EduCodeTV veut miser sur les ressources éducatives libres

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Par Jean-Luc Manise, Brigitte Doucet · 07/04/2020

L’association EduCode, organisatrice de la conférence éponyme, a programmé la première séance de sa WebTV ce mercredi 8 avril, à 15 heures. L’objectif, en cette période de confinement, est de proposer aux enseignants et aux parents des méthodes et des outils pour l’enseignement (à distance).

EduCodeTV, en fait, pourrait n’être que le premier volet d’un projet plus vaste, baptisé RELIE (Ressources Éducatives Libres), qui défend un modèle pédagogique et technologique ouvert. Il vise à “organiser l’entraide entre enseignants, écoles et parents, le soutien pédagogique, la mutualisation des ressources pédagogiques et des expériences, et la formation de tous ces acteurs”, explique Nicolas Pettiaux, l’un de ses initiateurs (voir encadré ci-dessous).

CC-BY-SA

Pourquoi avoir jugé nécessaire de lancer (ou tenter de lancer) ce portail et intermédiaire de ressources pédagogiques? Des initiatives similaires après tout existent et ce ne sont pas les plates-formes et les outils d’e-learning qui manquent, en ce compris dans le champ des ressources pour les enseignants…

La grande différence dont se prévaut EduCode est de miser entièrement sur les ressources libres. “La Fédération Wallonie-Bruxelles a par exemple lancé e-classe mais elle est loin d’être libre de droits d’auteur. On peut partager des ressources mais à condition de ne pas sortie du cadre d’e-classe. Les ressources mises à disposition sont en outre loin d’être optimales. La Fédération doit les valider et les personnes chargées de le faire manquent parfois de compétences”, assène Nicolas Pettiaux.

CC-BY-SA: En clair: CC, pour Creative Commons; BY pour indiquer l’attribution (la ressource peut être librement utilisée mais à condition de citer l’auteur); et SA pour “Share Alike” (partage dans les mêmes conditions).

“Tout ce que RELIE proposera sera sous licence libre CC-BY-SA. Cela nous permettra par exemple de mettre à disposition les ressources créées et partagées par les enseignants dans Wikipedia.

C’est surtout la fin de l’insécurité juridique pour les enseignants. Un exemple: Emmanuel Thiran [l’un des membres de l’équipe EduCode] est l’auteur d’un livre de physique qui fait référence dans le secteur de l’enseignement. Il désirait le mettre à disposition mais la Fédération a choisi de le faire éditer par De Boeck qui a par exemple fait refaire tous les graphiques qu’avait soumis Emmanuel Thiran par un graphiste… en Roumanie. L’éditeur peut ainsi arguer qu’il est titulaire de tous les graphiques. Même Emmanuel Thiran ne peut plus en bénéficier…

On peut donc affirmer que les solutions existantes manquent d’efficacité, de transparence. Les ressources qu’elles mettent à disposition n’ont pas été créées pour être [librement] partagées. RELIE sera très différent…”

Pour pouvoir concrétiser le projet RELIE, l’association EduCode aura toutefois besoin de moyens financiers qui dépassent ses ressources actuelles. Un dossier de demande de financement de trois ou quatre équivalents temps plein pour une durée de trois mois (de début avril à fin juin) est dès lors en cours de rédaction et sera adressé à Innoviris, qui avait déjà soutenu l’organisation de la conférence EduCode.

L’équipe EduCodeTV/RELIE

EduCodeTV et, de manière plus large, le projet RELIE, sont portés par une partie de l’équipe d’EduCode. A côté de Nicolas Pettiaux, on trouve ainsi Erick Mascart, coordinateur TICE (technologies de l’information et des communications pour l’enseignement), et Laurence Bourguignon, techno-pédagogue, tous deux membres de l’association Forsud, spécialisée dans la mise en place et l’accompagnement de “classes numériques branchées”.
Figurent également dans l’équipe de départ Emmanuel Thiran et Georges Khaznadar. Manuel Thiran est professeur de physique à l’école Notre-Dame des Champs à Bruxelles et fin connaisseur de la plate-forme d’apprentissage en ligne Moodle, en place depuis 14 ans dans son école.
Georges Khaznadar est pour sa part professeur de physique et chimie au lycée Jean Bart de Dunkerque (France) et spécialiste du serveur pédagogique Wims. Avec Jean Peyratout, il a co-organisé durant une quinzaine d’années la section Education des rencontres mondiales du logiciel libre.

Des contacts sont (ou seront) également pris avec la Région wallonne, via l’Agence du Numérique, et avec la Communauté française. Cette demande de financement est vitale pour le projet. Sans lui, tous les plans échafaudés ou encore en train d’être imaginés par EduCode ne pourront se réaliser, en dehors des quelques webinaires programmés via EduCodeTV.

