Shenzhen “learning expedition”: from copycat to worldwide leader

Hors-cadre
Par Gregory Mestrone · 08/08/2018

En juin, pendant une semaine, Gregory Mestrone, coordinateur Digital@Solvay et depuis peu Digital Wallonia Champion, a participé à un voyage d’exploration à Shenzhen organisé par Innocherche, “réseau de veille” en innovation technologique (d’origine française mais disposant d’une antenne belge depuis 2017).

Deux ans après une “learning expedition similaire dans la Silicon Valley californienne, le but, cette fois, était de découvrir cet écosystème chinois. Il le décrit comme “fast and furious” eu égard à la mentalité, aux moyens humains, financiers et de mise en oeuvre dont cette ville chinoise dispose afin d’être ultra-rapide sur le marché des produits technologiques de consommation.

Récit d’une semaine “d’ouverture d’esprit et d’inspiration”.

Pendant cinq jours, notre groupe de 9 personnes, de fonctions différentes, a pu rencontrer de nombreuses entreprises ainsi que des entrepreneurs actifs localement. A chaque visite, l’étonnement a été au rendez-vous, du fait du pragmatisme chinois illustré par cette phrase fétiche: “In Shenzhen, we make it happen quickly”.

Difficile de résumer cette expérience en quelques phrases mais voici une synthèse des principales informations pertinentes retenues au fil de cette semaine dans un contexte inspirant.

L’innovation et la R&D sont intensivement au coeur des activités des entreprises. Shenzhen est appelée la Silicon Valley du hardware tant tous les composants de la supply chain sont réunis géographiquement afin de permettre de mettre en oeuvre rapidement l’innovation, le prototypage et la production en masse afin de livrer, à grande échelle, les clients dans des temps record, à des prix compétitifs.

La technologie “pousse” les besoins

Sur place, nous avons pu nous rendre compte que la Chine est plus que l’usine du monde – cf. l’enquête de Roland Berger citée dans le journal Les Echos du 20 juin 2018. Selon cette étude, 61% des entreprises européennes implantées en Chine estiment que les sociétés chinoises sont autant, voire plus innovantes que leurs homologues européennes.

A Shenzhen, entre l’idée, le prototypage, la mise en production et la vente sur des plates-formes en-ligne, il ne s’écoule que de 3 à 12 mois en fonction des produits – avec parfois plusieurs itérations entre la société et leurs clients.

Il arrive qu’une première version soit produite et mise à disposition (quasi) gratuitement en ligne. Des clients essaient le produit et le critiquent ou le renvoient en cas de défaut mais il n’y a pas vraiment de mécontentement du fait de la (quasi) gratuité du produit.

L’entreprise tient compte très rapidement des aménagements à réaliser pour l’améliorer. Après modification, le produit est mis en vente pour un prix très bas et fait l’objet d’une nouvelle vague de feedback et de retour. Cela permet de créer la troisième version du produit qui sera facturée à un prix correspondant au marché mais qui sera fiable et apprécié par les utilisateurs.

A Shenzhen, il n’y a pas de user experience préalable avant de lancer un produit sur le marché on-line. Si le produit ne correspond pas aux besoins des utilisateurs, il est rapidement abandonné.

Dans ce contexte, la technologie “pousse” les besoins. Dans certains cas, il n’y a pas de user experience préalable avant de lancer un produit sur le marché on-line. Dans le cas où le produit ne correspond pas aux besoins des utilisateurs, celui-ci est rapidement abandonné mais, comme nous l’a fait remarquer plusieurs entrepreneurs, “China is big…” et il reste encore le monde entier…

La leçon ‘fail fast’ est rapidement retenue et permet de rebondir sur d’autres idées et autres produits. La compétition est très féroce entre les entreprises chinoises, les entreprises qui émergent de ce marché ont de fortes chances d’être compétitives sur le marché mondial.

L’Empire du Milieu… online

Les entrepreneurs chinois misent beaucoup sur les ventes on-line car pour eux les canaux traditionnels sont très (trop) lourds et très onéreux à gérer. De nouveaux business models sont en cours de mondialisation comme le prouve la plate-forme Xiaomi ou encore l’installation d’un centre Alibaba à Liège.

