Changement de paradigme pour le “business model” open source

Article
Par Jean-Luc Manise, Brigitte Doucet · 12/09/2013

Source: Red Hat

Qu’il s’agisse d’IMIO, du DTIC, de l’ETNIC, du CIRB ou du GIAL, la question du modèle d’affaires open source se pose de la même façon. Pour un éditeur et un intégrateur, comme générer des revenus dans un modèle où les revenus licence ont disparu, où les développements métier peuvent être pris en charge par les équipes internes de développeurs des administrations et où la structure se rémunère sur les prestations de services d’installation, de maintenance et de support?

“C’est un tout autre paradigme. Dans le modèle open source, dans notre cas la licence GPL, lorsque nous choisissons une solution en tant que centrale d’achat, nous ne payons pas le logiciel. La rémunération de l’éditeur et/ou de l’intégrateur ne proviendra que du service”, explique Joël Lambillotte, Directeur département logiciels libres pour l’intercommunale IMIO. Et la concurrence sera plus rude: comme le logiciel est ouvert, c’est le niveau de compétences par rapport à la solution proposée qui fera la différence… sachant que l’on peut changer de prestataire à tout moment. Il faut bien comprendre que l’un des avantages du modèle open source est la réutilisation d’un développement existant. On peut récupérer ce que d’autres ont déjà fait et l’améliorer en collaborant avec d’autres éditeurs, puis exporter son savoir-faire. »

Nouveau modèle business

« Il faut aussi bien comprendre qu’on va faire appel à des partenariats extérieurs pour chaque développement pointu. Nous faisons régulièrement appel à des sous-traitants via marché public, essentiellement des PME. La volonté d’IMIO n’a jamais été de tout développer seul en interne mais bien d’assurer une maîtrise et une pérennité des pouvoirs locaux par les pouvoirs locaux.

Joël Lambillotte: “Nous faisons régulièrement appel à des sous-traitants. La volonté d’IMIO n’a jamais été de tout développer seul en interne mais bien d’assurer une maîtrise et une pérennité des pouvoirs locaux par les pouvoirs locaux.”

Une dizaine de PME wallonnes travaillent régulièrement avec nous et certaines sont nées et se développent grâce aux retombées des solutions IMIO.”

Quelques exemples de sociétés déjà sollicitées: Affinitic (Jemeppe-sur-Sambre) pour la gestion de l’urbanisme, Bubblenet (Louvain-la-Neuve) en matière d’infrastructure de cloud computing, ou encore, mais on sort de Wallonie, Entr’ouvert (société parisienne) dans le domaine de la GED (gestion documentaire).

“Si le développement demandé est souvent du one shot, puisque le logiciel sera disponible gratuitement par après, la société est souvent appelée à intervenir en deuxième ligne afin de nous offrir le support et l’encadrement nécessaires. C’est un nouveau modèle qui se construit et qu’on doit affiner au jour le jour au niveau des partenariats. »

Il est vrai que, pour les pouvoirs locaux, le ticket d’entrée dans IMIO est symbolique. Joël Lambillotte, directeur du département logiciels libres de l’Intercommunale: « Il faut prendre une part de 3,51 euros pour rentrer dans IMIO et avoir ainsi accès à notre portefeuille d’applications. Nous proposons des solutions métier gratuitement, en mode SaaS (plus de 300 seront disponibles d’ici la fin de l’année). L’utilisateur ne paie qu’en fonction du service rendu: l’accompagnement organisationnel, l’encadrement, le paramétrage, la maintenance, la formation. Cela ne veut pas nécessairement dire que ce sera moins cher que dans le modèle licence traditionnel, cela veut surtout dire que les développements collent aux besoins de nos utilisateurs. »

Moins d’avant-vente

Ce modèle basé uniquement sur le service a des répercussions très visibles sur le cycle de vente.  “Le modèle économique open source induit deux grandes différences”, indique Eric Fesler, directeur général et administrateur délégué d’Audaxis, société qui intègre des solutions Compiere et OpenERP et est aussi à la base de l’intégré dpi24/7, une solution métier pour le secteur de la presse. D’un part, il a un impact sur les aspects avant-vente et marketing. Fatalement, on ne dispose pas des mêmes moyens qu’un intégrateur qui met en place un SAP. Celui-ci, en plus des services, bénéficiera d’un pourcentage sur les licences avec une marge qui lui permettra de multiplier les approches avant-vente.”

Eric Fesler (Audaxis): “Valider l’intérêt du projet en proposant une maquette, un proof of concept payant.”

Nous sommes quant à nous obligés d’être beaucoup plus pragmatiques en proposant une maquette ou un proof of concept sur 4 ou 5 jours. Celui-ci est payant. Ce coût nous permet de valider l’engagement du client et permet à celui-ci d’avoir, avec un minimum d’investissement, une vue qui va au-delà d’un cahier des charges souvent largement théorique. Il s’agit d’un modèle économique qu’on a mis en place avec le temps. Car faire payer une maquette n’est pas toujours facile à faire passer face à des vendeurs “traditionnels” qui proposent des démos gratuites. Cela nous a demandé un travail d’évangélisation mais petit à petit, avec l’expérience, les clients nous suivent.”