Premiers cours en-ligne

Le premier webinaire aura donc lieu ce mercredi 8 avril à 15 heures (durée: une heure). Thème abordé: les méthodes de travail pour l’enseignement à distance. Le lien sera disponible sur le site Internet d’EduCode.

Nicolas Pettiaux: “Ce sont les vacances de Pâques bien sûr et on ne sait pas s’il y aura beaucoup de monde mais on agit dans l’urgence. Cette session portera sur les méthodes de travail, les choses à faire ou à ne pas faire lorsqu’on organise une classe à domicile, les sites à consulter ou encore les ressources disponibles. Des choses et conseils pratiques. Par exemple: veiller à être deux pour organiser un webinaire, privilégier le low tech dans la démarche pédagogique, c’est-à-dire utiliser le moins de technologie possible et les technologies les plus simples. Lors de ses propres formations, Georges Khaznadar se cantonne par exemple au seul courrier électronique et à la plate-forme dont dispose l’école pour échanger avec ses élèves. Donc ni son, ni image.”

Les choses sont encore relativement incertaines au-delà de ce premier webinaire. “Plusieurs thèmes ont déjà été listés mais nous attendons surtout le retour et les demandes des enseignants pour nous assurer que nous répondons à ce dont ils ont réellement besoin.” Pour se manifester et préciser leurs attentes, les enseignants peuvent utiliser le formulaire que propose le site EduCode.

Les webinaires suivants (aux dates encore à déterminer) pourraient par exemple porter sur la gestion, la création et le traitement d’images et photos (coach pour l’occasion: Luc Viatour, photographe professionnel, spécialiste de l’outil open source Darktable), la robotique et la programmation (à la manoeuvre: Benoît Naveau, formateur à la Maison des Maths et du Numérique à Quaregnon et créateur de la Robotic Academy,  projet de formation des enseignants à la robotique éducative).

Si la demande en est exprimée, des cours en-ligne, permettant d’aller plus loin dans chaque thématique, pourraient être organisés sous l’appellation EduCode School. Ils devraient en principe prendre la forme de formations en petits groupes, afin de favoriser les interactions.

Financement à plusieurs étages

Une condition toutefois à l’organisation de ces webinaires et cours en-ligne pour enseignants: le financement – toujours l’incontournable nerf de la guerre.

L’organisation du premier webinaire et la location de l’infrastructure nécessaire pour héberger les différents outils open source et les ressources et contenus pédagogiques (voir ci-dessous) sont financés par l’association EduCode.

Pour payer les salaires des formateurs qui assureront les webinaires suivants (et les éventuels cours en-ligne), EduCode compte sur la petite contribution qu’elle demandera aux enseignants utilisant la plate-forme. Nicolas Pettiaux rappelle en effet que la démarche libre ne signifie pas entière gratuité. “Tout ce que nous entreprendrons sera libre mais peut-être pas au sens gratuit du terme dans un premier temps. Le libre n’est gratuit qu’une fois qu’il a été payé [lisez: que l’infrastructure, le support, les salaires sont couverts]. L’idée est que ceux qui participent à la structure puissent redistribuer les contenus mais s’ils le font avant que l’équilibre soit assuré, ils mettent toute la structure en danger.”

Outre les petites contributions des enseignants participants [pour ce faire, une solution de gestion d’association, avec différents niveaux de membership, devrait être disponible dans les prochains jours], EduCode compte aussi – et surtout – sur un financement externe. En espérant, dans un premier temps,  décrocher des subsides publics. Une première petite mise de fonds pourrait passer par l’AdN. Le cabinet de Willy Borsus (ministre en charge du numérique) sera aussi sollicité. D’autres sources éventuelles pourraient être dénichées du côté de la Communauté française (enseignement) ou du gouvernement bruxellois (Nicolas Pettiaux espère par exemple que les ministres en charge de cohésion sociale ou encore de la recherche scientifique – dont dépend Innoviris – se disent intéressés…).

Nicolas Pettiaux fait également un appel du pied à destination du privé – “si des entreprises veulent supporter ce projet…” – ou aux simples citoyens lambda qui, à terme (là aussi la fonctionnalité doit encore être développée), devraient pouvoir apporter leur petit écot en mode crowdsourcing via le site.

RELIE: cinq champs d’action

A côté des formations en ligne, le projet RELIE devrait, à terme (le calendrier est encore incertain), inclure des “services de sous-traitance TICE” (technologies de l’information et des communications pour l’enseignement). Le portail proposerait un catalogue d’“outils”: plates-formes e-learning, du genre Moodle, BigBlueButton, Jitsi ou NextCloud, des applications pour ordinateur de bureau ou smartphones ainsi que des applications métier à destination du secteur de l’enseignement. Les enseignants pourraient ainsi choisir ceux qui les intéressent et qu’ils désirent utiliser.

