan à jouer dans ce secteur.

 

François Delpierre, co-fondateur et directeur artistique de Belle Productions

Ce texte est tiré d’une présentation faite au récent Forum Blanc du Grand Bornand 2013 (16-18 janvier 2013), forum consacré aux nouveaux supports de diffusion, contenus, médias et usages et qui s’adresse aux professionnels des secteur de l’animation, du jeu vidéo, du broadcast, des nouveaux services interactifs et de la téléphonie mobile.

© François Delpierre 2013.