Les chiffres datent de 2015 mais sont révélateurs du poids que représente WeChat en Chine… Source: Tencent (WeChat Life Report).

Xiaomi collabore avec des entreprises capables de lui fournir des objets qui peuvent se connecter entre eux, à des prix compétitifs. Cette collaboration permet de mettre en vente ces produits en ligne avec un faible pourcentage de revenu pour Xiaomi mais, du fait de leur qualité et de leur fiabilité, le nombre de commandes permet de gagner beaucoup d’argent et de réinvestir dans d’autres produits.

Wechat est au centre des relations humaines et commerciales en Chine. Pour les Chinois qui ont un compte bancaire en Chine et un numéro de téléphone chinois, cette application mobile est extraordinaire. Plus besoin de liquidités ou de carte de crédit… tout se fait, se commande et se paie avec Wechat, que cela soit un repas, la location d’un vélo partagé, le taxi ou encore un achat en magasin. Pour une personne non chinoise, les fonctionnalités sont assez limitées mais nous avons été impressionnés par la puissance de cet outil, démontrée par nos interlocuteurs chinois.

Changement de paradigme

Les salaires chinois augmentent progressivement et les bas salaires sont réglementés. La productivité dans le région de Shenzhen reste cependant un atout. Nous avons pu voir à l’oeuvre des travailleurs chinois dans des usines mais nous avons aussi pu constater à quel point la technologie est évoluée dans certaines entreprises notamment dans les registres de la robotisation, de la reconnaissance faciale et de la smart city.

Des caméras, qui sont installées en très grand nombre, permettent de suivre et de reconnaître les individus, les (moto)cyclistes et les automobiles de manière automatisée. En matière de gestion de parking, de trafic, de gestion énergique, les démonstrations de smart city ont été impressionnantes. Elles visent à permettre très bientôt une meilleure gestion de la fluidité de la circulation ainsi que son contrôle tout en répondant à la demande énergétique des villes.

“Après avoir discuté avec des entreprises de pointe au niveau technologique telles que Huawei, il apparaît clairement que le futur de nos activités passera par la vidéo couplée à l’intelligence artificielle.

La policière peut reconnaître n’importe qui grâce aux photos biométriques. Mais le petit côté Big Brother ne s’arrête pas là. L’intégration est poussée très loin puisque, via Wechat, un contrevenant qui brûlerait par exemple un feu rouge verrait immédiatement le montant de l’amende être débité de son compte bancaire et une mention de son infraction ajoutée à son profil… Après 2 ou 3 infractions du genre, le banquier refusera par exemple d’accorder un prêt à cette personne du fait qu’elle n’est pas considérée comme fiable puisqu’ayant enfreint la loi…

Dans certaine villes chinoises, c’est déjà le cas dans le contexte de la sécurité et des infractions commises par des individus ou des véhicules grâce aux nombreuses caméras installées.
Des développements sont en cours également concernant la gestion des ressources humaines tant au niveau du recrutement que de la formation. La reconnaissance des mouvements du corps et du visage, les mots utilisés – comparés avec les données disponibles sur le Net – peuvent donner des indications sur le niveau de correspondance du candidat par rapport à la fonction proposée par l’entreprise ou à son niveau d’accomplissement de la formation…”

La nouvelle génération chinoise est assez différente des anciennes générations. Les jeunes gagnent beaucoup d’argent, beaucoup plus vite que leurs aînés, et la consommation est dopée par l’offre des produits de consommation.

La génération active actuelle veut se démarquer de la précédente en achetant des produits originaux, ne plus seulement copier mais développer leurs business et étendre leurs activités dans le monde entier.

Si nous prenons l’exemple du top 5 de parts de marché mondial de la téléphonie mobile, Samsung reste en tête avec 22% mais Apple, avec 12,4%, est talonné de près par trois sociétés chinoises: Huawei (10,4%), Oppo (8%) et Xiaomi (7,4%).

Ces dernières ne font qu’augmenter leur part de marché et dépasseront sans doute très prochainement Apple. Leur ambition sera de rejoindre Samsung dans les prochaines années.

