Fluicity: pas de participation citoyenne sans tiers de confiance?

Pratique
Par Jean-Luc Manise · 07/09/2018

Enragez-vous! C’est en juin dernier que s’est clôturée la première phase d’une vaste campagne d’agitation citoyenne menée dans les 27 communes du Brabant wallon. Dans le Hainaut, la ville de La Louvière propose à ses habitants de donner leur avis, d’adresser des idées sur la façon dont ils imaginent leur ville.

La consultation court de juillet à décembre 2018. Tout comme à Aubange, Wavre, Etherbeek, Ecaussines, Rixensart, Woluwe-Saint-Pierre ou Saint-Ghislain, le volet numérique de ces 2 projets passe par la plate-forme d’un Fluicity qui se profile comme le chevalier blanc de la participation citoyenne numérique.

“Bonjour Jean-Luc. Je suis Julie, fondatrice de Fluicity. Toute mon équipe et moi-même vous souhaitons la bienvenue sur notre application ! Participez directement au débat public sur l’espace de Enragez-vous, grâce à des actions qui font évoluer votre territoire : publiez vos propres idées citoyennes et votez pour les idées des autres citoyens. Notre but, parvenir à concrétiser ensemble des idées qui ont de l’impact.”

Ce message automatique signé par Julie de Pimodan, fondatrice et CEO de Fluicity, lors de l’inscription sur la plate-forme donne le ton des “civic tech”. Le business model: la démocratie participative en continu, la voix rendue au citoyen. Un nouveau business model est en train de naître, qui bouscule la conduite des relation avec les habitants.

Enragez-vous: 5.355 votants dans 27 communes

En Belgique, la première commune à avoir franchi le pas avec Fluicity est Aubange. Les deux références les plus récentes de Fluicity sont la ville de La Louvière et le mouvement de société civile Enragez-vous. Une vingtaine d’associations et mouvements d’éducation permanente reconnue par la Fédération Wallonie Bruxelles ont proposé, de janvier à juin 2018, une “semaine d’agitation citoyenne” dans chacune des 27 communes du Brabant wallon.

Fluicity, une start-up franco-belge

Fluicity est né en France en 2015 à l’initiative de Julie de Pimodan, Nicolas de Briey et Jonathan Meiss. En 2016, la société a réalisé un chiffre d’affaires de 40.000 euros. En 2017, la société a levé 900.000 euros auprès de la Banque française Publique d’Investissement (BPI) et d’investisseurs privés.
Ces fonds ont été injectés dans l’amélioration de la plate-forme, notamment via un partenariat en Belgique avec Itsme. L’autre chantier porte sur le back-office, notamment sur la restitution des données en open data.
Société de droit français, Fluicity se considère comme franco-belge. “Julie est française, Jonathan franco-belge et moi belge”, confie Nicolas de Briey. “Si notre premier client se trouve France, on est à parité sur les deux territoires, avec de belle références en Wallonie et à Bruxelles. Nous avons vocation à nous tourner vers l’international.”

Quels sont les défis et les enjeux des communes pour les années à venir? Quelles en sont les merveilles, les beautés, les réalisations dont les habitants sont fiers et qu’ils souhaitent partager avec les habitants des autres communes? Telles sont les deux questions centrales, le fil rouge du cheminement de la campagne “Enragez-vous“ animée par le Centre Culturel du Brabant Wallon. Débutée le 15 janvier à Rixensart, les consultations se sont terminées le 24 juin à Braine-l’Alleud. Les citoyens ont pu voter, physiquement ou en ligne, via Fluicity. Les résultats sont impressionnants: 15.000 personnes rencontrées, 21.888 défis et merveilles récoltés et 5.355 votants recensés dans les 27 communes de la Province. Pour chacune des communes, 5 merveilles et 5 défis ont été dégagés.

D’août à octobre, cette liste sera proposée comme sujet dans les débats électoraux qu’organiseront Radio Antipode, TV Com et Radio 27. De novembre à décembre 2018, les organisateurs évalueront comment ces thématiques seront ou non intégrées dans les programmes et ensuite dans les accords de majorité de chacune des communes. 

Les vertus d’une jeune pousse

La collaboration entre la campagne Enragez-vous et Fluicity vient du contrat que la start-up a décroché auprès de la Ville de Wavre. 

Stéphane Vanden Eede, chargé de mission pour la campagne Enragez-vous: “Au début du projet, on pensait tout faire nous-mêmes avec un volet numérique réduit à son minimum, juste pour donner la possibilité aux internautes de donner leur avis.

Stéphane Vanden Eede (campagne Enragez-vous): “Fluicity est une jeune pousse, avec très peu d’ancrage en Belgique. On avait le sentiment que les deux parties pouvaient apporter quelque chose à l’autre.”

Notre campagne cible les personnes les plus éloignées de la politique et nous pensons que celles-ci ne se trouvent pas sur Internet. On est allé à la rencontre des gens, commune par commune.”

