Vinton Cerf: une certaine vision de l’Internet, 40 ans plus tard

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Par Vincent Delvaux · 31/10/2013

Co-inventeur de l’Internet en 1973, Vinton Cerf a aujourd’hui rejoint Google en tant que vice-président du groupe et officie comme Chief Internet Evangelist, une fonction qui lui permet de délivrer son message pédagogique aux quatre coins de la planète et d’expliquer sa vision sur les enjeux présents et futurs d’Internet.

La conférence organisée à Mons à l’instigation du Mundaneum fut donc l’occasion d’une présentation de quelques nouvelles technologies porteuses de Google, notamment les très médiatisées Google Glasses, et d’engager une discussion à bâtons rompus avec le public sur des questions d’aujourd’hui.

Les Google Glasses

Equipé de ses Google Glass, Vinton Cerf nous a d’abord régalés d’une démonstration de cette technologie d’un genre nouveau, au look futuriste et qui sort l’informatique des écrans d’ordinateurs pour l’inscrire dans la vie quotidienne, dans ce fameux Internet des Objets dont on parle tant aujourd’hui. Au-delà du gadget technologique, Vint Cerf a insisté sur les usages innovants qui peuvent être faits d’un tel produit, illustrant son propos par un exemple d’utilisation servant à faciliter la communication entre une personne sourde et une autre muette et parlant deux langues différentes. Grâce aux capacités de la machine, aux assistants vocaux, aux logiciels d’interprétation, de traduction et de retranscription, ces deux personnes pourraient à présent communiquer de manière naturelle, ce qui était jusque là impensable sans l’aide d’une personne tierce. On comprend mieux que cette problématique tienne à cœur Vint Cerf, lui-même atteint de déficience auditive et marié à une sourde.

Internet, “une dynamique économique extraordinaire”

Vinton Cerf: “Il y a un mécanisme de Darwinisme à l’œuvre: [pour les entreprises] c’est l’adaptation [à Internet] ou la mort. Mais lorsque l’on regarde plus en détail la balance en termes de destruction et de création d’emplois, on constate que pour un poste détruit, il y a deux postes et demi qui sont créés.”Après un bref rappel historique sur les 40 ans de l’invention d’Internet (1973), Vint Cerf se livre à un exercice de pédagogie sur la manière dont s’architecture le réseau des réseaux, en empilant les différentes couches de services les unes au-dessus des autres à la manière des briques d’une maison posées sur les fondations. Ainsi, les services mails et le www, pour ne citer qu’eux, ne sont que des composants de cette architecture globale. L’empilement des services permet de créer une extraordinaire dynamique économique et d’innovation, de nouveaux services pouvant se superposer sans cesse aux précédents. Ainsi en va-t-il d’ailleurs de Google, à l’origine service d’indexation du web et moteur de recherche, visant à répertorier les contenus des pages web de la Toile.

“Google n’est pas simplement un moteur de recherche bâti sur des data centres, c’est aussi une vision neuve de l’entreprenariat. Google joue d’ailleurs un grand rôle dans le soutien aux entrepreneurs.

Il leur offre la possibilité de créer de nouveaux services, en s’appuyant sur ses infrastructures”, énonce ainsi Vint Cerf. “L’Internet est avant tout basé sur le software, sur l’empilement de différents services les uns par-dessus les autres. Cette architecture recèle un potentiel extraordinaire en termes de développement économique. Google s’engage fortement pour promouvoir l’esprit d’entreprise, notamment via l’Association for Computing Machinery qui stimule les jeunes dans les écoles à lancer leur propre business”, rappelle-t-il avant de dénoncer les freins réglementaires au développement des entreprises et une vision trop étriquée au niveau européen des enjeux de la mondialisation.

Vinton Cerf: “Quelles que soient les règles édictées, les entreprises qui participent au développement d’Internet ou de nouveaux services ne doivent pas subir des contraintes sur le marché européen mais au contraire être ouvertes pour affronter la mondialisation de l’économie.”

“Quelles que soient les règles édictées, les entreprises qui participent au développement d’Internet ou de nouveaux services ne doivent pas subir des contraintes sur le marché européen mais au contraire être ouvertes pour affronter la mondialisation de l’économie.” Et de rappeler que “l’Internet est une technologie qui change en profondeur l’économie et le business modèle des entreprises. Pour celles-ci, il y a un mécanisme de Darwinisme à l’œuvre: c’est l’adaptation ou la mort. Mais lorsque l’on regarde plus en détail la balance en termes de destruction et de création d’emplois, on constate que pour un poste détruit, il y a deux postes et demi qui sont créés.”

