5G: les questions qui fâchent

Hors-cadre
Par Charles Cuvelliez, Jean-Jacques Quisquater · 20/10/2021

Il y a des questions qui fâchent sur la 5G: celles relatives aux effets sur la santé, l’environnement et sur la sécurité. Nous allons nous y attarder en utilisant un rapport récent de l’Académie des sciences de France qui a eu la bonne idée de réfléchir à ces questions et d’y fournir des réponses qu’aucun bord ne pourra qualifier de partisanes. Les opposants comme les partisans de la 5G feraient bien de s’y arrêter. Il s’agit donc de rapporter les points principaux de ce rapport sur ces trois questions, en les adaptant, si nécessaire à la situation belge. Pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus, il sera utile de se reporter au rapport dont vous trouverez les références en fin d’article.

Pour les effets sur la santé, il faut distinguer le téléphone qui émet des ondes et dont une partie de l’énergie qu’elles transportent est absorbée par le corps humain et les ondes émises par la station de base au loin (voie descendante). Bien qu’on ait davantage peur des stations de base, c’est bien des émissions des téléphone dont il faut se méfier, donc la voie dite montante. On a heureusement du recul pour les bandes de fréquence inférieures à 6 GHz et leurs effets thermiques instantanés, les seuls avérés et réplicables.

Les normes d’émission sont d’ailleurs définies en fonction de ces effets et la voie montante, c’est-à-dire l’énergie émise par le téléphone, est de loin la plus intense. Dix minutes d’exposition sur la voie montante correspondent à un mois d’exposition sur la voie descendante, depuis la station de base vers le mobile, une belle et intéressante comparaison. D’où l’intérêt de prêter attention au DAS, le débit d’absorption spécifique, des smartphones. Il mesure l’énergie absorbée par le corps humain en W/kg. C’est depuis les années 90 qu’on étudie les effets de la voie montante. Entre 1990 et maintenant, cela fait 30 ans de recul: s’il y avait un lien entre les tumeurs aux cerveaux et les mobiles, cela commencerait à se voir.

 

Dix minutes d’exposition sur la voie montante correspondent à un mois d’exposition sur la voie descendante, depuis la station de base vers le mobile, une belle et intéressante comparaison.

 

Il n’y a pas que les effets thermiques, dira-t-on: il y a l’exposition aux ondes elles-mêmes, accusées de tous les maux sans doute parce qu’invisibles. Des études épidémiologiques ont amené les chercheurs à interroger les patients atteints de tumeurs sur leur utilisation de mobiles, tout comme maintenant on interroge les patients du Covid-19 sur les lieux qu’ils ont fréquentés : aucune de ces études n’a apporté de preuve de relation de cause à effet. Mais tout comme le Covid-19, des études épidémiologiques sont complexes à conclure car ce ne sont que des enquêtes, pas des expériences réplicables.

La 5G apporte une nouveauté importante: la focalisation. Sur la voie descendante, les ondes et l’énergie qu’elles transportent sont concentrées sur un faisceau entre antenne et mobile, ce qui augmente l’exposition sur un temps court mais la réduit sur le temps long puisque l’antenne n’est pas omnidirectionnelle, occupée à rayonner tout le temps. 

Mais, avec la 5G, c’est aussi la promesse de l’augmentation et de la transformation des usages du mobile que cette nouvelle norme encouragera. Quid aussi de l’utilisation simultanée de plusieurs bandes de fréquences, celle de la 4G et de la 5G?

Plus tard, la 5G utilisera de nouvelles bandes de fréquence, les ondes dites millimétriques qui sont fortement absorbées par les tissus externes du corps humain.

Les organes et le cerveau devraient être ainsi mieux protégés mais l’usage massif de ces bandes de fréquence, réservées autrefois à des usages professionnels, par tout un chacun n’est pas connu. Ceci dit, ces bandes de fréquences devraient aussi être utilisés dans des domaines et endroits où l’humain n’intervient pas, dans les usines et dans les robots avec la promesse de simplifier le câblage et l’infrastructure dans ces environnements. De nouvelles études sont donc nécessaires et la surveillance devra être continue.

Les effets sur l’environnement

Autre question qui fâche, l’impact sur l’environnement et la consommation énergétique. Les auteurs du rapport ont calculé que l’électricité consommée mondialement compte pour 30% de la consommation d’énergie mondiale primaire. La part du numérique dans l’électricité est entre 10 et 15% avec 6% pour les réseaux et infrastructures, 19% pour les serveurs et les data centers, 37% pour les équipements professionnels et 39% pour les équipements domestiques.

