La coopérative Nubo lance des services mail et cloud éthiques

Portrait
Par Jean-Luc Manise · 22/02/2022

Nubo, jeune coopérative bruxelloise, propose depuis le début de cette année des services en-ligne respectueux de la vie privée, garantis sans publicité ni pistage, le tout via logiciels libres. Son slogan: reprenez le contrôle de vos données personnelles à partir de 3,5 euros par mois. 

Actuellement disponible en français et néerlandais, la plate-forme mise une partie de sa pérennité sur une extension de son groupe-cible.

Premier public-cible: les associations qui lui ont donné naissance (à savoir, Abelli, Cassiopea, Domaine Public, Nestor, Neutrinet et Tactic) et les coopérateurs qui en sont membres. Elle en compte actuellement 641 (pour un total de 5.473 parts). Environ la moitié de ces coopérateurs sont devenus utilisateurs entre le go de départ, en janvier 2022, et la mi-février.

Mais ce n’est et ne sera évidemment pas suffisant. Pour dynamiser son marché, Nubo va planifier en juin prochain un banc de test auprès du grand public pour peaufiner son interface et accompagner au plus près d’un public qui n’est pas encore très sensibilisé aux enjeux de protection des données et de la vie privée.

Son business plan prévoit également de porter la plate-forme vers l’anglais (à la rentrée de septembre) et de produire une documentation d’installation et une publication structurée du code et de la configuration de sa solution afin de permettre à d’autres opérateurs de la répliquer et de se lancer très rapidement sur ce marché (selon le concept d’essaimage du réseau européen Chatons – un réseau d’hébergeurs alternatifs que nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter).

Pour ces trois objectifs, Nubo a introduit une demande de financement auprès d’Innoviris dans le cadre de l’appel à projets “Prove Your Social Innovation”. La décision est attendue courant mars.

Formule coopérative 

L’originalité du projet industriel Nubo est de proposer des services numériques essentiels (mail et cloud) selon une formule coopérative. Les utilisateurs de Nubo ont accès à une adresse mail et à un espace de stockage en-ligne couplés à des services associés (partages, synchronisation) ainsi que des services annexes tels que la gestion de calendrier, de carnet d’adresses, de sondages et de la visio-conférence.

Le parcours de Nubo

En 2017-2018, Nubo a participé au programme Seeds de CoopCity, centre d’accompagnement à l’entrepreneuriat social, basé à Saint-Gulles, qui soutient le développement et la structuration de projets d’économie sociale.
Dans la foulée de la participation à ce programme, les six associations fondatrices (pour rappel: Abelli, Cassiopea, Domaine Public, Nestor, Neutrinet et Tactic) ont donné naissance à Nubo en janvier 2019.
En décembre de la même année, Nubo atteignait son objectif de campagne, réunissant plus de 65.000 euros de capital et ce, uniquement via achat de parts par des personnes physiques ou morales.
En avril 2020, la barre des 100.000 euros de capital était dépassée avec plus de 4.000 parts acquises depuis les débuts de la coopérative. Depuis juillet 2020, l’équipe de la coopérative comptait deux mi-temps: un profil technique (Stijn Vanhandsaeme) et un profil communication (Emma Kraak).
En septembre 2020, la barre des 500 coopérateurs et coopératrices est dépassée et Nubo organise sa première grande assemblée générale (en-ligne) qui valide une première version des conditions générales d’utilisation. En mai 2021, les serveurs sont installés dans le centre de données. Les mois suivants sont consacrés au développement de l’interface utilisateur et aux tests.

Fournir ces services demande d’assurer la gestion technique des serveurs (trois systèmes installés chez l’hébergeur Internet All2All, basé à Zaventem voir l’encadré en fin d’article) et des logiciels (exclusivement des solutions libres existantes et déjà fonctionnelles) à partir desquels Nubo doit créer des intégrations et des interfaces de gestion et d’utilisation.

Comment la coopérative Nubo envisage-t-elle, voire planifie-t-elle, sa pérennité et sa subsistance financière?

En terme d’objectif de viabilité, la coopérative se base sur le fait qu’elle devient économiquement pérenne à partir de 2.000 abonnés. Son business plan table sur 250 abonnements en janvier 2022 (pour un montant moyen de 4 euros) et sur un rythme de 60 nouveaux abonnées par mois à partir de février 2022 pour atteindre les 2.300 clients d’ici 2024.

En parallèle, Nubo continuera à chercher à convaincre de nouveaux adhérents à rejoindre un projet inédit en Belgique. Agnez Bewer, membre fondatrice de Nubo: “L’innovation sociale de Nubo porte sur son modèle participatif, transparent, ouvert et démocratique. Il offre à ses utilisateurs la possibilité, mais sans obligation, d’être co-propriétaire de la solution technique qu’ils utilisent. Ils ont la garantie qu’elle respecte leur vie privée et que le code est ouvert, et donc disponible à d’autres opérateurs qui pourront s’appuyer sur le travail effectué pour se lancer plus rapidement sur le marché d’un numérique en circuit court, respectueux de la vie privée.”