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Lors de la session questions/réponses de la soirée, Vinton Cerf a été amené à répondre à des questions plus pointues du public qui, pour beaucoup, tournaient autour de la question très sensible et particulièrement actuelle de la protection des données (privées ou autres), des écoutes sur Internet, du rôle et de la position de Google en la matière. Ses réponses, qu’on peut imaginer être au moins légèrement teintées par son appartenance à l’équipe Google, apportent toutefois un éclairage intéressant. A lire via ce lien.

La pérennité des données informatiques, un enjeu crucial

Face à la croissance exponentielle des données, au nombre toujours croissant de personnes ayant accès à Internet et d’appareils connectés, Vint Cerf ouvre aussi la réflexion sur la préservation des données numériques pour les générations futures. Certains supports écrits ont franchi les millénaires jusqu’à nous, en nous livrant leurs précieux secrets mais nous ne sommes pas encore capables de garantir la pérennité de nos données informatiques sur le long terme. Voilà bien tout le défi que devra relever Google et les autres acteurs de l’industrie informatique pour s’inscrire durablement dans l’Histoire…

Un hommage aux pionniers d’Internet

Vinton Cerf a révolutionné le monde en 1973 en co-inventant Internet avec Bob Kahn, son collègue au Département de la Défense américaine. En jetant les bases d’un protocole d’échange standardisé des paquets de données, ils allaient donner naissance à l’une des plus grandes inventions du 20e siècle et amener l’avènement d’une nouvelle révolution industrielle d’une ampleur inédite, qui a transformé radicalement des pans entiers de nos sociétés: organisation du travail, vie privée, loisirs, recherche scientifique ou encore accès à la connaissance.

La visite de Vinton Cerf a été rendue possible pour deux raisons. D’une part, ses liens désormais étroits avec Google, sponsor du Mundaneum (et propriétaire d’un data centre de Saint-Ghislain dans lequel il a déjà investi 250 millions d’euros et compte y ajouter 300 nouveaux millions prochainement). De l’autre, un hommage quasi filial de l’un des inventeurs du Web moderne à deux personnalités belges qui avaient imaginé cette Toile plusieurs dizaines d’années avant lui.

Paul Otlet à son bureau, 1934, © Mundaneum

La soirée, introduite par Jean-Paul Deplus, président du Mundaneum à Mons, a permis de rappeler que bien avant le miracle technologique que nous connaissons aujourd’hui, des intellectuels et chercheurs se sont penchés sur la délicate question de l’accès à la connaissance, son indexation mais aussi sa diffusion la plus large possible à travers les technologies disponibles à leur époque. Les deux fondateurs du Mundaneum, Paul Otlet et Henri Lafontaine (dont on célèbre cette année le 100e anniversaire du Prix Nobel de la Paix reçu en 1913), furent de ceux-ci et donnèrent corps à leur rêve d’inventorier l’ensemble de la connaissance sous forme de fiches standardisées, facilement accessibles, selon un système de classement normé.

Ils jetèrent ainsi les bases d’un proto moteur de recherche dès le début du 20e siècle. Leur vision et leur capacité à anticiper le futur, les ont amenés à imaginer un “réseau universel”, des “ponts entre les continents” et des machines capables de fournir un accès à distance aisé à l’information.

Cette clairvoyance exceptionnelle et le projet utopique poursuivi par ces deux grandes personnalités intellectuelles belges ont valu récemment au Mundaneum le surnom de “Google de papier” par la presse internationale et une reconnaissance bien au-delà de nos frontières. Le partenariat mis en œuvre entre l’institution muséale et le célèbre moteur de recherche a permis dès lors à un certain nombre de projets de voir le jour et a contribué à la présence à Mons d’une personnalité d’envergure mondiale comme Vinton Cerf, pour le plus grand plaisir des auditeurs présents au Théâtre du Manège. Celui-ci a d’ailleurs rendu un hommage appuyé à tous les pionniers européens de l’Internet, souvent restés dans l’ombre du développement de l’industrie informatique outre-Atlantique.