Le secteur du mobile: un kaléidoscope impressionniste

Article
Par Brigitte Doucet, Olivier Fabes · 25/03/2015

Petites touches impressionnistes de quelques entrepreneurs belges du monde de l’IT qui ont participé au récent Mobile World Congress de Barcelone. Qu’en ont-ils retenu, en termes de tendances générales ou d’inspiration pour leurs propres projets et solutions? Certains en sont revenus avec des sentiments mitigés, l’impression que – parfois – le show et le buzz cachent, oblitèrent des aspects qui gagneraient à être davantage mis en lumière.

Sans doute ce sentiment est-il dû également au gigantisme de Barcelone, à ce foisonnement de secteurs touchés par le mobile. Comme le dit Lionel Anciaux, dans son article (publié dans la rubrique Tribune), “d’un événement dédié initialement aux GSM et aux opérateurs mobiles, on déambule aujourd’hui entre showroom automobile et horloger du futur…”

Entre noyade et chapelles..

Jérémy Bruyère, l’un des deux fondateurs de la start-up Generycs, qui avait jeté son dévolu sur le salon 4 Years from Now (voir notre portrait de la société), a été fureter du côté du “grand” salon, assistant à diverses conférences. Il en a retenu quelques informations intéressantes mais est resté, dans l’ensemble, “sur sa faim”. “Les conférences étaient très orientées grands noms et grands produits, avec des orateurs qui faisaient avant tout la promotion de leur propre gamme, sans prise de distance ou évaluation neutre et objective. Chacun prêchait pour sa propre paroisse…”

C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que plusieurs participants belges ont préféré le salon 4 Years from Now. Plus compact, davantage dédié aux start-ups, avec un public qui savait pourquoi il hantait ses allées. Reste évidemment, comme on le signalait plus haut, à garder le contact et à concrétiser les intérêts éventuellement manifestés…

Surenchère?

Les quelques rares moments où ils n’étaient pas sur leur stand, les exposants wallons ont pu renifler les tendances de cette édition 2015 du MWC.

Mais sans en ressortir réellement impressions. L’écho est similaire du côté de Freddy Janssens, fondateur de ReunIT (virtualisation sur les plates-formes Microsoft et VMWare), et de Christophe Hendrickx, responsable du business development à l’étranger d’Escaut (fournisseur de services de communication unifiée, voix sur IP). Ni l’un ni l’autre n’ont réellement été marqués par une annonce, un produit ou une technologie en particulier. C’est plutôt l’accélération des cycles de développement qui est impressionnant, par exemple en matière de montres connectées. Ils retiennent aussi le foisonnement des applications mobiles en tous genres, davantage que les innovations hardware.

LG Flex. Plus ergonomique ou déroutant?

George-Alexandre Hanin (Mobilosoft) se dit lui aussi peu impressionné – ou tout au moins dubitatif face aux annonces faites dans les registres smartphone ou même “smart watch”.

Beaucoup de gadgets, de nouveautés parfois peu pratiques. Des exemples: les smartphones à l’écran incurvé (chez LG ou Samsung, par exemple) qui impliquent de modifier quelque peu la manière dont on a d’interagir avec l’écran.

Quant au smartphone modulaire, qu’on assemble par blocs au gré de ses besoins (Google en annonce un pour le mois d’août), est-ce réellement bien pratique, s’interroge-t-il? Ne vaut-il pas mieux avoir toutes les fonctionnalités sous la main au lieu de devoir choisir a priori entre un module appareil photo et un module batterie renforcée? Ou de devoir tout trimballer avec soi, au cas où…?

Quand il y a pléthore d’offres, la tentation de rechercher la différenciation à tout prix ne donne pas toujours les résultats pragmatiques qu’on pourrait espérer. Comment opérer son choix, par ailleurs, quand la seule différence est quelques millimètres de moins en épaisseur ou de plus pour l’écran? Ou l’une ou l’autre fonction ésotérique?

Même impression d’effet “me-too” du côté de Tanguy De Lestré, d’Agoria: chaque constructeur semble devoir sacrifier aux dernières modes, sans vraiment se démarquer ou imaginer un potentiel, une fonction qui le distingue du lot mais aussi – et surtout – qui soit réellement une valeur ajoutée pour l’utilisateur. Ou qui ne risque pas de faire long feu.