Une ambition qui s’expose

A Shenzhen, la vision et les objectifs des entreprises visitées sont très clairement exprimés. Elles utilisent des slogans du genre “constructifs” afin d’obtenir la pleine puissance de l’engagement et la productivité de leur personnel et de donner l’envie à leurs clients. Des exemples? “Find what you love”, “Technology changes live”, “Construct your dream”, “Power your life, anytime, anywhere”, etc.

Le développement durable devient une priorité du développement et de l’innovation en Chine car la population, les entreprises et le gouvernement sont devenus très concernés par la protection de la nature et la maîtrise de la pollution.

Après une période de copie des meilleurs produits à l’échelle mondiale, les entreprises chinoises sont en train d’exploser le nombre de brevets déposés auprès des offices officiels afin de se protéger des copies internes mais aussi externes. Un nouveau métier très lucratif se développe en Chine: des juristes spécialisés proposent leurs services aux entreprises en échange d’un pourcentage afin de protéger les produits des entreprises face aux copies. De copycats, certaines entreprises chinoises ambitionnent de devenir leaders au niveau mondial. 

Prenons l’exemple des demande de brevets internationaux, témoin d’une forte volonté d’innover et de valoriser l’innovation. Sur la période 2007-2017, la Chine a réussi à placer désormais 3 sociétés parmi les 10 premières entreprises en termes de demandes de brevets internationaux PCT (Patent Cooperation Treaty). Huawei et ZTE se classent respectivement n° 1 et n° 2.

Des juristes spécialisés proposent leurs services aux entreprises en échange d’un pourcentage afin de protéger les produits des entreprises face aux copies.

Il est à noter que l’initiative de recréer la route de la soie sous forme ferroviaire, dénommée “Belt and Road”, progresse rapidement du fait des investissements exclusivement chinois consentis tout le long du trajet. 

D’ici quelques années, ce seront des dizaines de containers qui arriveront très régulièrement en direct de Chine par train à grande vitesse dans différentes régions d’Europe pour délivrer des produits “made in China” avec des conditions et coûts encore plus compétitifs qu’aujourd’hui (les transports aériens et fluviaux sont lourds administrativement, plus coûteux et plus longs).

L’e-commerce sera encore plus efficace, moins cher et la livraison plus rapide qu’aujourd’hui, les produits chinois pourraient être livrés en 5 jours au lieu de plusieurs semaines aujourd’hui.

Sans réseau, pas de business en Chine

Le pouvoir politique chinois pousse, aide et définit les règles pour les entreprises, particulièrement dans l’écosystème de Shenzhen. Pour s’implanter en Chine, vous aurez besoin d’un interlocuteur chinois qui dispose d’un réseau local influent qui vous permettra d’avoir de la visibilité et de la collaboration au niveau local. Sans réseau, pas de business en Chine.   

Au rayon étonnement, voici quelques informations à prendre en compte pour votre visite sur place:

– l’utilisation de l’anglais en dehors du business est une difficulté; mieux vaut être accompagné ou avoir un retranscription en chinois de l’adresse à laquelle vous souhaitez vous rendre;  

– le paiement par carte de crédit en dehors des grandes enseignes n’est pas aisé; il n’y a pas beaucoup de distributeurs automatiques dans la mesure où les Chinois utilisent Wechat pour tous leurs paiements; 

– le Wifi est placé sous contrôle; utiliser Google sans VPN est souvent un défi, du fait du contrôle des accès Internet;

– et… l’alternance entre la chaleur et la climatisation est à gérer en permanence. 

En conclusion de “learning expedition”, on ne peut qu’être étonné de l’état d’avancement de cet éco-système qui produit déjà tant de choses que nous utilisons au quotidien et qui détient le potentiel pour nous fournir à l’avenir encore davantage de produits à des prix encore plus compétitifs grâce aux nouvelles routes qui seront mises en oeuvre.

Pour l’Europe, il est temps de se réveiller, de collaborer entre pays européens et de relever le défi mondial qui est en train de se dérouler sous nos yeux… 

 

 

Gregory Mestrone

coordinateur Digital@Solvay
Digital Wallonia Champion