En d’autres termes, la consommation des réseaux des opérateurs mobiles et filaires n’est que de 2 à 3 pour mille de toute la consommation énergétique primaire. De quoi parle-t-on? La forte croissance du numérique impose la vigilance: la consommation des data centers a quintuplé entre 2010 et 2018 alors que la consommation totale d’énergie électrique n’a augmenté que de 6%. Et de nombreuses pratiques sous-optimales en termes de consommation d’énergie font florès: big data, blockchain et cela va continuer.

La production des terminaux mobiles est l’autre point (déjà) noir. La production des terminaux mobiles a un coût: la construction d’un smartphone génère 30 kg de CO2, avec 30 millions de smartphones en France, on arrive à 0.9 mégatonne équivalent CO2 à comparer aux 662 mégatonnes CO2 en France par an. Ce n’est pas négligeable.

On pourrait arrêter les technologies 2G et 3G car les effets d’une technologie s’ajoutent alors aux effets des autres technologies déjà existantes. Tant que la 5G ne se substitue pas aux générations précédentes, on cumule les impacts d’autant que tous les indicateurs vont dans le sens d’une inflation des usages.

Il vaut mieux passer au plus vite à la 5G pour profiter de la forte réduction de l’angle d’émission des communications ou de la fonction de mise en veille des stations de bases en 5G pour ne citer qu’elles. 

D’après les équipementiers, le gain énergétique de la 5G devrait être de 2 dans la phase initiale du déploiement de la 5G et pourra atteindre 20 à terme, quand la 5G sera mature. Et puis n’oublions pas les effets indirects positifs de la 5G à commencer par sans doute moins de déplacements!

Vient alors, la question du remplacement massif des terminaux! Là aussi que n’entend-on pas mais tout dépend de la vitesse de remplacement, progressif ou pas du parc de smartphones …qu’on renouvelle de toute façon. Mais à chaque génération, ce sont des appareils à durée de vie plus longue qu’on propose et qui ont des performances suffisantes pour qu’on s’en accommode plus longtemps. 

Les densités d’objets connectés en 5G posent aussi problème: on parle d’un million par km2. Attention aussi aux composants électroniques des bandes millimétriques qui consommeront plus d’énergie. 

En fait, la question est davantage de maîtriser la croissance du trafic et de l’optimiser, en sachant qu’il vaut mieux utiliser le filaire ou le Wi-Fi que le réseau cellulaire. Il faudrait que chacun connaisse le coût énergétique, ne fût-ce que celui d’une vidéo visionnée sur son PC chez soi et sur son mobile à l’extérieur.

La sécurité 

Enfin, dernière question qui fâche, la sécurité informatique des objets connectés que la 5G va déployer. On veut les utiliser – et c’est la promesse de la 5G – dans la domotique, le transport, la médecine, dans des applications critiques.

La compétence industrielle est trop limitée dans les industries classiques pour l’instant. Ce sera un frein sérieux pour le développement.

Les problèmes de sécurité viennent s’y ajouter. La sécurité des protocoles de communications dans ces nouvelles formes de réseaux est à réanalyser.

Il y a aussi la difficulté d’organiser des opérations cryptographiques avec un niveau de sécurité élevé (comme les protocoles à base d’échanges de clés) dans les objets à basse consommation d’énergie qui ne peuvent se le permettre et enfin la détection d’intrusions déjà au point dans les cœurs de réseau en faisant appel à des algorithmes d’IA mais qui doivent être transposés et adaptés aux réseaux d’objets connectés. Car ce qu’on y vise, c’est une détection rapide qui doit aller de pair avec une densité telle que les puissances de calcul actuelles ne suffisent pas. 

Le rapport français énonce 12 recommandations bien ciblées. Retenons ici qu’il est nécessaire d’avoir un plan d’action lié aux risques associés aux réseaux cellulaires, aux effets potentiels des rayonnements sur la santé et les effets des abus des technologies numériques sur l’équilibre personnel et la vie privée.

Le rapport vise à encourager les bonnes pratiques par des études d’impact d’utilisation des ressources visant à favoriser les réductions des dépenses énergétiques. Enfin, il propose de consacrer un effort majeur à la sécurité informatique ainsi qu’à la maîtrise de l’informatique. Ces recommandations sont bel et bien valables aussi pour la Belgique…

Charles Cuvelliez, chargé de cours en cybersécurité à l’École polytechnique de l’ULB
Jean-Jacques Quisquater
, professeur émérite de UCLouvain,
École polytechnique de Louvain (UCL Crypto Group)
chercheur associé au MIT

 

Pour en savoir plus : “Rapport sur la 5G et les réseaux de communications mobiles”, Rapport de l’Académie des sciences – 12 juillet 2021, Groupe de travail de l’Académie des sciences sur les réseaux du futur. A consulter et/ou télécharger via le site de l’Académie.