Que manque-t-il à l’écosystème wallon pour multiplier les stars ? 2è partie

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn · 12/05/2017

Suite de l’analyse que Carl-Alexandre Robyn (cabinet Valoro) consacre aux carences et prochains défis à relever par l’écosystème d’accompagnement et de “boosting” des start-ups hi-tech wallonnes. Relire la première partie de cet article ici.

Question: Avons-nous suffisamment de fonds de capital-risque en Wallonie ?

On dénombre une petite cinquantaine de fonds publics et de fonds privés pour toute la Belgique, dont un tiers environ se consacrent principalement à la Région wallonne et à la Région Bruxelles-Capitale (Source BVA: Belgian Venturing Association).

Les trois Régions du pays ont beaucoup progressé mais il reste du chemin à faire en matière de capital-risque. Les investisseurs belges (flamands et francophones confondus) sont encore trop rationnels ; ils s’attachent au modèle économique mais il n’y en a pas toujours.

Il leur manque ce que les Américains appellent le “FOMO”, le “fear of missing out”, “la peur de rater un coup” [Ndlr: plus exactement, la peur de passer à côté du “bon coup”], qui fait que les fonds américains prennent des risques, misent sur beaucoup de dossiers, de peur de rater le prochain Facebook.

Les venture capitalists belges (à l’aune des fonds W.IN.G, Volta Ventures, Belcube, etc.), eux, ne semblent présenter aucun symptôme du syndrome FOMO.

Dès lors, un nouveau terrain d’expérimentation s’ouvre aux fonds de capital-risque dédiés à la Wallonie: sélectionner les projets de technologies numériques en se libérant du joug d’une rationalité excessive.

Accueil des étrangers

Un autre aspect qu’il faut faire progresser est qu’il n’y a pas assez d’argent étranger dans le capital-risque belge, toutes régions confondues. Prenez le capital-risque israélien, il est financé à 80% par de l’argent américain. Et pour mieux connecter l’écosystème français à l’écosystème mondial du capital-risque, Bpifrance a investi dans quatre fonds étrangers : Advent, New Leaf, Versant et Benhamou Global Ventures. La condition est que ces fonds investissent en France le double du montant que Bpifrance a placé chez eux.

Carl-Alexandre Robyn: “Un nouveau terrain d’expérimentation s’ouvre aux fonds de capital-risque dédiés à la Wallonie: sélectionner les projets de technologies numériques en se libérant du joug d’une rationalité excessive.”

La SRIW a certes fait de même avec les fonds français Serena Capital et Partech mais…sans condition attachée (simplement l’espoir que ces fonds investissent en Wallonie).

Les Etats-Unis profitent largement de l’écosystème français en rachetant beaucoup de petites sociétés pointues. Ils doivent investir en France, sans quoi, c’est la fuite des cerveaux. Il en va de même chez nous. Apparemment, les fonds publics wallons de capital-risque n’ont pas encore acquis ni l’art ni la manière d’inciter les venture capitalists étrangers (surtout anglo-saxons) à s’unir à eux pour investir dans les pépites de leur région.

Autre différence majeure des fonds de capital-risque anglo-saxons: ils sont plus volontaristes que leurs homologues français et belges. Et les plus activistes parmi eux ont dans leur besace des développeurs d’affaires dont l’obsession est d’accélérer le “go-to-market”. Ils sont chargés d’encourager et d’accélérer le scale up (passage à l’échelle supérieure de développement) des jeunes pousses financées.

Le fonds d’investissement W.IN.G (acronyme de Wallonia Innovation and Growth), spécialisé dans le financement des start-ups numériques, dispose-t-il d’un pool de business developers ou de CEO intérimaires capables de pousser les entreprises numériques wallonnes émergentes à réaliser plus de 30.000 euros de chiffre d’affaires mensuel récurrent et à envisager immédiatement l’international ?

Selon Thibaut Claes, innovation manager au sein de Start-ups.be, “il faut compter pas moins de 53 mois, en moyenne, avant qu’un projet de start-up n’en arrive à sa levée de fonds de série A”.

Et bien, les fonds de capital-risque anglo-saxons proactifs font en sorte de réduire ce délai de deux-tiers, à 18 mois !

