Open data: un défi juridique?

Tribune
Par Philippe Laurent · 30/10/2013

L’“open” a accompli du chemin depuis la mise en branle du mouvement du logiciel libre. L’“open source” ayant fait ses preuves, et ses nombreuses licences ayant réussi leur baptême du feu, cette révolution par l’ouverture du code fut source d’inspiration dans tous les domaines de la culture et du savoir. S’il est possible d’utiliser la propriété intellectuelle pour donner des libertés sur un logiciel, et si l’“open content” a pu transposer le principe pour l’appliquer à la musique, aux images ou aux textes… pourquoi ne pourrait-on pas faire de même avec les données? A première vue, on pourrait croire qu’il serait plus simple de libérer des données que de libérer un logiciel… rien n’est moins vrai.

 

Pour réussir une “ouverture”, il faut tout d’abord en identifier l’objet, les droits de propriété qui s’y appliquent et les titulaires de ces derniers.

Alors que, par principe, l’information “pure” n’est normalement pas protégeable par la propriété intellectuelle, le terme “donnée” est souvent pris au sens large pour désigner tout élément porteur ou générateur d’information (des données au sens strict, mais également d’autres éléments tels que des photos, des descriptions, des graphiques, etc.). Ces derniers éléments feront fréquemment l’objet d’une protection en tant que tels.

Par ailleurs, les données sont souvent rassemblées en bases, qui sont à la fois protégeables, sous certaines conditions, par le droit d’auteur et par un droit spécifique s’appliquant aux bases de données. L’objet de l’ouverture, de même que les droits qui le protègent, sont dès lors hétérogènes et peuvent appartenir à une multitude de titulaires différents.

Quelle réutilisation?

A côté des questions de propriété intellectuelle, les données pourraient également être soumises à d’autres règlementations qui limiteraient ou interdiraient leur publication ou réutilisation. C’est le cas lorsqu’il s’agit de données personnelles, sensibles ou critiques. Des règles de confidentialité ou de secret peuvent également s’appliquer. Enfin, la nature et la qualité des données, et le fait de les rendre publiques et/ou réutilisables, peuvent avoir d’importantes conséquences économiques et engager des responsabilités… les donneurs de licences voudront donc se prémunir contre certains risques.

La démarche de l’open data peut également s’entreprendre en ayant différentes attentes vis-à-vis des ré-utilisateurs. Les licences imposent souvent certaines obligations dans le chef des bénéficiaires des licences, telles que le respect de la “paternité” des données, des règles d’utilisation ou de transformation des données, voire des clauses “share-alike” (partage à l’identique) imposant au licencié de redistribuer ses ajouts et modifications sous la même licence.

Toutes ces considérations juridiques sont autant de paramètres qui expliquent la diversité des licences utilisées et le fait que chaque institution aura tendance à vouloir rédiger sa propre licence en fonction de ses contraintes et de ses sensibilités. Or, la multiplicité de licences a également un effet contraire à la simplification et à la réutilisation. En effet, plus il y a de licences différentes, plus le travail d’analyse et de gestion des ré-utilisateurs est important, et plus il y a des risques de contradictions entre les licences. Ce phénomène, qui mène à des situations d’incompatibilité entre licences, aura parfois pour conséquence de remettre en question la faisabilité de certains projets.

Plus il y a de licences différentes, plus le travail d’analyse et de gestion des ré-utilisateurs est important, et plus il y a des risques de contradictions entre les licences.

Malgré ces contraintes juridiques, l’heure est à l’open data… et ce; tout particulièrement dans la sphère des institutions publiques. En effet, les pouvoirs politiques sont de plus en plus conscients du fait que l’accès aux données du secteur public et la possibilité de les réutiliser peuvent à la fois assurer une plus grande transparence vis-à-vis des citoyens et générer de l’innovation, de nouvelles activités économiques, et, au final, de nouveaux emplois.

Par ailleurs, l’open data s’inscrit particulièrement bien dans le cadre des nouvelles législations favorisant l’accès et la réutilisation des PSI (public sector information). En effet, la Commission européenne a déjà adopté en 2003 une directive visant à faciliter la réutilisation des informations du secteur publique. Cette directive vient d’être renforcée par une nouvelle directive 2013/37 du 26 juin 2013. Elle prévoit, entre autres, l’obligation (sauf exceptions) de rendre réutilisable les documents d’origine publique; la limitation et la transparence des redevances perçues; l’utilisation de standards et de formats ouverts; ainsi que l’utilisation de “licences-type”.

Philippe Laurent

Avocat au cabinet MVVP, chercheur senior au CRIDS, formateur legalict.be