Pour élargir son assise, la coopérative doit ouvrir ses services au grand public, au-delà de sa première cible de coopérateurs. “C’est dans cet objectif que nous voulons organiser en juin prochain un banc de tests massif auprès d’un échantillon d’utilisateurs grand public pour adapter la plate-forme aux personnes non sensibilisées et communiquer avec elles de façon adéquate afin de les sensibiliser aux valeurs portées par Nubo.

Nous voulons convaincre un maximum d’entre elles de faire la transition vers une plate-forme numérique éthique et solidaire et les accompagner. Toujours pour élargir notre assise, nous allons à la rentrée, traduire nos services vers l’anglais pour toucher la communauté anglophone de Belgique et nous projeter vers l’international.”

80% des gens prêts à payer pour des services éthiques

Dès 2018, Nubo effectuait une étude de marché et de faisabilité qui allait servir de base à son business plan.

Agnez Bewer (Nubo): “La coopérative offre à ses utilisateurs la possibilité, mais sans obligation, d’être co-propriétaires de la solution technique qu’ils utilisent. Il ont la garantie qu’elle respecte leur vie privée.”

“À la fin 2017, nous avons ouvert un questionnaire destiné aux potentiels utilisateurs et utilisatrices de Nubo”, explique Agnez Bewer, membre fondatrice de Nubo (pour Abelli), créatrice de sites Internet, adepte de la culture du partage et des logiciels libres (elle est notamment membre de Creative Commons Belgique et active dans les Samedies).

“Les questions portaient sur la recherche de services en-ligne permettant de garder le contrôle sur ses données. Près de 600 personnes ont répondu à l’enquête en quelques semaines. Une grande partie des répondants ont indiqué qu’ils étaient à la recherche de services alternatifs de cloud et de mail (93% et 88%) et 80% de gens sont prêts à payer pour des services éthiques en-ligne.”

L’étude a permis de faire émerger trois types de publics: les utilisateurs engagés, les personnes sensibilisées et les non-sensibilisés.

“Les personnes engagées connaissent les logiciels libres et leurs enjeux techniques. Elles sont sensibles aux questions politiques et sociétales en matières numériques. Nubo complète les outils qu’elles ont déjà pour des services alternatifs. La coopérative permet d’avoir moins de maintenance à faire ou de proposer des solutions concrètes à des proches.

Les personnes sensibilisées sont conscientes qu’il y a une autonomie numérique à retrouver et une vie privée à protéger, mais elle ne savent pas à qui s’adresser. Elles utilisent les outils au quotidien, dans leur vie professionnelle et privée. La coopérative les accompagne dans leur émancipation technique.

 

Agnez Bewer (Nubo): “Gagner progressivement l’adhésion du grand public par le biais d’une communication adaptée et d’une expérience de migration rassurante et positive.”

 

Les personnes non sensibilisées utilisent des technologies et ont entendu parler des menaces sur la vie privée et les libertés. Toutefois, les démarches d’émancipation leur échappent encore. Les projets tels que Nubo les intriguent mais il faut les convaincre. La coopérative doit gagner ce public progressivement par le biais d’une communication adaptée et d’une expérience de migration rassurante et positive.”

Coup d’oeil sur les solutions utilisées

Les services Mail et Cloud de Nubo sont installés sur trois serveurs configurés en grappe, associés à un système de fichiers distribué open source (GlusterFS) et une base de données synchronisée (MariaDB). Ces systèmes sont hébergés dans le centre de données d’All2All à Zaventem.
Gluster permet d’agréger la capacité disque des différents nœuds du cluster et répond ainsi à deux problématiques majeures dès qu’une application a besoin de pouvoir monter en charge: la parallélisation et la réplication du stockage.
La solution a été pensée pour pouvoir grandir facilement.. En cas de besoin de puissance supplémentaire, il suffit d’ajouter une machine et de l’intégrer pour que les requêtes soient réparties d’un serveur à l’autre en fonction de la charge de chacun. Cela ouvre la porte à de la haute disponibilité et à de l’évolutivité à la demande.
Parmi les autres solutions open source mises en oeuvre par Nubo, citons par exemple le système de synchronisation de données Gluster, les outils de synchronisation Redis, les solutions Nginx, PHP et Haproxy (serveurs Web et équilibrage de charges), de la messagerie MailCow, le webmail Roundcube, l’anti-virus Clamas, l’anti-spam Rspamd, le gestionnaire de certificats Certbot, le logiciel de sauvegarde Bareos Backup, les outils de gestion CiviCRM et Odoo (comptabilité et facturation)…