Accetics: autonomie accrue pour déficients visuels

Pratique
Par Brigitte Doucet · 21/05/2012

Même habituées à leur handicap et aux problèmes qu’il leur pose au quotidien, les déplacements des personnes souffrant de déficiences visuelles sont pour elles un véritable parcours permanent d’obstacles. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de leur procurer des solutions qui améliorent tout à la fois leur autonomie, leur confort et leur sécurité. Un projet-pilote, basé sur des balises radiocommandées et un système de synthèse vocale, a été déployé en gare de Namur par Accetics, jeune spin-off des FUNDP.

Alliant compétences médicales et psychologiques et maîtrise technologique, Accetics est une spin-off du département Psychologie des Facultés universitaires de Namur (FUNDP), connu pour ses études en matière de technologies ICT adaptées aux personnes en situation de handicap et sa collaboration avec le CRETH (Centre de ressources et d’évaluation des technologies pour les personnes handicapées). Accetics s’est spécialisée dans les solutions d’accessibilité aux espaces publics et aux bâtiments ouverts au public afin de permettre aux personnes handicapées de mieux vivre leurs activités au quotidien.

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Michel Grawez: “Souvent, les groupes de travail qui planchent sur des projets n’attirent que des personnes ayant un niveau de compétences qui ne correspond pas à la majorité des gens. On aboutit dès lors à des solutions technologiques inadaptées.”

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Le premier projet de développement réalisé porte sur la mise en oeuvre de balises radiocommandées aidant les malvoyants à s’orienter dans un espace déterminé. Michel Grawez, chercheur et chargé de cours aux FUNDP, a en effet identifié, dans ce domaine, un besoin pressant qui ne trouve pas encore de réponse en raison d’une faiblesse directive de la législation. “80% des articles du code wallon d’aménagement du territoire concerne les PMR (personnes à mobilité réduite) mais ce concept est trop restrictif. Il concerne essentiellement les personnes se déplaçant en chaise roulante ou ayant des difficultés de déplacement physique. Seulement 13% des articles s’intéressent aux déficients visuels, 7% aux déficients auditifs. Tous les autres types de difficultés d’accès qu’éprouvent les usagers sont oubliés: handicapés mentaux, illettrés, personnes ne parlant pas la langue de l’endroit…”

Guidage pour déficients visuels

La solution imaginée par Accetics permet aux personnes mal- ou non-voyantes de s’orienter efficacement dans un espace (ouvert ou fermé). Le site choisi pour le projet-pilote fut la gare de Namur. Pour plusieurs raisons: la complexité relative de l’endroit, son caractère “challenging” (bruit ambiant, multitude de personnes, trajets de déplacement hautement variables…) et son importance évidente pour l’autonomie au quotidien des déficients visuels.

“En termes d’accessibilité physique, la gare est bien équipée mais les personnes souffrant de déficiences visuelles, auditives ou de communication n’y trouvaient toujours pas trois types d’assistance: des informations pour s’orienter dans la gare, du fait qu’elles ne peuvent s’en faire une représentation mentale; des informations leur permettant de localiser certains “points d’intérêt” (entrées, toilettes, …) ; et des informations temps réel leur indiquant quel train arrive sur quel quai à quelle heure… L’annonce est certes faite par haut-parleur mais le message est parfois difficile à comprendre, se perd dans le brouhaha général…”

Guidance audio

Le dispositif mis en oeuvre par Accetics allie des balises sonores (bornes) placées en divers endroits-clés de la gare (entrées et sorties des quais, toilettes, Travel Center…) qui diffusent à la demande les messages vocaux de localisation ou d’orientation, une télécommande personnelle qui, via radiofréquences, déclenche la diffusion du message par la borne, et un plan “multisensoriel” du bâtiment.

Ce pupitre, placé à l’entrée de la gare, procure des indications tant visuelles (indications aux contrastes accentués) que sonores (via haut-parleur) ou tactiles (braille et inscriptions en relief).

Dès qu’une personne se trouve à proximité d’une borne, il lui suffit de pousser sur le bouton de sa petite télécommande personnelle afin d’activer la borne. Sur le plan multisensoriel, l’annonce du message se déclenche en appuyant sur un bouton-poussoir.

“La phase-pilote a permis de démontrer les avantages de la solution: autonomie renforcée des déficients visuels, gain de temps énorme pour eux puisqu’ils ne doivent plus réserver une assistance humaine, qui plus est 24 heures à l’avance. De même, c’est un gain de temps et d’argent pour la SNCB. Sur base des propres statistiques de la SNCB, nous avons pu démontrer que l’investissement (1.200 euros par balise, 30.000 euros pour la totalité de la solution, maintenance sur trois ans comprise) serait rentabilisé en moins de 3 ans. En un an, la gare de Namur reçoit plus de 1.000 demandes d’assistance de la part de déficients visuels. A raison de 20 minutes d’assistance par demande et un coût de 30 euros par heure, le coût annuel de l’assistance humaine est de plus de 10.000 euros…”, a calculé Michel Grawez.

15 balises sonores ont été installées à la gare de Namur. La prochaine étape du projet portera sur l’activation de la lecture vocale du panneau d’affichage (horaires des trains, destinations, quais, retards, changements éventuels…) et ce, dès que la SNCB aura communiqué son protocole IT à Accetics pour adapter les balises en conséquence.

