Les musées à l’heure du mobile et de la réalité augmentée

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Par Jean-Luc Manise, Brigitte Doucet · 07/07/2014

Le projet CHESS (Cultural Heritage Experiences through Social personal interactions and Storytelling), soutenu par la Commission européenne, est emblématique de ce que des nouvelles technologies peuvent apporter au monde des musées et, dans un cadre plus vaste, au secteur de la culture.

Ce projet, présenté en mars dernier à Bruxelles, a pour ambition de donner une nouvelle dimension à l’héritage culturel européen. Il fait notamment appel à des technologies de simulation et de réalité augmentée et a déjà fait l’objet de tests-pilote, notamment sur les sites historiques de l’Acropole en Grèce.

Nous vous le présentons plus en détail dans cet autre article.

Des tablettes et des mobiles

En mars dernier se tenait également, mais cette fois à Namur, le Forum “Technologies Musée et Tourisme” organisé par Musées et Société en Wallonie (MSW) dans le cadre du traditionnel salon des fournisseurs destiné aux musées et opérateurs culturels et touristiques. Au centre des débats, la place du numérique pour le musée dans ses rapports aux publics. [ Ndlr : A noter que nous mettons ici – sciemment – “public” au pluriel, tant la diversité de la “cible” est essentielle pour l’insertion des nouvelles technologies dans la médiation muséale. Vous pourrez le constater au fil de ce dossier. ]

“Les tablettes et autres smartphones sont au cœur de la réflexion des professionnels des musées”, souligne Céline Dupont, responsable formations pour l’association MSW. “Nous avons pu, lors du forum, échanger autour de trois projets iPad, l’un mis en place par le Château de Chimay, l’autre par l’Archéoforum de Liège et le troisième par la Maison de la Science, toujours à Liège.

Le Château de Chimay a opté pour une sous-traitance complète du projet, via la société de Pinxi. C’est tout l’ensemble des espaces du château qui a été redessiné en 3 dimensions, avec un côté “ligne claire” tout à fait particulier. Voir notre article.

A l’Archéoforum, la totalité du développement s’est effectué en interne. Ici, le choix de l’iPad a permis de recentrer l’activité des guides sur les groupes. Julien Macquet, directeur de l’Archéoforum: “Tout le contenu du parcours sur iPad a été pensé en interne par des guides expérimentés. Notre graphiste, Emmanuel Van der Sloo, a conçu tous les éléments visuels présents dans le parcours numérique. Les aspects techniques ont été confiés à D-Code, pour un budget d’une cinquantaine de milliers d’euros. Nous recevons beaucoup de visites de groupes scolaires. Les visites individuelles sont plus difficilement planifiables. L’option a été prise de remplacer ces parcours individuels accompagnés par des visites interactives sur iPad.” Une trentaine d’équipements sont disponibles et proposés automatiquement à toute personne pour la visite, ou à des familles jusqu’à 10 personnes.

Un robot au service du terroir

Céline Dupont: “La robotique est une autre évolution intéressante en matière de médiation. Je pense notamment au robot Nao du français Aldebaran Robotics qu’on a pu découvrir dans différents musées comme la Cité du Volcan ou à Kélonia, l’observatoire des tortues marines (deux sites de l’Ile de la Réunion).

Au Musée des Terroirs (Château Gombert, Marseille), Nao donnera des explications aux visiteurs et projettera des vidéos.

Nao sert également de guide aux visiteurs du musée du Terroir Marseillais de Château-Gombert. Dans ce dernier cas, Nao donne aux visiteurs des explications sur des objets ou des techniques traditionnels. Il peut également lancer un vidéoprojecteur ou moduler le son et la lumière.”

En Belgique, la société Nostrom (Saint-Denis), spécialisée en conception de logiciels et solutions Web, travaille sur son propre projet de robot baptisé Nostro. A l’origine, le projet visait des applications de type vidéosurveillance mais s’est ensuite réorienté vers des scénarios de télé-visites de musées, salles d’expo, lieux culturels etc. Objectif: permettre à des personnes ne pouvant le faire elles-mêmes, pour diverses raisons, de visiter les musées à distance. Le robot doté de caméras et de télémètres sonar pourrait ainsi se mouvoir sur commande.

