Ne pleurons pas pour avoir raté l’“affaire” Zalando. Générons-en d’autres…

Hors-cadre
Par Damien Jacob · 14/03/2018

La presse a largement fait état ces jours que Zalando aurait décidé d’installer un nouveau centre de fulfilment aux Pays-Bas plutôt qu’en Wallonie.

Les organes patronaux ont réagi au quart de tour. A se demander si la communication vers la presse ne venait pas de l’un d’entre eux… Le ton de la tragédie était de mise. Les coupables de l’échec ont été médiatiquement vite identifiés : les syndicats, et le manque de compétitivité et de flexibilité du marché de l’emploi en Belgique, en particulier la législation sur le travail de nuit qui serait répulsive pour les investisseurs.

Nous n’allons pas nous étendre ici sur ces aspects, qui ont été malheureusement souvent traités de façon manichéenne, alors qu’il serait judicieux d’analyser chacun d’eux en profondeur.

La réglementation sur le travail de nuit, l’obstacle numéro 1 ?

Peut-être juste un mot sur le dernier argument : il s’agit en fait avant tout d’une revendication du secteur du “retail”, pas forcément liée aux opérations de vente en ligne (les pure players e-commerce ne mettent d’ailleurs pas ce point en haut de leurs doléances) et in fine plutôt une histoire de coût salarial global, car le secteur spécifique de la logistique bénéficie depuis des années d’une dérogation.

La parade est de sous-traiter mais cela engendre un surcoût. Les restrictions au travail nocturne se défendent sur le fond: il paraît normal que cette forme de travail soit considérée comme l’exception puisque de multiples études scientifiques ont souligné les conséquences physiologiques négatives de ces horaires nocturnes, sans compter les impacts sur la vie sociale.

Source: CGSLB

Par contre, difficile au citoyen de s’émouvoir que le travail de nuit ne fasse que croître, alors qu’en tant que “consommateur-roi”, il exige des délais toujours plus courts de livraison.

Il est clair que plus les partenaires sociaux belges tarderont à s’entendre sur la question, plus cela favorisera les e-shops étrangères, avec leurs centres de distribution positionnés si près de nos frontières.

Une très forte impression défaitiste se dégageait des articles de presse et reportages. Contextualisons : c’est classiquement le difficile sort du 2ème classé à un concours, où il n’y a qu’un seul gagnant possible (précisons qu’à l’heure actuelle celui-ci n’est pas officiellement désigné, même s’il semble qu’il n’y ait plus de stratégie de négociation de dernier round).

Faisons dès lors l’effort de voir le verre à moitié rempli plutôt qu’à moitié vide. Nous venons de loin : la Wallonie a, dans le passé, perdu de nombreux dossiers comparables, au profit souvent de la région Hauts-de-France, et parfois sans même être “short-listée” (la récente inauguration par le président Macron d’un nouveau centre Amazon a retourné le couteau dans la plaie).

Difficile évidemment de bien cerner le dossier Zalando avec juste les quelques infos rendues publiques dans la presse et la seule petite question pointue un peu anodine qui avait été posée en direct. Une 2ème place paraît toutefois plutôt honorable. Probablement le fruit d’un travail sur le long terme de l’Awex, qui se distingue dans le paysage institutionnel wallon comme s’intéressant activement au domaine de l’e-commerce, en ne se limitant pas à des effets d’annonce et à du show.

Des emplois créés, oui, mais ?

Voyons aussi comme retombée positive que la médiatisation de ce dossier va peut-être mettre fin aux discours politiques souvent tenus contre l’e-commerce “tueur d’emplois”. Même si, sur le fond, la prudence s’impose dans le dossier Zalando. Des désillusions ne sont pas à exclure: le nombre de 1.500 emplois paraît particulièrement important, à la limite de la crédibilité eu égard aux pratiques dans le secteur et de l’organisation de Zalando, avec ses centres déjà existants. Il semblerait que le chiffre inclut une proportion importante d’emplois indirects, pourtant habituellement faible. De plus, il n’est pas à exclure que les 1.500 postes de travail soient occupés partiellement par des travailleurs détachés… et/ou par des robots… à moyen terme voire à plus court terme.

