Accompagnement entrepreneurial. Et si on avait tout faux? (1ère partie)

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn · 21/08/2017

Accompagnement des néo-entrepreneurs. Et si on avait tout faux? Ce questionnement s’inspire de différents constats. A commencer par un impact économique faible.

Malgré les efforts très louables des pouvoirs publics, le dynamisme entrepreneurial dans notre royaume reste assez faible. En effet, le taux de création d’entreprises (à savoir la part des nouvelles entreprises dans le total des entreprises actives) en Belgique est le plus fluet des pays de l’Union européenne: il avoisine les 3,5% (9,5% en France, 10,5% aux Pays-Bas, 7,8% étant la moyenne européenne (chiffres Eurostat 2015). Dès lors, l’impact macro-économique du dispositif public d’aide à la création et au financement d’entreprises est plutôt chétif.

Par ailleurs, le taux de mortalité des entreprises est relativement haut puisque, grosso modo, un peu plus de la moitié (51%) des entreprises créées disparaissent endéans les cinq ans.

Même si ce taux de mortalité descend à 34% pour les entreprises accompagnées, cela n’a pas beaucoup d’effet sur la vigueur entrepreneuriale du pays puisque le taux d’abandon des projets est élevé: plus d’un tiers des projets accompagnés dans des structures d’accompagnement ne débouchent pas sur la création d’entreprises.

Avec 3,5%, la part des nouvelles entreprises dans le total des entreprises actives en Belgique est le plus fluet des pays de l’Union européenne. Plus d’un tiers des projets accompagnés dans des structures d’accompagnement ne débouchent pas sur la création d’entreprises.

Imaginer un”indice entrepreneurial”

Pour se faire une idée du dynamisme entrepreneurial dans nos régions il serait utile d’établir à échéances régulières un”indice entrepreneurial”. Par exemple, si nous prenions au hasard un échantillon de 1.000 personnes dans la population adulte, nous constaterions probablement que la part des Belges qui sont, ou ont été, dans un cheminement entrepreneurial (intention de créer, démarche de création, entrepreneur en activité et anciens entrepreneurs) est plutôt anémique.

Il faudrait concomitamment combler le déficit structurel de notre système informationnel. En effet, le chercheur est confronté à des complications byzantines pour collecter des informations pertinentes concernant les créations d’entreprises, étant donné les multiples financeurs, les nombreux opérateurs et les dispositifs de toutes sortes pour aider les entrepreneurs. En outre, tous les opérateurs du soutien entrepreneurial n’ont pas les mêmes préoccupations de reporting et de pilotage de leurs activités.

Nécessité ou opportunité?

Si nous disposions d’un outil statistique efficient concernant la création d’entreprises, nous nous rendrions compte du phénomène suivant: alors que près d’une entreprise sur deux (49%) est créée par une personne sans activité professionnelle (au chômage ou à la recherche d’un emploi, étudiant, retraité, personnes au foyer): ces créations “par nécessité” accaparent plus ou moins trois-quarts des ressources publiques (subsides, exonérations fiscales, prêts et avances diverses, dispositifs de garantie, prises de participation).

Les ressources publiques (la manne financière et le capital humain) dédiées à l’accompagnement entrepreneurial sont significatives et, proportionnellement à la taille de notre pays, du même ordre de grandeur, voire légèrement supérieures, à celles de nos voisins français et hollandais. On ne peut que louer le volontarisme et les efforts des pouvoirs publics en la matière. Cependant, cet “easy money” n’est pas efficacement recyclé dans les nouveaux projets entrepreneuriaux.

Seulement un quart des aides publiques sont allouées à la création d’entreprise “par opportunité”, c’est-à-dire des projets portés par des personnes en activité professionnelle mais qui souhaitent néanmoins saisir une opportunité d’affaire qu’ils pensent avoir dénichée.

La création d’entreprises “par nécessité” engendre en moyenne 1,6 emploi. Tandis que la création “par opportunité” produit en moyenne 4,2 emplois (voir note de bas de page). Et le taux de pérennité, à 5 ans, des entreprises créées pas nécessité est approximativement trois fois moindre que celui des entreprises créées par opportunité.