La différence vient parfois aussi… du passé. Pour se démarquer d’une noria de modèles de montres connectées, aux fonctionnalités plus ou moins originales et utiles, on voit par exemple – et de manière somme toute étonnante – un constructeur comme Huawei jouer la carte du copié-collé avec une “bête” montre traditionnelle. Le classicisme, le “déjà vu”, la quasi fidèle copie de l’analogique pour mieux séduire… Back to the future. Forward to the past.

“Smartisation”

George-Alexandre Hanin (Mobilosoft) a été nettement plus intéressé par diverses solutions, démos ou prototypes qui promettent une simplification de la vie de tous les jours. Les nouvelles interfaces et techniques d’identification (lecture d’iris, d’empreinte, de paume…) à des fins de sécurité – que ce soit pour retirer de l’argent, effectuer un paiement, accéder à un espace spécifique… – pourraient s’avérer des instruments utiles. Surtout s’ils s’intègrent dynamiquement à des processus automatisés, personnalisés en fonction des habitudes ou préférences de chaque utilisateur ou internaute.

Demain, c’est la voiture qui vous pilotera…

Telle cette démo vue sur le stand de Visa. Plusieurs scénarios sont en fait imaginés, combinant solutions de paiement (à distance) sécurisé et voiture connectée.

Deux exemples? L’un, davantage destiné aux Américains (quoique…), imagine la possibilité de passer commande de… sa pizza, à partir de sa voiture, tout en roulant sur l’autoroute au retour du bureau.

La commande, passée à partir d’une appui “Menu Pizza” embarquée, est automatiquement payée via la solution Checkout intégrée au tableau de bord de la voiture. Lorsque celle-ci arrive au Drive-In, elle est automatiquement reconnue – grâce à des balises beacon – et la commande est fournie sans attendre (et, espérons-le, sans erreur).

Autre scénario, encore plus orienté ville ou mobilité “intelligente”: votre voiture calcule le chemin le plus proche vers la station service si la panne sèche vous guette, sélectionne éventuellement la pompe la moins chère, dicte le trajet sur votre GPS, vous recommande de faire le plein ou une simple rasade, paie automatiquement à la station-service, et vous signale même qu’en raison de vos points accumulés, vous avez droit à une réduction de 20% sur le café qui vous attend au coin café de la station. Café qui aura été pré-payé, bien évidemment.

Paiements mobiles

Après l’Apple Pay, Samsung et Google ne pouvaient que réagir. Ce fut chose faite – en tout cas sous forme d’annonces de futures solutions. Sans oublier les acteurs venus du monde bancaire, Visa et Mastercard en tête, avec leurs Visa Checkout et MasterCard MasterPass.

Le Samsung Pay, compatible NFC (sans-contact) et MST (magnetic secure transaction), devrait faire ses débuts sur le marché (outre-Atlantique et Asie) cet été. L’Android Pay, pour sa part, devrait livrer ses secrets en mai, à l’occasion de la conférence Google I/O (San Francisco). Il devrait combiner potentiel NFC et HCE (host card emulation).

“Sous la forme d’une application mobile ou sur une montre connectée, intégration ou pas de la technologie NFC, authentification par empreinte digitale, reconnaissance faciale ou vocale, on n’a pas fini de parler de la dématérialisation du paiement…”, écrivait Lionel Anciaux, patron d’Emixis et président du CA du cluster Software.brussels dans sa récente Tribune. 

L’identification

La biométrie gagne en effet du terrain pour resserrer les boulons de la sécurité et identifier/authentifier l’utilisateur ou consommateur: reconnaissance de visage, de paume, d’iris, sans oublier ces bonnes vieilles empreintes digitales…

“C’est un des gros sujets du moment, principalement dans le domaine des paiements”, estime Lionel Anciaux. “On entend de plus en plus de retours sur les faiblesses de l’Internet Banking, sur le fait que les transactions sont mal sécurisées, que la fraude y est dès lors importante. De source bancaire, cela semble en effet être le cas…

C’est principalement dû à la faiblesse du PC utilisé par le client. Celui-ci peut-être facilement piraté. Dès lors, la fraude s’organise, non pas en décryptant les transactions mais bien lors de la création des transactions ou leur envoi.

Dans ce cadre, l’utilisation combinée (PC+smartphone) ou son alternative qui consiste à utiliser un smartphone et une solution d’identification ou de signature biométrique permet de résoudre le problème. En effet, sécuriser une transaction Internet en liant celle-ci à une identification/signature via le mobile (par défaut plus personnel, et donc raisonnablement sécurisable) rend la fraude plus complexe.