Ils investissent à condition que la start-up financée accepte d’accélérer significativement sa croissance et, si celle-ci manque de savoir-faire pour y parvenir, le fonds y pourvoit avec une équipe de spécialistes en renfort. La plupart des fondateurs acceptent ce type d’épaulement parce qu’ils entrevoient ainsi une amélioration significative de leurs perspectives d’enrichissement.

Carl-Alexandre Robyn: “Apparemment, les fonds publics wallons de capital-risque n’ont pas encore acquis ni l’art ni la manière d’inciter les venture capitalists étrangers (surtout anglo-saxons) à s’unir à eux pour investir dans les pépites de leur région.”

En résumé, les fonds de capital-risque anglo-saxons les plus performants (Seventure Partners, Sherpa Capital, Sequoi Capital et consorts…) ont :

  • Des équipes d’éclaireurs chargés de dénicher partout des bons projets à financer (et de créer des réseaux de correspondants), ils n’attendent pas de recevoir des bons dossiers : ils partent en chasse !
  • Des grilles de lecture et des “arbres de décision” différents de ce qui fait un bon projet ! (c’est l’effet du syndrome “FOMO”).
  • Des équipes de développeurs d’affaires (prêts, s’il le fallait, à remplacer sur le tas les CEO historiques) expérimentés et rémunérés aux résultats (notamment en participation au capital des start-ups).

La fibre des affaires

Ces venture capitalists disposent ainsi en interne de microstructures d’accompagnement des jeunes pousses. Ils ont fait leurs calculs (et établi leurs stratégies commerciales en conséquence) : le coût de recrutement et de rémunération de ces équipes mobiles et agiles est compensé par la rétribution sur le nombre et le volume d’investissements réalisés grâce à elles.

Par ailleurs, ces escouades triées sur le volet augmentent les chances de réussite de la start-up accompagnée (et subséquemment de l’investissement). Tandis que chez nous, les structures d’accompagnement sont exogènes aux fonds de capital-risque, ce qui ralentit et alourdit le coût de tout le processus d’investissement dans les entreprises numériques émergentes.

Et puis, le déséquilibre entre fonds privés et fonds publics dans l’écosystème wallon de capital-risque n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui compte vraiment, c’est que ces deux types de fonds adaptent leurs comportements sur ceux des fonds de capital-risque anglo-saxons les plus performants. Les fonds de capital-risque belges investissent et attendent de voir ce qui se passe. Leurs homologues anglo-saxons, eux, ne se complaisent pas dans l’expectative et, pour réduire encore un peu la part du hasard, s’impliquent, voire s’imposent, davantage dans la direction de la jeune pousse.

“Chez nous, les structures d’accompagnement sont exogènes aux fonds de capital-risque, ce qui ralentit et alourdit le coût de tout le processus d’investissement dans les entreprises numériques émergentes.”

Dave McClure, fondateur de l’accélérateur américain 500 Startups, est l’homme qui a le plus investi dans les jeunes pousses. Sur les sept dernières années, il a accompagné 1.800 start-ups via son entité et généré 2% de “licornes” (entreprises de moins de dix ans valorisées plus d’un milliard de dollars), 5% de “centaures” (start-ups qui valent plus de 100 millions de dollars) et 20% de “poneys” (start-ups d’au moins 10 millions de dollars de valorisation) qui ont la possibilité de devenir l’un ou l’autre.

Dans une interview vidéo, il explique son positionnement en amorçage, sa méthode pour dénicher les talents de demain, et surtout sa façon d’accompagner (très) activement les start-ups pendant la durée de son investissement, ainsi que les fréquentes erreurs que commettent encore les “start-uppeurs”, tout en précisant que dans ses choix, il se “trompe la grande majorité du temps”.

Dans le contexte actuel, nous devrions réinventer une culture de l’optimisme en Wallonie. La Région a d’excellentes écoles d’ingénieurs et son écosystème de capital-risque est déjà bien attractif, mais il est à peu près au stade du développement de celui de la Silicon Valley ou d’Israël… d’il y a vingt ans.

Certes, la Région wallonne peut créer plus de fonds de croissance, mais le plus efficace serait d’associer plus régulièrement les capitaux-risqueurs institutionnels existants et à venir, à des grosses levées de capitaux en pool, notamment avec des venture capitalists américains. Il y a là un vrai sujet d’exécution stratégique.

Carl-Alexandre Robyn

Start-up Financial Architect

Associé-fondateur du Cabinet Valoro