Par ailleurs, quelque 75% des moyens publics destinés au soutien entrepreneurial sont concentrés sur les phases 1 (ante-création) et 2 (création). Or, c’est la phase 3 (post-création) qui recèle le plus de valeur ajoutée.

Si l’on vise une meilleure allocation des ressources financières et humaines, publiques et privées, il est nécessaire que les structures d’accompagnement actives en phase 1 jouent pleinement leur rôle de sélection darwinienne.

Comment? Par exemple, en rééquilibrant la prestation des moyens publics vers les projets entrepreneuriaux plus ambitieux que ceux concernant essentiellement la reconversion professionnelle des porteurs (chômeurs créant leur propre emploi qui restent cantonnés dans des TPE (très petites entreprises) peu prospères et peu pérennes) (voir note de bas de page)

Ou encore, en liant véritablement les aides publiques à la viabilité économique et même au potentiel de développement du projet. Sans oublier d’imposer une contractualisation plus sérieuse (avec sanctions à la clé) de la relation accompagnateur-accompagné avec notamment l’obligation pour le porteur de projet de suivre un parcours complet d’accompagnement (phases 1, 2 et 3). Il y a effectivement trop d’abandons entre les différentes phases.

Carl-Alexandre Robyn

Associé-fondateur du Cabinet Valoro

Dans la deuxième partie de son texte, Carl-Alexandre Robyn se penchera sur la question suivante: au vu d’une Densification des structures d’accompagnement qui ne semble guère produire de résultats probants, ne serait-il pas nécessaire de changer son fusil d’épaule? A moins que ce ne soit carrément l’épaule qu’il faille changer…

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(1) Remarque importante: ces chiffres cités par l’auteur sont des supputations du Cabinet Valoro “corroborées par diverses interviews d’acteurs des réseaux d’accompagnement à la création d’entreprises (11 opérateurs belges interrogés entre septembre 2016 et juin 2017).” Voici comment Carl-Alexandre Robyn les explique (ou justifie): “Il ne s’agit que d’une vérification par sondage (11 opérateurs sur les 70 existants en Belgique ; dont 5 structures d’accompagnement généralistes, 2 structures de l’économie sociale et 4 structures technologiques soutenant principalement les “créateurs par opportunité”), sans rigueur scientifique.

Ces estimations numériques, sur base d’informations recueillies de manière artisanale auprès de sources multiples et disparates, ont été également comparées (pour en sonder davantage la pertinence) aux rares estimations disponibles à l’étranger. Notamment l’enquête du LABEX Entreprendre (Université de Montpellier) datant de 2014 et le rapport d’activité de l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie (ACFCI) de 2016. 

Le LABEX est un livre blanc sur les structures d’accompagnement à la création d’entreprises en France. Il inclut une enquête nationale réalisée entre juin 2012 et avril 2013. C’est la lecture de ce document qui m’a inspiré le sujet de mes interviews aux acteurs des réseaux belges d’accompagnement. L’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation, censée piloter le dispositif public d’accompagnement) n’ayant pu (ou voulu) me fournir aucune statistique sur le sujet de mon enquête.

Le but du présent texte n’est pas tant de fournir une information rigoureusement exacte mais plutôt de fournir une information suffisamment utile pour approfondir le sujet en suscitant de nouvelles pistes d’investigation. Je lance la balle à nos différents organismes publics de statistiques pour qu’ils entament des recherches dans ce sens. Ce genre d’informations est vital pour mesurer, pour jauger l’efficacité des politiques publiques d’accompagnement entrepreneurial et donc pour piloter le dispositif public d’aide à la création d’entreprises. Mais à l’heure actuelle, ces informations ne sont ni recherchées, ni centralisées, ni analysées…”

Le débat est donc ouvert. L’espace Commentaires, que vous trouverez ci-dessous, n’attend que vous pour démarrer des échanges, espérons-le, constructifs… [ Retour au texte ]