En discutant avec les acteurs (MasterCard, etc.) présents au MWC, ou avec des acteurs bancaires en Belgique, on en vient à la conclusion que la question du moment est celle-ci: quel mécanisme d’identification aura le plus de chances d’être accepté par l’utilisateur? Le danger en effet dans ce secteur, c’est la non-acceptation par le client. Il suffit de voir la liste, déjà longue, des solutions de paiements mobiles ou par carte (par exemple, Proton) qui sont mortes avant même d’avoir connu un déploiement global…

Le code PIN reste utilisé (et accepté) mais il y a aussi l’empreinte digitale (Apple, et dernièrement Samsung, offrent une reconnaissance digitale sur leurs smartphones), la reconnaissance vocale ou faciale…”

Reconnaissance faciale en mode “selfie” chez OneVisage…

Exemples de solutions repérées lors du Mobile World Congress par la délégation d’Impulse et de Software.brussels:

– OneVisage (société de Lausanne qui a choisi comme “tagline” “the selfie authentication company”): modélisation 3D du visage pour reconnaissance faciale via smartphones, de quoi authentifier l’utilisateur en mode “SelfiLogin” (contraction de log-in et de selfie). La technologie a vu le jour au départ dans les labos de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et à l’Université de Bâle.

– Qualcomm: solution Snapdragon Sense ID pour authentification d’empreinte 3D

– ZTE: identification via lecture d’iris (Eyeprint ID); tout comme chez Fujitsu, avec scan infrarouge de l’iris.

A contre-courant, AVG, société hollandaise spécialisée dans les solutions de sécurité en-ligne, a imaginé un moyen d’éviter la reconnaissance faciale (par caméra). Il suffit de porter des lunettes un peu spéciales (soit elles émettent une lumière infrarouge, soit elles se couvrent d’une pellicule auto-réfléchissante) et votre visage deviendra d’un flou artistique, voire ne pourra être capté par la caméra…

Le “tout-connecté” et les technologies “mettables”

L’imagination délirante de l’homo sapiens vient de se trouver une nouvelle frontière à dépasser avec les objets connectés (les plus personnels possibles). Montres, lunettes, bijoux, casques de vision, chaussures, bracelets (en ce compris pour chiens – si, si!), bagues… C’est le grand buzz des technologies “mettables” ou “corporelles”, ce que les Anglo-Saxons désignent sous l’appellation “wearables”.

Là encore, la surenchère des offres ne fait que commencer.

Il est par exemple déjà impossible d’énumérer toutes les marques de montres connectées: Apple (le dernier en date), Huawei, LG, Pebbe, Huawei, Acer…

Les voitures connectées, ou dispositifs de pilotage mobile pour voitures, ne sont pas en reste. L’équipe d’Impulse est revenue de Barcelone avec une petite liste… déjà longue: Porsche (en partenariat avec Vodaphone), AT&T & Chevrolet (avec AT&T), LG Urbane, Audi Mobile Key, la New Focus Electric de Ford, Volvo… Gartner, pour sa part, prédit 250 millions de véhicules “connectés” sur nos routes, d’ici 2020.

Gare aux attaques de ce “tout connecté”.

Quid des infrastructures pour permettre à tous ces “machins” de communiquer joyeusement? Le 4,5G est attendu au cours des 5 prochaines années. Le 5G en 2020. Ou même plus tôt. Essentiellement en Asie où on pourrait par exemple avoir des JO d’hiver 5G dès 2018, en Corée. Au prix de gigantesques investissements que tous les acteurs, qu’ils soient opérateurs ou équipementiers, ne pourront pas se permettre. Sans parler des pouvoirs publics eux-mêmes.

Toujours plus vite

L’avantage recherché: vitesse et capacité. A Barcelone, le patron de Huawei expliquait par exemple que télécharger une vidéo de 8 Go prend actuellement une heure avec le 3G. La génération 4G permet déjà de réduire ce temps à 7 minutes. En 5G, il ne faudra plus que… 6 secondes. Il rappelait les caractéristiques du 5G: 100 milliards de connections, un délai de latence d’un milliseconde et un débit de 10 gigas par seconde. [L’Asie, elle, rêve déjà de débits de l’ordre du téraoctet/seconde…]

Huawei, comme d’autres opérateurs, assurera la transition vers le 5G (encore non défini en termes de normes, notamment) en passant par le “4.5G”.

 

Selon l’association GSMA, la part de marché du 3G/4G était de 39% en 2014. D’ici 2020, ce pourcentage sera passé à 69.

