Le logiciel à la conquête du monde

Tribune
Par Omar Mohout · 08/08/2014

“Why Software is eating the World” est le titre d’un article rédigé par Marc Andreessen pour le Wall Street Journal. Dans cet article, Marc Andreessen partage son point de vue sur la façon dont les logiciels transforment chaque secteur majeur, paraphrasant ce processus en ces termes: “software is eating the world”.

Avant de continuer, un petit rappel de qui est Marc Andreessen. Il est devenu le parrain du navigateur Internet lorsqu’il a fondé Netscape en 1994. En lançant le navigateur Netscape Navigator, Netscape fut la première société à tirer profit du ‘World Wide Web’. Firefox, le successeur à code source ouvert de Netscape, est toujours immensément populaire.

Entre-temps, Marc Andreessen est devenu un créateur d’entreprises en série et un super-investisseur providentiel: Twitter, Facebook, Foursquare, Pinterest, Skype, Groupon et Zynga figurent parmi les nombreuses start-ups qui ont fait partie, à un moment donné, de son portefeuille d’investissement.

Retour à l’article qui nous intéresse et cette expression “software is eating the world”. Autrement dit: les logiciels sont devenus un moteur pour tous les principaux secteurs d’activités. Toute activité est, dans une certaine mesure, numérique. La traditionnelle distinction entre ‘bricks’ et ‘clicks’, c’est-à-dire entre physique et numérique, est désormais obsolète.

La façon dont les entreprises utilisent les logiciels jouera un rôle décisif dans la manière dont elles innovent, intensifient et développent leurs activités. La technologie en général – et les logiciels en particulier – peuvent transformer des aspects majeurs de l’activité des entreprises, par une optimisation tout au moins ou, mieux, par l’innovation. Les logiciels sont par conséquent le principal facteur de différenciation, menant à la croissance et finalement à la rentabilité.

Logiciels et proposition de valeur

La technologie jouant un rôle aussi fondamental, il n’est plus possible de la dissocier de “l’activité”, les deux étant étroitement liées. Il est peu probable qu’une entreprise devienne la meilleure dans son domaine si elle ne maîtrise pas et n’exploite pas la technologie. Les logiciels ont déjà – de facto – un monopole dans la gestion de l’épine dorsale de l’information et des processus dans les entreprises. En soi, les logiciels ont une valeur limitée, mais intégrés ou connectés, ils deviennent un puissant moteur de l’innovation, permettant de créer de nouveaux produits, services et clients, de transformer des marchés et de générer de tout nouveaux secteurs.

Il est peu probable qu’une entreprise devienne la meilleure dans son domaine si elle ne maîtrise pas et n’exploite pas la technologie.

Les logiciels font à présent partie intégrante des produits et services proprement dits, créant et acquérant une valeur nouvelle au cours du processus. Ils cessent d’occuper un rôle secondaire pour devenir le cœur de l’entreprise. Alors qu’à l’origine, ils servaient de support aux processus, ils en viennent à gérer l’activité principale: à savoir, les produits et services, autrement dit l’offre, ou encore la proposition de valeur.

L’exemple des ampoules

Prenez une simple ampoule: il s’agit d’une technologie appliquée et commercialisée depuis plus d’un siècle. Les fabricants d’ampoules tels que General Electric et Philips sont devenus des conglomérats, s’appuyant sur cette technologie révolutionnaire, et ont non seulement créé un nouveau secteur mais aussi une toute nouvelle ère: celle de la seconde révolution industrielle, également connue sous le nom de révolution technologique.

Au fil des ans, l’ampoule a été banalisée et son prix a par conséquent baissé pour atteindre un peu moins d’un euro. Pour un objet que nous utilisons si fréquemment, l’ampoule n’a guère changé depuis toutes ces années.

En tout cas jusqu’en septembre 2012, date à laquelle LIFX, une start-up, a lancé un projet sur la plate-forme de crowdfunding Kickstarter pour la production participative d’une ampoule économique multicolore compatible Wi-Fi pouvant être commandée à partir de n’importe quel smartphone.