N’oublier personne

Michel Grawez a voulu mettre au point une solution la plus simple, conviviale et abordable possible (même si des versions plus élaborées des télécommandes et bornes par exemple existent et pourront être déployées selon les besoins ou préférences). Mais pour lui, “la technologie est et doit rester un simple outil. Je veux que les solutions soient simples, sobres, costaudes et non coûteuses.” Et soient utilisables par tous les usagers potentiellement visés. Or certains obstacles au déploiement de solutions plus élaborées subsistent. Tant en termes budgétaires que purement technologiques.

Les systèmes plus élaborés, tels les systèmes GPS ou les smart phones sont certes utiles mais, insiste-t-il, ils posent potentiellement le même problème fondamental que le braille par exemple: “Moins de 20% des non-voyants lisent le braille. De même, les systèmes GPS avec commande vocale ne sont utilisés que par une minorité de personnes, qui ont développé une certaine expertise dans leur manipulation. Le problème vient du fait que les groupes de travail qui planchent souvent sur des projets n’attirent que des personnes ayant un niveau de compétences élevé qui ne correspond pas à la majorité des gens. Les personnes moins capables ne viennent pas travailler à la méthodologie et à la conception de la solution. On aboutit dès lors à des solutions technologiques inadaptées.”

La version de base de la solution se compose donc d’un petit boîtier de commande dont la seule fonction est de déclencher les balises et de ces bornes. Deux fournisseurs, français, ont été identifiés par Accetics: EO et Phitech. Ce dernier équipe déjà la totalité des gares de la ligne TGV Est (Paris-Strasbourg).

Une version plus élaborée met en oeuvre des bornes EO, dotées d’un micro d’ambiance qui permet ainsi d’adapter automatiquement le niveau sonore du message diffusé au degré de bruit ambiant (densité de voyageur, moto pétaradant dans la rue…). Par comparaison, la borne Phitech ne permet que de réécouter le message en repoussant sur le bouton de la télécommande si le message a mal été compris la première fois.

Une version plus élaborée de la télécommande existe également, qui inclut un petit haut-parleur pouvant réceptionner (via connexion Bluetooth) le message de la borne et le lire à la personne. En même temps d’ailleurs qu’un message dit secondaire qui comporte plus de détails (informations d’orientation, de sécurité). Ce message secondaire servira aussi pour la lecture du panneau d’affichage des départs qui pourra également se faire sur smart phone, Accetics fournissant alors à la personne une appli gratuite qu’elle pourra installer sur son appareil.

Placées à des endroits stratégiques, les balises guident les déficients visuels

La mise à jour des messages des bornes se fait de manière individuelle, via un PC mobile équipé en Bluetooth qu’il faut donc promener de borne en borne. “Des bornes en réseau existent également mais sont plus onéreuses” (toujours cette volonté de rendre la solution la plus abordable possible, à la fois pour l’usager et pour l’organisme qui les installe). “De plus”, ajoute Michel Grawez, “les mises à jour de la banque de messages étant rares, ce surcoût ne se justifie pas.”

Autre raison pour laquelle Accetics ne privilégie pas pour l’instant les solutions plus évoluées: le manque de normalisation en matière de matériels équipés en Bluetooth. “Chaque fournisseur utilise une fréquence qui lui est propre, contrairement au dispositif de base (entre télécommande et balise Phitech) qui utilise la bande de fréquences 868,3 MHz, une norme réservée spécifiquement aux personnes à déficience visuelle. Le système EO, lui, ne déclenche pas les balises installées dans la gare. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous concentrons l’essentiel du message au niveau des balises et non de la télécommande, afin que tous les usagers puissent être utilement informés. J’espère que ce problème de normalisation progressera rapidement mais dans l’état actuel des choses, les associations de handicapés ont encore peu de poids dans la balance…”.

L’oiseau quitte le nid

Après deux ans de “cocooning” au sein des Facultés (comme le prévoit le programme First Spin-Off), Accetics est devenue une réelle entreprise en ce mois d’avril, prenant le statut de SPRL-FS (sprl à finalité sociale). Il lui faut donc désormais penser commercialisation.

Après la gare de Namur, d’autres gares pourraient s’équiper, la SNCB voyant potentiellement dans ce système une solution intéressante pour améliorer les conditions d’accessibilité de ses sites. Mons, par exemple, pourrait suivre. “Mon message est simple”, déclare Michel Grawez. “Il ne faudra sans doute pas attendre longtemps avant que la législation européenne se rapproche de celle de la France, beaucoup plus favorable aux personnes handicapées. Je dis donc à tous les sites et opérateurs concernés: faites le premier pas, soyez les premiers, anticipez ce qu’exigera demain l’Union européenne.”

La STIB, elle aussi, est intéressée et a demandé une solution quadrilingue (celle conçue pour la gare de Namur n’existe pour l’instant qu’en français) en vue d’équiper les stations de métro. A noter que la technologie de synthèse vocale utilisée sur les balises (et télécommandes) est belge puisqu’il s’agit de la solution Acapela.

Autres sites potentiels: des centres de congrès voire des sites en air libre comme le planifie d’ailleurs déjà la ville de Namur qui va installer 11 balises en divers points d’intérêt afin de constituer un “parcours structurant” allant de la gare à la Maison de la Culture (rue de l’Ange, arrêt de bus, hôtel de ville, théâtre…). Les messages diffusés permettront de se situer dans l’espace mais aussi d’être averti de changements de situation de sécurité (fin d’une zone piétonne, carrefour…).