Il pourrait aussi être un “avatar” physique intéressant pour les personnes à mobilité réduite.

Le châssis vient d’être terminé (fabriqué par une société wavrienne). Une première version exploitable du robot devrait être présentée courant octobre dans le cadre d’un projet-pilote mais en avril dernier son concepteur était encore à la recherche d’un partenaire et envisageait de lancer une campagne de crowdfunding via la plate-forme namuroise Identity Coop.

Nouvelles dynamiques

Au Musée de la Céramique d’Andenne, le visiteur reçoit une tablette Android. Elle lui permettra de scanner les codes QR dans certains endroits et d’activer une vidéo afin d’augmenter la compréhension des collections permanentes du Musée. La solution a été implémentée par la société française iBeaken. Elle combine code QR et technologie sans contact NFC (near field communications).

Des bornes QR/NFC au Musée de la Céramique (Andenne), consultables à partir d’un smartphone.

Le principe? La balise NFC fournit un code (qui peut également être saisi manuellement sur le smartphone). Ce code renvoie vers un micro-site contenant des contenus textuels et/ou multimédia. Ce genre de balises a également été déployé par iBeaken au Musée de la Famenne, au Musée du Masque et au Musée René Magritte.

Voir notre article pour plus de détails sur cette technologie.

Gaëtan Genot, responsable marketing pour l’association MSW: “C’est un moyen peu coûteux de créer de nouvelles dynamiques. A Bruxelles, vous téléchargez un jeu sur votre tablette ou votre smartphone, disons pour 15 euros, et vous êtes emmenés à certains endroits de la ville pour répondre à des questions, par exemple sur des célébrités comme Victor Hugo qui ont habité la capitale. Il ne faut aucune infrastructure: ce sont les antennes GSM qui sont utilisées pour la diffusion. Mais pour les professionnels des musées, cela suppose la mise en place d’une nouvelle logistique: statistiques de fréquentation, réception et gestion des paiements, versement des commissions, etc.”

Les jeux sérieux font aussi leur petit bonhomme de chemin. Ils sont de plus en plus utilisés en éducation non formelle et font leur entrée dans les musées, au Mundaneum ou, en France, au Museon Arlaten avec le serious game “Vol sans effraction” (voir notre article pour plus de détails).

Impression 3D

Par essence, l’oeuvre en trois dimensions et, comme le dirait Chris Anderson, le “Digital Manufacturing” représente la troisième révolution industrielle. Gaëtan Genot: “Les imprimantes 3D entrent tout doucement dans l’univers des musées pour des déclinaisons pédagogiques et commerciales qui s’inventent au jour le jour. Un exemple: le partenaire fabrique le fichier numérique, négocie les droits d’auteur et de reproduction et peut l’utiliser à loisir comme support pédagogique o u comme souvenir. La machine coûte 1.000 euros, la bobine de matière première 20. Maintenant, c’est peut être plus intéressant d’envoyer le fichier en Chine et de faire revenir un container de 5.000 pièces… Ce sont de nouveaux modèles qu’il va falloir expérimenter.”

Les musées sur Facebook

Restent les réseaux sociaux. Gaêtan Genot: “Ils vont permettre de générer une participation importante avec le public, de créer de l’interactivité, de mobiliser le visiteur avant, pendant et après sa visite. L’exemple frappant du moment, c’est celui du poilu Léon Vivien. Sa page Facebook a permis de découvrir au fil des jours l’histoire attachante et bouleversante d’un soldat pris dans les tourments du premier conflit mondial. 30 à 40.000 personnes suivaient son profil et lorsque les “scénaristes” l’ont fait mourir, il y a eu comme un grand silence sur la toile.”

Depuis, les exemples se multiplient comme avec cette page Jules Fradet, le conducteur de l’Orient Express pour l’exposition actuelle à l’Institut du monde arabe ou encore ce profil de la momie Hor du musée de Mariemont.