Entre-temps, Fluicity avait signé avec la commune de Wavre. Les responsables de la campagne ont dès lors changé leur fusil d’épaule, estimant que travailler avec la start-up “pourrait favoriser les relations avec les autres communes. L’autre raison qui nous a poussé à prendre contact avec eux, c’est que Fluicity est une jeune pousse, avec très peu d’ancrage en Belgique. On avait le sentiment que les deux parties pouvaient apporter quelque chose à l’autre. On s’est rencontrés en novembre et on a finalisé le contrat en décembre.“ 

“Devenez acteur de votre ville”

A La Louvière, Fluicity faisait partie du package proposé par le bureau d’études BDO pour la campagne “Devenez acteur de votre ville”. Thomas Gayzal, manager secteur public chez BDO: “Notre cabinet a été mandaté par la ville pour coordonner une série de projets visant à mobiliser le citoyen dans la définition et la mise en œuvre de différentes actions.”

Le premier projet vise la commémoration des 75 ans de la déclaration universelle des Droits de l’homme ; le second, les assises de la jeunesse ,qui mobilisent depuis plusieurs années les jeunes autour de thématiques particulières. Le troisième porte sur un processus d’assises citoyennes organisées autour de ce que pourrait être demain la ville de La Louvière, les projets qu’on pourrait envisager et dans lesquels les habitants pourraient mettre la main à la pâte.

Thomas Gayzal (BDO): “Surtout permettre aux citoyens de rester informés sur l’état d’avancement d’un projet. Il est important que la ville puisse répondre aux idées émises. Cela peut devenir un canal direct de communication.”

“Lorsqu’on a reçu l’appel d’offres, on s’est rapproché de Fluiciy. Il nous semblait que la plate-forme répondait à tous les besoins identifiés par la ville, que ce soit pour mettre les gens en relation autour d’un projet commun ou pour participer en donnant leur avis et, surtout, en restant informés sur l’état d’avancement d’un projet. Il est important que la ville puisse répondre aux idées émises. Cela peut devenir un canal direct de communication.”

Deux grands axes

La plate-forme Fluicity se structure autour de deux grands axes. “Le premier se centre autour de la boîte à idées”, explique Nicolas de Briey, co-fondateur de la société. “Elle permet au citoyen de s’exprimer, puis de faire remonter les propositions dans les processus habituels de traitement de dossier d’une collectivité. 

L’autre volet touche l’aspect consultation, enquête et sondage. Via la plate-forme, la commune peut directement prendre le pouls de la population. Pas besoin de contacter une agence ou de faire un micro trottoir. L’outil est là, les résultats sont facilement accessibles et cela garantit une transparence et une restitution correcte après des citoyens.”

De facto, les utilisateurs mélangent l’ensemble. “A Wavre, un budget participatif de 50.000 euros est disponible pour l’aménagement d’aires de jeux. La première phase a porté sur un appel à idées. Une quarantaine de propositions ont été formulées. La ville travaille actuellement sur une sélection via un comité. Elle sera soumise ultérieurement aux votes pour choisir le projet qui sera financé.”

Cadrer la participation citoyenne

Le business model de Fluicity repose sur un forfait annuel d’abonnement qui donne accès à la plate-forme ainsi qu’à un service de modération et de maintenance.

Nicolas de Briey: “La modération fait partie de nos services. On a une charte de déontologie construite avec l’ensemble des utilisateurs. Quand il y a un souci, on prend contact avec le citoyen, on lui explique éventuellement le problème, on lui demande de reformuler. Cela nous permet de vraiment cadrer la participation citoyenne.

Pour le reste, il s’agit d’un travail d’inspiration, de gestion de communauté. Nous voulons bâtir une expérience citoyenne forte. Il faut que les utilisateurs enregistrés reçoivent régulièrement des résumés des projets qu’ils suivent, de l’actualité des espaces dans lesquels ils sont inscrits. On l’encourage à s’exprimer.”

Nicolas de Briey (Fluicity): “Nous voulons bâtir une expérience citoyenne forte. Il faut que les utilisateurs enregistrés reçoivent régulièrement des résumés des projets qu’ils suivent, de l’actualité des espaces dans lesquels ils sont inscrits. On les encourage à s’exprimer.”

Le futur? Nicolas de Briey: “Encourager la participation, cela peut se faire ailleurs que dans les villes. Si l’on place le citoyen au coeur de la gouvernance, on peut faire la même chose pour les travailleurs. Nous visons aujourd’hui en particulier les organisations qui ont une mission sociale ou environnementale, comme Médecins Sans Frontières à Genève qui vient de signer avec nous. L’ONG compte 40.000 médecins. Ils ont chacun une voix. MSF veut rendre sa gouvernance plus démocratique.” La plate-forme devrait être opérationnelle l’année prochaine.