Bruxelles-Capitale? Les ingrédients gagnants de l’’hyperscale’ et du ‘microcare’, selon Innoviris

Hors-cadre
Par Peter Verhasselt (Sirris) · 17/03/2020

Peter Verhasselt et Nick Boucart, de Sirris, sont les auteurs d’un livre intitulé “Hyperscale and Microcare – The Digital Business Cookbook” qui passe en revue et explique une série de bonnes pratiques et petites recettes pour “développer des produits logiciels gagnants” à l’heure d’une société devenue intrinsèquement digitale (voir l’encadré ci-dessous pour plus de détails).

Peter Verhasselt a récemment interrogé deux collaborateurs d’Innoviris, l’institut bruxellois pour la recherche et l’innovation – Nicolas Vautrin, responsable de l’équipe Recherche industrielle, et Kourosch Abbaspour Tehrani, directeur scientifique – afin de recueillir leur vision de ce que ces deux concepts – “hyperscale” et “microcare” – représentent à l’heure de l’économie numérique et comme atouts et opportunités que peut faire valoir la Région bruxelloise.

Aux yeux des deux collaborateurs d’Innoviris, les concepts d’“hyperscale” et de “microcare” sont des vecteurs-clé de l’économie numérique en raison du rôle central qu’y jouent les services numériques dits “extensibles” [lisez: évolutifs et dynamiquement redimensionnables], destinés à répondre aux besoins aussi bien des particuliers que des entreprises. 

Hyperscale and Microcare. The Digital Business Cookbook” 

“Développer des produits logiciels gagnants” passe, selon les deux auteurs du livre, par le développement et le déploiement de services numériques qui allient relation étroite avec l’utilisateur (“microcare”) et capacité à adresser une vaste audience (“hyperscale”).
Le livre met notamment l’accent sur le type de ressources nécessaires pour de tels développements et les facteurs influençant la valorisation des sociétés qui proposent des solutions ou services numériques (présence et visibilité en-ligne, degré de fidélité de la clientèle…).
Plus d’infos sur le livre et ses auteurs, via ce lien.

La “marque” Bruxelles

Nicolas Vautrin et Kourosch Abbaspour Tehrani soulignent d’emblée que Bruxelles est à la fois une ville et une région. “C’est cette double identité qui fait la spécificité de la dynamique bruxelloise. Ce lui confère certaines qualités qui font sa spécificité dans un contexte belgo-européen.

En tout premier lieu, Bruxelles est une marque forte à l’échelle internationale. Bruxelles et la Belgique ont toutes deux une notoriété mondiale. Nous devrions davantage jouer cet atout. Un label Made in Brussels peut avoir un rôle majeur à cet égard. C’est en tout cas un solide atout dans la guerre des talents (internationaux).

La diversité au kilomètre carré est ensuite énorme. Nulle part ailleurs l’enseignement, la recherche, les entreprises, les start-ups, le pouvoir politique et les initiatives culturelles ne sont aussi physiquement imbriqués qu’ici. Un excellent réseau de transports en commun les relie. Les exemples à l’étranger, notamment Boston sur la côte est américaine, démontrent que la proximité physique et la diversité sont essentielles à la réussite des écosystèmes.”

Le numérique est la nouvelle norme

Et puis, il y a la dimension – transversale – du numérique… L’économie à Bruxelles est par nature numérique. La méthode agile et l’approche design (caractéristiques des modèles d’entreprise numériques) ont percolé tous les acteurs, tous secteurs confondus, de la grande banque bien établie jusqu’à la nouvelle micro-entreprise dans l’alimentation artisanale. Les frontières entre secteurs s’estompent. Le numérique est omniprésent. Les liens entre logiciels, données et certains secteurs se resserrent, comme on peut l’observer dans les fintech et l’e-santé. 

Plaque tournante depuis les ducs de Bourgogne

Bruxelles joue de facto un rôle de plaque tournante dans l’Union européenne. De nombreux Européens actifs dans le domaine de l’entrepreneuriat et des technologies y convergent. On observe un effet de débordement dans la mesure où l’on voit débarquer des chefs d’entreprise débutants qui constituent des équipes aux origines diverses.
C’est un plus pour une activité numérique, par essence internationale. Les Born Global – des nouvelles entreprises internationales – sont une réalité.
Cet aspect internationalisant s’inscrit dans une longue tradition urbaine, Bruxelles étant au confluent du nord et du sud de l’Europe, au carrefour entre protestants et catholiques, entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique, entre laïcité et foi.
La probabilité d’une alchimie entre les talents est dès lors bien plus grande dans un tel creuset que dans un cadre plus monoculturel. C’est justement cette alchimie entre talents issus d’horizons différents qui est essentielle dans la nouvelle économie. Plus encore que l’accès au capital ou à la propriété intellectuelle exclusive, facteurs critiques de succès de l'(ancienne) économie fossile.”

Cette année, “Green, Human and Smart Industries” est d’ailleurs le thème du programme Joint R&D. Nous ne sommes probablement qu’aux prémices de cette évolution. Nous n’observons que les premiers signes de l’impact réel du numérique sur la plupart des secteurs. 

Start-ups et scale-ups, grandes entreprises et PME, hôpitaux et universités : à Bruxelles, de nombreuses structures sont engagées dans la recherche et les applications de pointe dans leur domaine. Par exemple, Audi Brussels à Forest, qui est à la pointe de l’assemblage des véhicules électriques de la marque à l’échelle mondiale, vient de remporter le Factory of the Future Award. La « licorne » Collibra est une spin-off de la VUB.