Faire mieux avec autant

Voilà pour le business model dans le chef de l’intégrateur. “Dans le chef du client”, poursuit Eric Fesler, “un

Eric Fesler (Audaxis): “faire valoir l’indépendance vis-à-vis de l’éditeur et de l’intégrateur.”

des arguments qu’on met en avant au niveau du logiciel libre est simple: le budget qu’on n’a pas mis dans la partie licence peut être consacré à une analyse plus fine des flux et processus de l’entreprise ou de l’administration. N’envisager le libre que selon le point de vue de la réduction du budget est une approche très réductrice de la problématique. Nous mettons bien plus en avant l’indépendance vis-à-vis de l’éditeur et de l’intégrateur.

Nous ne considérons absolument pas que des structures comme le CIRB ou IMIO nous phagocytent une partie du service. On sait très bien que la mise en place d’un ERP nécessite des compétences en interne pour l’exploiter au mieux et en tirer des rapports et analyses cohérents. Les services informatiques internes doivent pouvoir assurer un support de première ligne à leurs administrations clientes et valider les procédures en place. Nous intervenons en seconde ligne et c’est très bien ainsi.”

1.549 % de croissance en 5 ans

Quid de la position de l’éditeur cette fois? Quel est son modèle de rénumération? Fabien Pinckaers, fondateur d’OpenERP: “Oui, effectivement, on distribue gratuitement sur Internet un logiciel open source qui gère tous les aspects de la gestion d’entreprise, les relations clients, les stocks, la fabrication, la comptabilité budgétaire. Cela prend la forme de 3.000 applications différentes avec une particularité: si vous en installez plusieurs, elles s’intègrent automatiquement entre elles. Du coup, on compte plus de 1.000 téléchargements par jour, ce qui fait d’OpenERP l’intégré le plus diffusé au monde. Une fois téléchargé, les gens l’installent ou parfois se contentent de l’évaluer, ce qu’ils peuvent également faire en

Fabien Pinckaers (OpenERP): “L’open source n’est pas un modèle d’affaires mais un modèle de développement.”

ligne. C’est après que vient la demande de services. Certaines entreprises, en générale de moyenne et grande taille, ont des besoins d’implémentation complexes, des processus de récupération de données à mettre en place, des besoins en modèles spécifiques. Ils font dès lors appel à des intégrateurs “traditionnels”.

Jusque là, on n’a encore rien gagné. Alors comment vivons nous? Eh bien, on se rémunère sur les contrats de maintenance. A l’inverse d’un éditeur traditionnel qui gagne sur les licences, notre rôle est de faire du support et de la maintenance. On propose un contrat all in one, avec correction de bugs illimitée, mises à jour des nouvelles versions et support. Nos intégrateurs touchent une commission sur ces contrats de maintenance et se rémunèrent eux sur les services et le savoir-faire technique et business qu’ils peuvent proposer au client.”

Et cela marche, OpenERP compte 520 intégrateurs dans 70 pays, dont une quarantaine en Belgique. “Avec une croissance de 1.549% sur les 5 dernières années, nous  sommes la société qui grandit le plus en Belgique. »

Grâce au modèle open source?

La réponse fuse: “Non, grâce à la qualité du produit. Les clients ne viennent pas chez nous parce que l’on est moins cher mais parce que OpenERP correspond à leurs besoins. L’open source n’est pas un modèle d’affaires mais un modèle de développement. Tout le monde peut y apporter des modifications à condition de redistribuer ce qu’ils font.

Fabien Pinckaers (OpenERP): “Les clients ne viennent pas chez nous parce que l’on est moins cher mais parce qu’OpenERP correspond à leurs besoins. L’open source n’est pas un modèle d’affaires mais un modèle de développement.”

C’est ainsi qu’on grandit un peu à la façon d’un Wikipedia. Chaque mois, on dénombre 60 nouvelles applications business. C’est énorme! Ces développeurs ne sont pas en règle générale des bénévoles. Soit il s’agit de partenaires qui améliorent le produit en fonction du besoin de leurs clients, soit il s’agit de développeurs internes de gros utilisateurs comme Danone ou La Poste qui font évoluer leur solution. On améliore OpenERP soit pour le revendre, soit pour l’utiliser. »

Ready & Go…

Comment évolue OpenERP? « On s’oriente de plus en plus vers des briques standard. On vient d’un historique de grosses et moyennes entreprises menant des projets d’intégration de 20.000 à 2.000.000 d’euros. Aujourd’hui, on touche des entreprises de 0 à 20 utilisateurs. La version 7 d’OpenERP (voir l’article que nous lui avons consacré) est arrivée à une telle maturité qu’on peut en proposer un version out of the box, avec pas ou très peu de prestations de services. Le ticket d’entrée est très bas: 35 euros par utilisateur et par mois pour un support complet, ou pour accéder à la version hébergée.” En propriétaire comme en libre, la carte PME passe par l’all-in-oneVoir à ce sujet le volet que nous consacrons au SaaS dans notre article “Modèle suicidaire, l’open source?”.