Quid de l’Europe? L’agenda est encore incertain. Il faudra d’abord décider de la standardisation. Et trouver les moyens d’investir. Le patron d’Orange (groupe qui contrôle, rappelons-le, Mobistar) imaginait le déploiement du 5G en France “en 2020 ou 2022”. Pour diverses raisons (financières notamment), il ne prêche pas la fuite en avant: “Il ne faut pas aller trop vite. La 5G doit être lancée au bon moment. Profitons bien d’abord de la 4G.”

Ou plus exactement, faisons en sorte de bien la déployer…  C’était là, en tout cas, l’avis de certains observateurs. “Qui a besoin, aujourd’hui, du 5G? Commencez peut-être par améliorer l’efficacité et la couverture du 4G qui permettra déjà pas mal de choses”.

Source: GSMA.

Pour sa part, Günther Oettinger, commissaire européen chargé de l’économie numérique, déclarait: “L’Europe est déjà en retard sur le 4G. Néanmoins, nous avons besoin d’un nouveau réseau de communication auquel on pourra accéder facilement, partout, comme l’air que l’on respire. Ce réseau servira de fondement aux développements des réseaux des autres industries désormais connectées. L’infrastructure 5G est appelée à devenir le système nerveux de la société et de l’économie numériques.”

Nécessaire donc à ses yeux pour autoriser l’Internet des Objets, les communications “spontanées” entre toute la piétaille numérique (capteurs, voitures, objets personnels, dispositifs de santé, senseurs environnementaux, équipements urbains…).

Il plaidait pour une alliance objective entre le public et le privé – il faudra bien financer ce réseau… Et les observateurs auront noté la main tendue (ou la promesse de carotte), sous la forme d’une acceptation, encore à confirmer et formaliser, d’une hiérarchisation des services. Avec priorité aux services à (plus) haute valeur ajoutée, essentiels (ou considérés comme tels) que les opérateurs pourront faire payer davantage. Et tant pis pour la neutralité, pure et dure, du Net. “Comment prendre le risque de laisser ce type de services au milieu du trafic avec comme seule garantie l’obligation du best effort?”, déclarait-il en parlant notamment des services de télémédecine mais aussi des communications entre véhicules, centres de surveillance du trafic, logistique multi-modale…

Ces “choses” qui nous échappent

A tous les étages, dans tous les secteurs-cibles, les “choses” connectées étaient à l’honneur au MWC.

Elles semblent vouloir non seulement devoir bouleverser nos vies, les actes de notre quotidien (privé ou professionnel) mais aussi induire de nouveaux types de rapport. Tant à autrui que vis-à-vis des autres homo sapiens.

Source: Symantec

A condition que la performance et la capacité des infrastructures de communications permettent la véritable explosion que d’aucuns prédisent, les potentiels d’analyse de données pourraient donner à ces objets connectés un degré de liberté inédit en termes de décisions. L’analyse du contexte et de nos propres comportements (dont l’historique serait soigneusement stocké, dans l’objet ou dans le cloud) leur permettront en effet de prendre spontanément des actions: modifier la température du bureau, choisir un itinéraire alternatif vers notre lieu de travail, bloquer une transaction bancaire “suspecte”…

Comme le déclarait le patron de Shazam, Rich Riley, dans un exposé: “Nous interagirons de moins en moins interagir avec les terminaux qui seront toujours on.”

“Demain, il suffira d’être automatiquement géo-pointé sur une carte [grâce à un quelconque objet personnel connecté] pour qu’une voiture Google vienne nous prendre, spontanément”, déclare par exemple Georges-Alexandre Hanin (Mobilosoft), qui s’est entendu esquisser ce scénario (pas si futuriste?) par un de ses amis.

Tout cela, à ses yeux, est certes aguicheur mais l’impression qu’il a surtout retirée du MWC c’est que si les données sont en effet au coeur de tout, elles sont aussi encore à l’heure actuelle la pierre d’achoppement. “Il y a certes déjà une masse de données disponible mais personne ne sait encore comment les connecter, les exploiter. Nous n’en sommes encore qu’aux prémisses. J’ai l’impression que toute le monde est un peu perdu. Personne ne sait comment tisser ou dérouler le fil complet des données. Le vrai défi sera dans la détermination des données qu’il faudra connecter, dans la manière de les structurer et dans ce qu’on en fera. Au MWC, je n’ai pas trouvé ne serait-ce qu’un début de réponse à ces questions…”