Nos hôpitaux sont des leaders mondiaux dans divers domaines. Les nouvelles technologies sont toujours la clé de la prospérité et de la qualité de vie. Et cela commence par la recherche, qui a besoin d’argent et d’équipes solides. Nous voulons continuer à investir en ce sens. 

Hyperscale et microcare, deux ingrédients majeurs 

Nous considérons également que les concepts d’hyperscale et de microcare sont des éléments comme fondamentaux dans un business model numérique durable.

D’une part, il y a la volonté d’appliquer intelligemment l’existant – depuis les logiciels open source jusqu’aux services Web en passant par les API (Application Programming Interface). Nous le constatons dans la croissance des applications d’intelligence artificielle basées sur l’infrastructure et les algorithmes de tiers. 

Le défi consiste ici à adapter les techniques de pointe existantes aux besoins d’un secteur ou d’une application industrielle d’une manière presque centrée sur le client (c’est la notion de “microcare”). On élabore ainsi une solution de niche évolutive, avec un budget R&D limité. 

 

“La Belgique et Bruxelles sont à la traîne par rapport à des pays et régions d’Europe plus forts dans le domaine du numérique. Nous voulons rattraper ce retard et en profiter pour passer directement à la solution la plus récente.”

 

D’autre part, on met toujours l’accent sur l’avalanche de nouvelles technologies qui font la différence et qui sont potentiellement disruptives, par exemple les ordinateurs quantiques.

L’important pour nous est la présence de ces deux niveaux de technologie dans la Région. L’Europe doit rester leader dans plusieurs domaines technologiques et ne pas devenir un simple acheteur d’infrastructures et de brevets américains et chinois. Plusieurs nouveaux programmes Innoviris vont soutenir ces pionniers technologiques. 

Au premier niveau (mettre en œuvre intelligemment l’existant), la Belgique et Bruxelles sont à la traîne par rapport à des pays et régions d’Europe plus forts dans le domaine du numérique, notamment la Scandinavie, Paris et Berlin. Nous voulons rattraper ce retard et nous voyons cette position à la fois comme un inconvénient et une opportunité. Nous pouvons profiter de ce retard pour passer directement à la solution la plus récente. 

Sur les deux plans technologiques (et donc aussi pour les nouvelles technologies de pointe), l’interaction entre les grandes entreprises et les start-ups est à nos yeux très importante. Les premières ont l’argent et les canaux, les secondes la vitesse d’innovation et les idées neuves.

 

“Les technologies sont importantes, sinon pas d’hyperscale, mais l’économie reste une question interpersonnelle. L’ouverture et l’empathie, qui sont les ingrédients du microcare, vont devenir de plus en plus des facteurs de réussite.”

 

La spin-off Softkinetic est désormais la filiale R&D bruxelloise de l’entreprise japonaise Sony. La recherche sur les technologies haptiques basées sur les caméras temps de vol a ainsi un ancrage local. 

N’oublions pas non plus qu’il s’agit souvent d’une bouée de sauvetage pour les filiales des multinationales. L’intense collaboration avec les start-ups locales leur permet de différencier leur position au sein du groupe et de rendre compte de leur croissance au siège social. 

Les technologies sont importantes, sinon pas d’hyperscale, mais l’économie reste une question interpersonnelle. L’ouverture et l’empathie, qui sont les ingrédients du microcare, vont devenir de plus en plus des facteurs de réussite. 

Apporter le soutien adéquat au bon moment

Selon les deux auteurs (pour rappel, tous deux collaborateurs de Sirris), des organismes régionaux tels qu’Innoviris ou que ses homologues wallon et flamand que sont la DGTRE et Vlaio se doivent à la fois de prendre constamment le pouls des entreprise et de comprendre leurs besoins et, par ailleurs, éviter de leur imposer des politiques ou “visions” qui ne sont pas les leurs.

“Nous adaptons nos activités à la phase de croissance et aux besoins des entreprises, et non l’inverse”, déclarent en choeur, à ce sujet, Kourosch Abbaspour Tehrani et Nicolas Vautrin. “Citons notre nouveau programme Proof-of-Business, qui épaule les entreprises technologiques, et l’Innovative Starters Award, qui accorde des moyens supplémentaires aux jeunes pousses. Nous essayons d’apporter le soutien adéquat au bon moment.”

 

Kourosch Abbaspour Tehrani et Nicolas Vautrin (Innoviris): “La ville de Bruxelles évolue dans une dynamique agile. Les pouvoirs publics doivent aussi en tenir compte s’ils veulent continuer à remplir leur mission de manière pertinente.”

 

“Nous pensons et travaillons donc nous-mêmes comme une start-up dans une démarche lean et agile.

Bruxelles est une ville à forte dynamique agile. Les pouvoirs publics doivent aussi en tenir compte s’ils veulent continuer à remplir leur mission de manière pertinente. Ce n’est bien sûr pas évident, car l’évolution progressive de l’agile design, reposant sur la perspicacité, se heurte à la culture Think-hard-and-Plan de l’administration publique. Nous avons toutefois bien avancé dans cette voie ces cinq dernières années.”

Les compétences de la Région de Bruxelles-Capitale en matière d’économie et d’innovation sont les mêmes qu’en Wallonie ou qu’en Flandre. C’est un avantage autant qu’un inconvénient. On considère par exemple la 5G comme une technologie cruciale, en termes d’infrastructure, mais aussi comme point de départ de nouveaux services pour les entreprises. Imaginons par exemple une entreprise de construction qui compte sur la 5G dans l’innovation de ses processus… Avec aussi le constat qu’un déploiement disparate dans les trois régions représente un sérieux handicap concurrentiel et un frein à l’innovation des acteurs locaux.”

 

Cet article a été publié dans un premier temps en version néerlandaise dans le média Bloovi.