Pour héberger les serveurs et les solutions pédagogiques (Moodle, BigBlueButton, Jitsi, NextCloud, Wims), l’association EduCode a trouvé un partenaire: All-2-All. Le support et la maintenance seront assurés par deux prestataires techniques: Domaine Public et l’association Tactic.

Nicolas Pettiaux (EduCode): “A fonctionnalités et qualité égales, nous choisissons des plates-formes et des logiciels libres.”

Pour l’heure, l’infrastructure disponible compte 32 serveurs et 10 To pour l’espace de stockage. “Ce dimensionnement est suffisant pour répondre aux premières demandes d’enseignants.” S’il faut l’augmenter, la question du financement refera soudain surface…

A noter toutefois que l’association n’hébergera pas elle-même tous les contenus. Au contraire, dans un esprit open source, une partie des contenus (vidéos, cours…) seront basculés vers d’autres structures libres: Wikipedia, WikiMedia Belgique, WikiBooks, WikiVersité… “Ces plates-formes incluront les contenus plus généralistes. Pour des cours et contenus plus spécifiques, tels que les cours de physique, ce sera par exemple une plate-forme hébergée par l’association belge des professeurs de physique…”

A ce volet technique s’ajoute l’indispensable volet pédagogique. Les “sous-traitants” locaux auxquels EduCode fera appel sont d’une part les formateurs-coach déjà embrigadés (Erick Mascart, Laurence Bourguignon, Benoît Naveau, Luc Viatour) mais aussi des intervenants potentiels tels que Forsud, Nubo ou encore des associations d’utilisateurs Linux (vous en trouverez une liste sur ce site Web).

Au-delà des ressources pédagogiques, une plate-forme de communautés de pratiques (de type Moodle ou Agorakit) pourrait également rejoindre l’offre RELIE, de même que des travaux de recherche sur les bonnes pratiques de partage et de mutualisation entre enseignants.

Pour cet aspect de son projet, l’équipe EduCode envisage de faire appel aux ressources disponibles au sein des différentes établissements d’enseignement dans lesquels ses membres opèrent – notamment la Haute Ecole HE2B à Bruxelles, l’ULB… Forsud, de son côté, accompagne une trentaine d’écoles fondamentales – qui pourraient donc servir de source de bonnes pratiques ou d’expériences concrètes – et assure par ailleurs des formations auprès d’organismes tels que l’Institut de Formation en cours de Carrière (IFC) ou la Focef (Formation continuée des enseignants du fondamental).

Mais tout cela, toutes ces pistes d’actions, sont encore mises au conditionnel et dépendront, comme indiqué, de l’obtention d’un financement public. Autre condition qu’il faudra concrétiser: dégager des ressources humaines et du temps.

Les raisons du choix BigBlueButton

Au fur et à mesure des émissions, EduCodeTV se penchera sur différentes plates-formes et outils. “Pour la partie LMS (Learning Management System), nous avons retenu Moodle”, explique Nicolas Pettiaux. “Ce système de gestion d’apprentissage est installé dans la toute grande majorité des universités et écoles supérieures en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Travailler en-ligne avec BigBlueButton…

Pour la vidéoconférence en-ligne, nous ferons appel à Jitsi ou, pour des utilisations plus avancées, à BigBlueButton. Il s’agit d’une plate-forme libre conçue pour des professeurs par des professeurs. Elle comprend des outils qu’on ne retrouve pas ailleurs. Par exemple, un fonction de modération, du chat, la possibilité de travailler en ateliers, par sous-groupes, ou en “salons” particuliers, une fonction de partage d’écran, une autre pour prendre la parole et éviter la cacophonie habituelle, un tableau interactif partagé avec outil en-ligne pour l’apport de commentaires ou le sur lignage de contenus. Des applications telles que Microsoft Teams ou Google Classroom n’offrent pas la même souplesse et richesse d’interaction…”

A noter toutefois que, pour le choix des outils open source auxquelles elle a elle-même recours, EduCode continue d’en appeler à la communauté pour trouver de nouvelles idées ou pour valider ses choix. Certains, entre autres via les réseaux sociaux, ont pour exemple déjà faite remarquer que la communauté BigBlueButton n’est pas forcément la plus rassurante en termes de stabilité et de pérennité.

Wims pour les examens en-ligne

Pour l’organisation des examens à distance, EduCode a choisi Wims, une plate-forme d’apprentissage en-ligne d’origine française, en raison de la performance de son moteur de génération d’exercices.

D’autres outils pratiques sont encore dans le pipeline de la chaîne EduCode: Anymemo (jeux de mémorisation), Gepi (gestion et suivi des résultats scolaires), GeoGebra (apprentissage des mathématiques), ClassDojo (gestion des classes primaires et de l’organisation du travail), LearningApps (exercices sur mesure en-ligne) ou encore Wooclap, une application (belge) pour smartphone permettant de gérer des interactions entre professeurs et élèves.