Fondamentalement, il s’agit de transformer un objet du quotidien en un produit tendance capable de s’adapter à votre humeur, de vous aider à vous endormir ou à vous réveiller, de s’allumer lorsque vous arrivez à la maison – et vice versa – et vous permettant de visualiser votre musique!

Chaque ampoule disposant de sa propre connexion Internet, elle peut même apprendre à adapter la luminosité en fonction des saisons. LIFX prévoit une collecte des données d’utilisation en temps réel (les habitudes de consommation) qui pourrait ouvrir une boîte de Pandore (tirer profit des big data), mais ceci est une autre histoire…

 

 

 

 

 

 

 

 

Le hasard (ou non?) a voulu que Philips Lighting lance un produit similaire exactement la même semaine…

Il est fascinant de voir comment une start-up sans le sou défie une multinationale qui a probablement dépensé des dizaines de millions d’euros pour un tel projet, sur son propre terrain, et que le challenger semble d’ailleurs l’emporter dans un véritable combat façon David contre Goliath.

Si nous pouvons intégrer un logiciel dans un produit tout à fait banal tel qu’une ampoule et en faire un appareil intelligent et connecté, nous sommes en mesure de transformer à peu près tout à l’aide d’un logiciel.

Cette nouvelle ampoule coûte 60 euros, ce qui est assez élevé pour une ampoule, mais plutôt bon marché pour “l’intelligence” qu’elle renferme. La valeur ajoutée et la différentiation offerte par cette nouvelle ampoule tiennent surtout au logiciel, confirmant la position de ce dernier comme principal moteur de l’innovation, de la croissance et de la rentabilité.

Si nous pouvons intégrer un logiciel dans un produit tout à fait banal tel qu’une ampoule et en faire un appareil intelligent et connecté, nous sommes en mesure de transformer à peu près tout à l’aide d’un logiciel, afin de créer de nouveaux produits et services. Il s’agit d’une nouvelle étape vers l’Internet des objets.

Le logiciel, source d’innovation

Le logiciel nous permet de repenser tout notre modèle d’entreprise: la façon dont nous concevons et produisons, dont nous créons et gérons de nouvelles transactions et relations et dont nous collaborons localement et globalement. Créer au final un monde de plus en plus basé sur les logiciels a un impact sur nos modes d’apprentissage, de consommation, de travail et de vie. Les logiciels qui habilitent des objets physiques et connectent ceux-ci, comme dans le cas de notre ampoule, en sont le reflet ultime.

Le défunt Peter Drucker a un jour décrit la différence entre productivité et innovation comme suit: la productivité, c’est le résultat de la technologie appliquée à des processus existants. Mais l’innovation c’est le résultat de la technologie appliquée à de tout nouveaux processus.

La question n’est pas de savoir si un logiciel peut rendre votre activité innovante, mais quand il transformera votre secteur d’activité.

Steve Jobs faisait remarquer à quel point un bon logiciel est indispensable et que les entreprises ciblant presque exclusivement le ‘hardware’, sans investir suffisamment dans les logiciels, éprouveront de plus en plus de difficultés à innover, à séduire des clients et à faire face à la concurrence. Une leçon qu’IBM a pris à cœur.

Historiquement, le logiciel a évolué de “l’art de la programmation” à “l’art du génie logiciel” dans le but de fournir une solution respectant un budget, des exigences et délais bien précis. Aujourd’hui, le logiciel offre un nouveau cadre à l’innovation afin de répondre à une unique question: comment créer de la valeur avec un logiciel?

La question n’est pas de savoir si un logiciel peut rendre votre activité innovante, mais quand il transformera votre secteur d’activité. Le logiciel n’est plus un secteur en soi, toute entreprise étant une entreprise logicielle; c’est “la nouvelle norme”.

Omar Mohout

conseiller et “growth engineer” au Sirris