Quelle analyse faire de la “startup-sphère” numérique wallonne?

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn (Cabinet Valoro) · 11/12/2020

Source: Face Entrepreneurship

On peut commencer par s’émerveiller. Ensuite, constater l’incohérence entre l’émerveillement et les performances. Enfin, s’interroger sur l’envenimation de l’écosystème de l’accompagnement entrepreneurial.

Sur papier, nous sommes très bien dotés. Nous avons tout ce dont nous avons besoin en matière de structures d’appui, à la création, au financement et à la formation, ajoutons les clusters, les Interfaces université-entreprise et divers réseaux formels et informels d’investisseurs et d’intermédiaires spécialisés, sans oublier les médias dédiés exclusivement au secteur numérique.

En Belgique, les porteurs de projet du numérique sont comme “Alice au pays des merveilles”! Nous jouissons dans notre Royaume de toute la panoplie des structures d’accompagnement (incubateurs, accélérateurs, etc.) existantes aux Etats-Unis ou en Israël, mais avec, proportionnellement, beaucoup plus d’argent public injecté directement  (subsides, aides, subventions, primes…) dans la startup-sphère.

Pourtant, les performances de notre écosystème sont, toutes proportions gardées, nettement moins bonnes qu’aux Etats-Unis ou qu’en Israël (pays pourtant plus petit, moins peuplé et moins riche que la Belgique). Disons, de manière « politiquement correcte », que les résultats de notre startup-sphère digitale ne correspondent pas à l’engagement intense, aux efforts volontaires, à la bienveillance sincère des animateurs et acteurs de notre écosystème numérique.

Bref, nous avons tous les ingrédients de la recette mais nous ne savons pas  faire. Quels que soient les critères de comparaison pris en considération (taux de création d’entreprise (1), taux de mortalité d’entreprise, taux de financements réussis, etc.), la Belgique reste en queue de peloton européen. Dès lors, l’impact macro-économique de notre startup-sphère est plutôt chétif, malgré l’imposante et impérieuse présence du dispositif public d’aide à la création et au financement d’entreprises.

Comment expliquer ce gâchis? Deux raisons endémiques dans notre Royaume: trop d’argent public et trop peu de gouvernance !

Un fléau négligé: le tsunami de subsides publics et son corollaire la prolifération des structures et des formes d’accompagnement engendrent une déferlante de “start-ups à la con” qui usent les nerfs et/ou épuisent d’ennui les investisseurs aguerris (“bore-out”des business angels). 

 

“L’impact macro-économique de notre startup-sphère est plutôt chétif, malgré l’imposante et impérieuse présence du dispositif public d’aide à la création et au financement d’entreprises.”

 

Songeons aux week-ends marathons durant lesquels les étudiants se réunissent pour travailler non-stop à des projets de start-ups et échanger avec des “pros”: ces hackathons sont en fait des  mitrailleuses à “bullshit startups”.

L’establishment de la startup-sphère est adepte de la “théorie du ruissellement” qui suppose benoîtement que l’injection massive de fonds publics alimente la startup-sphère numérique. On irrigue l’écosystème du soutien à la création d’entreprise, ça le dynamise et tout le monde y gagne? Bien sûr que non!

Le financement public abondant est autant un bienfait qu’un handicap. Il implique des mandataires publics (il est naturel que des élus veulent vérifier l’utilisation de l’argent des contribuables), et donc des nominations politiques à la tête des structures de soutien entrepreneurial.

Les nominés ne sont pas, ou alors exceptionnellement, les meilleurs postulants et leur médiocrité déteint sur la gestion de ces structures (organisation, mission, recrutement…). Ils sont loin d’être tous des leaders charismatiques, à même de donner une vision enthousiasmante et un élan communicatif à la communauté des acteurs de l’entrepreneuriat. 

Pour être compétitives à l’échelle internationale (remonter dans le classement européen), les structures de l’écosystème des start-ups doivent se doter de leaders originaux, capables de sortir des sentiers battus, de cultiver l’hétérodoxie (vision différente, stratégie différente, modes opératoires différents, mesures des performances différentes…) pour se démarquer.

Un conseil d’administration médiocre engage une direction opérationnelle médiocre qui, elle, recrute des collaborateurs médiocres qui appliquent médiocrement des recettes médiocres..

Donc, ne nous étonnons pas si le cancer de la politisation de notre écosystème rend ses structures peu méritantes. Les inusables référents qui paradent dans les médias ne sont pas des leaders charismatiques, à l’enthousiasme communicatif. Ils ne brillent pas non plus par leur originalité, ce sont parfois de bons gestionnaires administratifs et financiers de la structure qui les emploie, mais possèdent-ils les aptitudes utiles pour porter au firmament la startup-sphère numérique wallonne?

C’est une réalité: l’écosystème de l’accompagnement entrepreneurial doit forcément manquer de compétences pointues, sinon comment expliquer la discordance entre la richesse des outils à sa disposition et la pauvreté de ses performances, si on compare celles-ci à l’aune de ses pairs européens?