Aussi, capter cet investissement sera-t-il une aussi bonne affaire pour les Pays-Bas, en situation en plus de quasi plein emploi ?

Par contre, voir que certains se consolent en estimant que le passage des camions Zalando sur nos autoroutes générera quand même des retombées financières pour nos régions – grâce à… la taxe kilométrique – paraît plutôt pathétique. Au contraire, cette installation engendrera encore potentiellement plus d’embouteillages, donc une perte sur le plan macro-économique. Et c’est oublier qu’une telle taxe ne devrait en principe n’être qu’un moyen pour les pouvoirs publics d’inciter à des comportements d’utilisation visant un impact négatif moindre pour la collectivité.

Plutôt que de pleurer, voyons comment rebondir !

Le développement économique exogène (venant d’ailleurs) est une voie et il ne faut certainement pas le dédaigner, vu le taux de chômage dans l’arrondissement de Mons. Mais plutôt que de pleurer les emplois ratés et chercher des coupables, n’essayerions-nous pas plutôt de tenter d’en générer d’autres ?

“Mettre à disposition un environnement réellement spécialisé, accompagner l’entrepreneur local à mieux cerner les enjeux de l’e-commerce et éviter qu’il ne s’engage sur de mauvaises pistes par méconnaissance.”

En d’autres termes, ne miserions-nous pas aussi sur le développent endogène, c’est-à-dire à partir du tissu économique local ? Les chiffres sont particulièrement peu brillants pour l’instant en ce qui concerne l’e-commerce en Wallonie. Pour l’ensemble de la province du Hainaut, où Zalando aurait pu s’installer, il n’y avait au dernier décompte (fin 2016) que 268 pure players e-commerce. Et seulement 23 d’entre eux avaient au moins un employé !

Cela fait largement moins de 1.000 employés pour toute la province (soit un taux sectoriel de moins de 0,2%). Un quasi désert dans ce secteur économique, qui se constate également dans les activités connexes comme le paiement et le fulfilment.

Que faire pour développer l’écosystème e-commerce local ?

Depuis 2011, la piste qui consiste à développer une mutualisation des moyens logistiques entre e-commerçants (ainsi que d’autres outils) a été sur la table. Ne faudrait-il pas enfin sérieusement l’étudier ? Une proposition concrète a été émise à Liège pour développer progressivement un hub “e-commerce”, s’inspirant de la métropole lilloise avec son incubateur Blanchemaille.

Un marché public a été lancé en octobre 2016 pour faire des études approfondies, mais celles-ci n’ont toujours pas commencé. Le secteur privé aurait pu être de la partie. Peut-être cela pourrait-il pu être relancé mais il faudrait pour cela que la compétition s’arrête entre la multitude d’incubateurs publics généralistes. C’est à celui qui proposera les plus généreuses conditions, avec bien peu de filtres qualitatifs.

Damien Jacob: “L’objectif serait plutôt d’engendrer localement un plus grand nombre de projets de qualité.”

A côté de la mise à disposition d’un environnement réellement spécialisé, il semble judicieux d’accompagner l’entrepreneur local à mieux cerner les enjeux de l’e-commerce et d’éviter qu’il ne s’engage sur de mauvaises pistes par méconnaissance. Le taux d’échec reste trop important.

L’objectif serait d’engendrer localement un plus grand nombre de projets de qualité. Ensemble, ils pourraient probablement créer plus que 1.500 emplois, en grande partie nettement plus qualitatifs et enracinés (géographiquement et dans le temps).

L’expérience a montré que les investisseurs étrangers dans le secteur du numérique ne sont guère séduits par des élus ou des “champions” que ceux-ci ont désignés (Zalando les a d’ailleurs évités). Par contre, ces entrepreneurs sont nettement plus susceptibles d’être influencés par des ambassadeurs sur le terrain, qui ne manqueront pas de se multiplier lorsqu’un écosystème local plus élaboré se sera constitué. Ainsi, le plus grand atout des Pays-Bas dans cette affaire n’aurait-il pas surtout été d’avoir un compatriote comme interlocuteur chez “Angela” [nom de code utilisé pour les négociateurs tentant de décrocher le contrat d’implantation] ?!

Damien Jacob

consultant (Retis)