Cependant, nos structures d’appui entrepreneurial ne manquent pas d’autonomie ce qui engendre de manière endémique des “baronnies”, des coteries, des prés carrés (ardemment défendus), et concomitamment, empêche toute vision d’ensemble et surtout toute gouvernance globale de l’écosystème d’accompagnement entrepreneurial (2). Le problème d’une autonomie mal comprise et mal appliquée par des directions politisées “médiocres”, c’est qu’elle se vit alors comme un pré carré à défendre.

Trop peu de contrôle 

Trop peu de contrôle des autorités de tutelle et peu ou pas de culture du résultat, c’est le cocktail idéal pour que l’écosystème de l’accompagnement entrepreneurial ne soit pas suffisamment compétitif à l’aune internationale. C’est d’ailleurs un paradoxe de la startup-sphère belge: les acteurs chargés d’inculquer l’esprit d’entreprise (et son corollaire, l’esprit de compétition) n’ont pas la culture du résultat.

Dans les coteries belges de l’accompagnement entrepreneurial, il est hors de question de s’inspirer de leurs homologues autrichiennes, allemandes et suisses où la moitié des subsides publics accordés sont obligatoirement liés à des critères de résultats (création, pérennité, mortalité, levées de fonds réussies…).

Les pouvoirs subsidiants (Europe, fédéral, Régions, provinces…) n’imposent aucun audit externe objectif, ils se contentent de recevoir (pas forcément de lire, faute de ressources humaines) des rapports annuels d’activité (souvent des dithyrambes d’autosatisfaction), et parfois (mais c’est rare) accompagnés de synthèses d’audits internes (forcément subjectifs et biaisés puisque les auditeurs sont à la fois juge et partie). 

En gros: dans notre Royaume, pas d’évaluation et donc pas de remise en question (des politiques, privées ou publiques, d’appui au secteur numérique) ; l’écosystème start-ups est à l’image de notre système politique : quand on est élu (CEO et COO), on s’accroche à son poste (et à ses avantages) et on ne fait surtout pas de vagues. Dès lors, peu de chances de voir surgir des leaders charismatiques pour montrer la voie à nos chimériques licornes digitales…

Trop peu de sang neuf

A quelques exceptions près, le système tourne en vase clos: depuis de longues années, on prend les mêmes et on recommence (à l’image de nos politiciens, grands amateurs du jeu des « chaises musicales) ; les mêmes postulants (au Conseil d’administration et à la direction), dès qu’une nouvelle structure publique voit le jour ; les mêmes conférenciers ; les mêmes référents ; interviewés par les mêmes journalistes ; aux mêmes périodes de l’année ; sur les mêmes thématiques…

Il y a un autre handicap qui nous distingue défavorablement des Etats-Unis, du Royaume-Uni et d’Israël: chez nous, les dirigeants des structures de soutien aux entreprises sont indéboulonnables! 

Leur longévité est perçue par mes pairs anglo-saxons et israéliens autant comme une bizarrerie que comme une aberration dans la mesure où c’est l’un des symptômes de l’entre-soi et d’une sorte de “soft nepotism”…

Plusieurs hauts dirigeants sont en poste pendant des décennies et accumulent les rôles d’administrateur dans toutes les organisations-clé: cfr, par exemple, les rôles, fonctions et rémunérations de l’incontournable Jean-Pierre di Bartolomeo aux manettes depuis 25 ans, notamment de la structure faîtière de toute la manne publique wallonne destinée aux entreprises (Sowalfin). Ou l’ancien président de la SRIB à Bruxelles, Serge Vilain, resté en poste pendant 28 ans. Trop de pouvoir, trop concentré, depuis trop longtemps. Avec de telles habitudes, il est difficile de faire émerger un vent nouveau. 

Carl-Alexandre Robyn

“Startupologue”
Fondateur du Cabinet Valoro
(ingénierie capitalistique et financière pour start-ups)

 

(1) C’est-à-dire la part des nouvelles entreprises dans le total des entreprises actives dans le numérique, en Belgique est le plus fluet des pays de l’Union européenne : il avoisine les 3,5% (9,5% en France, 10,5% aux Pays-Bas, 7,8% étant la moyenne européenne (Source: chiffres Eurostat 2018). [ Retour au texte ]

(2) Que peut réellement “imposer” l’Agence du Numérique (chargée de la mise en œuvre et du suivi des politiques publiques wallonnes dans le domaine du Numérique) aux entreprises membres de l’Infopôle Cluster TIC, aux membres du Cluster Twist, aux membres de la grappe Cyber-sécurité, aux membres de Smart Farming ; au Cetic, à Digital Attraxion, au MIC, à Multitel, etc. qui ne suivent pas ou s’écartent plus ou moins légèrement de la stratégie numérique de la Wallonie? 

L’Agence du Numérique a un rôle de conseil, de guide. Elle excelle dans les suggestions mais n’a aucun pouvoir réel de contrôle et encore moins de pourvoir de sanction vis-à-vis de la communauté polymorphe des acteurs du numérique, car sinon elle irait directement au clash politique avec les “barons” récalcitrants. [ Retour au texte ]